Tribunal judiciaire de Meaux, le 14 juin 2025, n°25/02287

La rétention administrative des étrangers en situation irrégulière constitue l’une des manifestations les plus aiguës du pouvoir régalien de l’État. Elle soulève invariablement la question de l’équilibre entre les impératifs de maîtrise des flux migratoires et la protection des libertés individuelles. L’ordonnance rendue par le tribunal judiciaire de Meaux le 14 juin 2025 illustre cette tension permanente.

En l’espèce, un ressortissant algérien né le 22 septembre 2004 à Oran a fait l’objet d’un arrêté portant obligation de quitter le territoire français, pris le 26 février 2025 par le préfet de police de Paris. Le 10 juin 2025, le préfet du Val-de-Marne a ordonné son placement en rétention administrative, décision notifiée le même jour à 16 heures. Les autorités consulaires algériennes ont été saisies par courriel le 10 juin 2025 à 15h03.

Le préfet du Val-de-Marne a formé une requête en prolongation de la rétention, enregistrée au greffe le 13 juin 2025. L’intéressé, assisté d’un avocat commis d’office et d’un interprète en langue arabe, a comparu devant le juge des libertés et de la détention. La défense n’a émis aucune critique sur les diligences accomplies par l’administration. L’étranger ne disposait pas d’un passeport en cours de validité remis aux autorités.

Il convenait de déterminer si les conditions légales de prolongation de la rétention administrative étaient réunies, notamment au regard des exigences de proportionnalité temporelle et des garanties de représentation de l’intéressé.

Le juge a ordonné la prolongation de la rétention pour une durée de vingt-six jours, estimant la procédure régulière, les diligences administratives suffisantes et les conditions de l’assignation à résidence non remplies.

Le juge opère un contrôle rigoureux de la régularité formelle de la rétention, tout en se fondant sur l’absence de passeport valide pour écarter l’assignation à résidence (I). Cette décision révèle les limites du contrôle juridictionnel face à la marge d’appréciation préfectorale en matière de rétention (II).

I. Le contrôle juridictionnel de la régularité de la rétention administrative

Le juge des libertés et de la détention exerce un contrôle minutieux du respect des garanties procédurales (A), avant d’apprécier le caractère suffisant des diligences administratives (B).

A. La vérification du respect des garanties procédurales

Le magistrat procède à un examen systématique des conditions formelles de la rétention. Il relève que « la personne retenue a été, dans les meilleurs délais suivant la notification de la décision de placement en rétention, pleinement informée de ses droits et placée en état de les faire valoir à compter de son arrivée au lieu de rétention ». Cette formulation standard traduit la vigilance du juge quant au respect de l’article L. 741-3 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

L’ordonnance atteste de la présence d’un interprète assermenté en langue arabe, langue déclarée comprise par l’intéressé. L’assistance d’un avocat désigné d’office est également mentionnée. Ces garanties répondent aux exigences conventionnelles, notamment celles issues de l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme. Le juge s’assure ainsi que la privation de liberté s’accompagne des garanties minimales permettant à l’étranger de contester utilement sa situation.

La consultation de l’extrait individualisé du registre prévu à l’article L. 744-2 du même code complète ce contrôle. Ce registre constitue un instrument de traçabilité des conditions de rétention. Son examen permet de vérifier que l’information des droits a bien été délivrée dans un délai raisonnable.

B. L’appréciation des diligences administratives

Le juge constate que « la mesure d’éloignement n’a pu être mise à exécution dans le délai de quatre jours qui s’est écoulé depuis la décision de placement en rétention ». Ce constat justifie en soi le recours à la prolongation. L’ordonnance précise que l’administration « justifie de diligences en ce que les autorités consulaires algériennes ont été saisies par courriel le 10 juin 2025 à 15h03 ».

Cette saisine consulaire, intervenue quelques heures avant même la notification du placement en rétention à l’intéressé, témoigne d’une certaine célérité administrative. Le juge relève qu’aucune critique n’a été émise par la défense sur ce point. Cette absence de contestation facilite l’office du juge, qui n’a pas à se prononcer sur d’éventuelles carences.

La référence à l’article L. 751-9 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile rappelle que la rétention ne doit pas excéder « le temps strictement nécessaire au départ ». Le juge valide implicitement le caractère proportionné de la durée sollicitée. Les vingt-six jours de prolongation correspondent au maximum légal prévu pour la première prolongation par l’article L. 742-3 du même code.

II. Les limites du contrôle juridictionnel en matière de rétention

L’impossibilité d’une assignation à résidence est fondée sur l’absence de passeport valide (A), ce qui révèle un contrôle juridictionnel essentiellement formel (B).

A. L’obstacle dirimant de l’absence de passeport valide

Le juge énonce que « la personne retenue ne remplit pas les conditions d’une assignation à résidence, telles que fixées par l’article L. 743-13 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ». Il précise que l’intéressé « n’a pas préalablement remis à un service de police ou à une unité de gendarmerie un passeport en cours de validité ».

Cette condition constitue un préalable absolu. L’ordonnance ajoute une formule remarquable : l’assignation est exclue « quels que soient les mérites de ses garanties de représentation ». Le juge reconnaît ainsi implicitement que l’étranger pouvait présenter des garanties sérieuses de représentation. Ces garanties, habituellement déterminantes en matière de mesures alternatives à la détention, sont ici neutralisées par l’absence du document de voyage.

Cette interprétation stricte de l’article L. 743-13 résulte de la lettre même du texte. Le législateur a entendu subordonner l’assignation à résidence à la remise effective d’un passeport valide. Cette exigence vise à garantir la possibilité d’exécuter la mesure d’éloignement. Elle traduit une défiance à l’égard des étrangers dépourvus de documents d’identité, souvent soupçonnés de dissimuler leur nationalité pour faire obstacle à leur éloignement.

B. Un contrôle juridictionnel essentiellement formel

L’ordonnance illustre les limites inhérentes au contrôle exercé par le juge des libertés et de la détention en matière de rétention. Le magistrat vérifie la régularité procédurale et l’existence de diligences administratives. Il ne dispose cependant que d’une marge d’appréciation restreinte sur l’opportunité même de la mesure.

La conclusion du juge selon laquelle « rien ne s’oppose à ce que soit ordonnée la prolongation de la rétention administrative » révèle cette logique. L’absence d’irrégularité manifeste conduit mécaniquement à la prolongation. Le juge ne procède pas à une mise en balance approfondie entre la nécessité de la rétention et la situation personnelle de l’intéressé.

Cette approche s’explique par la répartition des compétences entre le juge judiciaire et le juge administratif. Le premier contrôle la privation de liberté. Le second apprécie la légalité de la mesure d’éloignement elle-même. Cette dualité juridictionnelle, si elle préserve les compétences respectives de chaque ordre, peut aboutir à un contrôle fragmenté des droits de l’étranger. La Cour européenne des droits de l’homme a rappelé à plusieurs reprises l’exigence d’un contrôle juridictionnel effectif des mesures privatives de liberté. L’ordonnance du tribunal judiciaire de Meaux s’inscrit dans une pratique juridictionnelle conforme aux textes, mais dont la portée protectrice demeure tributaire des conditions légales restrictives posées par le législateur.

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Hassan KOHEN
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