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Le contentieux de la rétention administrative des étrangers illustre la tension permanente entre les impératifs de la politique migratoire et la protection des libertés individuelles. L’ordonnance rendue le 14 juin 2025 par le tribunal judiciaire de Meaux, statuant par son annexe située au Mesnil-Amelot, en offre une illustration topique.
Un ressortissant afghan, né en 2000, faisait l’objet d’un arrêté de reconduite à la frontière pris le 14 décembre 2024 par le préfet de police de Paris. Le 14 mai 2025, ce même préfet décidait de son placement en rétention administrative, mesure notifiée le jour même. Par ordonnance du 19 mai 2025, le juge des libertés et de la détention de Meaux prolongeait cette rétention pour une durée de vingt-six jours. Le 12 juin 2025, le préfet de police de Paris saisissait à nouveau le tribunal d’une requête aux fins de deuxième prolongation pour trente jours supplémentaires.
L’intéressé, assisté d’un interprète en langue dari et d’un avocat commis d’office, comparaissait à l’audience. L’administration, représentée par avocat, faisait valoir que les autorités allemandes avaient accepté la réadmission le 16 mai 2025, qu’un laissez-passer avait été délivré le 6 juin 2025 et qu’un vol était programmé au 23 juin 2025.
Le magistrat devait déterminer si les conditions légales d’une seconde prolongation de la rétention administrative étaient réunies et si une mesure alternative d’assignation à résidence pouvait être substituée à la privation de liberté.
Le tribunal judiciaire de Meaux fait droit à la requête préfectorale. Il ordonne la prolongation de la rétention pour trente jours à compter du 14 juin 2025, retenant que les diligences administratives ont été accomplies et que l’éloignement demeure possible dans ce délai, tout en écartant l’assignation à résidence faute de remise préalable d’un passeport valide.
Cette décision mérite examen tant au regard du contrôle des diligences administratives justifiant la prolongation (I) que de l’appréciation des conditions de l’assignation à résidence comme alternative à la rétention (II).
I. Le contrôle juridictionnel des diligences administratives
Le juge des libertés et de la détention exerce un contrôle sur le caractère effectif des démarches entreprises par l’administration (A), dont dépend la légitimité de la prolongation de la mesure privative de liberté (B).
A. L’exigence de diligences effectives comme condition de la prolongation
Le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile subordonne toute prolongation de la rétention à la démonstration que l’administration a accompli les démarches nécessaires à l’exécution de la mesure d’éloignement. Cette exigence traduit le caractère exceptionnel de la privation de liberté administrative et son instrumentalité. La rétention n’est pas une fin en soi mais un moyen au service de l’éloignement effectif.
L’ordonnance relève que « malgré les diligences de l’administration, la mesure d’éloignement n’a pu être exécutée en raison d’une délivrance trop tardive des documents de voyage ». Cette formulation mérite attention. Le juge constate simultanément l’existence de diligences et leur insuffisance à permettre l’éloignement dans le délai initial. L’administration se trouve ainsi dans une situation où son activité ne peut être contestée, mais où ses résultats demeurent incomplets.
Le tribunal énumère précisément les étapes franchies. La réadmission par les autorités allemandes a été acceptée le 16 mai 2025, soit deux jours après le placement initial. Le laissez-passer a été obtenu le 6 juin 2025. Un vol est programmé au 23 juin 2025. Cette chronologie révèle un enchaînement administratif cohérent, même si le délai de trois semaines pour l’obtention du laissez-passer après l’accord de réadmission interroge sur les contraintes pesant sur les services.
B. La perspective raisonnable d’éloignement comme justification de la prolongation
La seconde prolongation ne peut être ordonnée que si elle est « de nature à permettre l’exécution de la mesure d’éloignement ». Cette condition impose au juge une appréciation prospective. Il ne suffit pas de constater que des diligences ont été accomplies ; encore faut-il que la prolongation sollicitée présente une utilité concrète au regard de l’objectif poursuivi.
L’ordonnance satisfait à cette exigence en relevant l’existence d’un vol programmé au 23 juin 2025, soit neuf jours après la décision. Cette circonstance confère à la prolongation une finalité tangible et immédiate. La mesure privative de liberté trouve sa justification dans la proximité de son terme naturel que constitue l’éloignement effectif.
La jurisprudence constante de la Cour de cassation censure les prolongations ordonnées en l’absence de toute perspective raisonnable d’exécution. Tel n’est manifestement pas le cas en l’espèce. L’existence d’un accord de réadmission, d’un laissez-passer délivré et d’une réservation de vol établit un faisceau d’éléments convergents démontrant que l’éloignement constitue une perspective réaliste à brève échéance.
II. Le rejet de l’assignation à résidence comme mesure alternative
Le juge écarte la possibilité d’une assignation à résidence au motif de l’absence de passeport valide (A), position qui soulève la question de l’équilibre entre efficacité de l’éloignement et respect de la liberté individuelle (B).
A. L’absence de passeport valide comme obstacle à l’assignation
L’article L. 743-13 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile conditionne l’assignation à résidence à la remise préalable d’un passeport en cours de validité à un service de police ou une unité de gendarmerie. Cette exigence vise à garantir que la mesure alternative ne compromette pas l’exécution de l’éloignement en permettant à l’intéressé de se soustraire aux autorités.
Le tribunal relève que « la personne retenue ne remplit pas les conditions d’une assignation à résidence » précisément parce qu’elle « n’a pas préalablement remis à un service de police ou à une unité de gendarmerie un passeport en cours de validité ». Cette motivation lapidaire suffit à fonder le rejet de la demande subsidiaire.
L’ordonnance ajoute une précision significative : le défaut de passeport fait obstacle à l’assignation « quels que soient les mérites de ses garanties de représentation ». Cette formule reconnaît implicitement que l’intéressé pouvait présenter des garanties par ailleurs satisfaisantes. Elle souligne le caractère impératif de la condition légale relative au passeport, que le juge ne peut écarter même en présence de circonstances favorables.
B. La rigueur du critère légal face aux exigences de proportionnalité
L’articulation entre rétention et assignation à résidence reflète la gradation voulue par le législateur dans les mesures de contrainte applicables aux étrangers en instance d’éloignement. L’assignation, moins attentatoire à la liberté, devrait en principe être privilégiée lorsque ses conditions sont réunies. La rétention ne devrait intervenir qu’en dernier recours.
L’exigence d’un passeport valide pose toutefois une difficulté pratique fréquente. De nombreux étrangers en situation irrégulière ne disposent pas d’un tel document ou l’ont perdu. Exiger sa remise préalable revient souvent à priver l’assignation à résidence de toute effectivité pour cette catégorie de personnes.
La Cour européenne des droits de l’homme impose aux États de rechercher si des mesures moins coercitives peuvent être appliquées avant de recourir à la privation de liberté. Le droit français répond à cette exigence par le mécanisme de l’assignation à résidence. La condition du passeport, si elle trouve une justification dans la prévention des risques de fuite, restreint néanmoins considérablement le champ d’application de cette alternative. L’ordonnance commentée illustre cette tension : le juge ne dispose d’aucune marge d’appréciation pour substituer l’assignation à la rétention dès lors que la condition légale fait défaut, indépendamment du comportement de l’intéressé ou de ses attaches sur le territoire.