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Le contentieux de la rétention administrative constitue l’un des domaines dans lesquels la fonction de gardien de la liberté individuelle dévolue au juge judiciaire trouve son expression la plus concrète. L’ordonnance rendue le 15 juin 2025 par le tribunal judiciaire de Meaux en offre une illustration significative, puisqu’elle statue sur une demande de quatrième prolongation d’une mesure privative de liberté.
Les faits à l’origine de cette procédure concernent un ressortissant algérien, né le 11 janvier 1986, à l’encontre duquel le préfet des Hauts-de-Seine avait pris, le 1er avril 2025, un arrêté portant obligation de quitter le territoire français accompagné d’une décision de placement en rétention administrative. Cette mesure avait été notifiée à l’intéressé le même jour. Par ordonnance du 31 mai 2025, le magistrat du siège du tribunal judiciaire de Meaux avait prolongé la rétention pour une durée de quinze jours à compter du 30 mai 2025, décision confirmée par le premier président de la cour d’appel de Paris le 2 juin 2025.
Le 14 juin 2025, le préfet des Hauts-de-Seine saisissait le tribunal d’une requête aux fins de quatrième prolongation de la rétention pour une durée supplémentaire de quinze jours. L’administration invoquait à l’appui de sa demande la menace que le comportement de l’intéressé faisait peser sur l’ordre public.
La question posée au juge était celle de savoir si les conditions posées par l’article L. 742-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile pour autoriser une quatrième prolongation exceptionnelle de la rétention étaient réunies, et plus précisément si le comportement personnel de l’étranger constituait une menace actuelle et suffisamment caractérisée pour l’ordre public.
Le magistrat fait droit à la requête préfectorale. Il relève que l’intéressé a fait l’objet de quatre condamnations pénales entre 2019 et 2023 pour des faits de vol aggravé, violences conjugales, menaces de mort, évasion et escroquerie. Il en déduit que « la réalité, la gravité et l’actualité de la menace que constitue le comportement personnel de l’étranger pour l’ordre public sont caractérisées ». Il ordonne en conséquence la prolongation de la rétention pour quinze jours.
Cette décision mérite examen tant au regard de l’appréciation des conditions légales de la prolongation exceptionnelle (I) que des exigences pesant sur l’administration en matière de diligences (II).
I. L’appréciation de la menace à l’ordre public comme fondement de la prolongation exceptionnelle
Le magistrat procède à une caractérisation méthodique de la notion de menace à l’ordre public (A) tout en inscrivant son raisonnement dans une jurisprudence administrative établie (B).
A. Une caractérisation fondée sur l’analyse du comportement personnel
Le juge rappelle que l’article L. 742-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile subordonne la quatrième prolongation de la rétention à des circonstances exceptionnelles limitativement énumérées. Parmi celles-ci figure la menace pour l’ordre public. L’ordonnance précise que « cette qualification doit faire l’objet d’une appréciation in concreto tirée d’un ensemble d’éléments faisant ressortir la réalité des faits allégués, leur gravité, leur récurrence ou leur réitération ainsi que l’actualité de la menace ».
Cette formulation traduit l’exigence d’un examen individualisé. Le juge ne saurait se satisfaire d’une référence abstraite à des condamnations passées. Il lui appartient de vérifier que le comportement de l’étranger présente, au moment où il statue, un caractère dangereux pour l’ordre public. Le magistrat relève en l’espèce quatre condamnations prononcées entre 2019 et 2023. Les faits sanctionnés présentent une diversité notable : atteintes aux biens, violences intrafamiliales, menaces de mort et évasion. Leur répétition sur une période de quatre années témoigne d’une persistance dans la délinquance.
B. L’articulation avec la jurisprudence administrative
L’ordonnance cite expressément plusieurs décisions du Conseil d’État. Elle rappelle qu’aux termes de la jurisprudence administrative, « la commission d’une infraction pénale n’est pas de nature à elle seule à établir que le comportement de l’intéressé présenterait une menace pour l’ordre public ». Cette précision revêt une importance considérable. Elle interdit au juge de déduire automatiquement d’une condamnation l’existence d’une menace justifiant la prolongation.
Le magistrat ajoute que « l’appréciation de la menace doit prendre en considération les risques objectifs que l’étranger en situation irrégulière fait peser sur l’ordre public ». Cette référence à la décision du Conseil d’État du 7 mai 2015 souligne le caractère prospectif de l’analyse. Il ne s’agit pas seulement de sanctionner un passé délictueux mais d’évaluer un risque futur. La multiplicité des condamnations, leur gravité et leur caractère relativement récent permettent au juge de conclure à l’actualité de la menace.
II. Les exigences relatives aux diligences administratives et à l’absence d’alternative
La décision statue également sur les efforts accomplis par l’administration (A) et écarte la possibilité d’une assignation à résidence (B).
A. Le contrôle des diligences accomplies en vue de l’éloignement
Le magistrat note que « l’administration justifie de diligences et en particulier de relances régulières et en dernier le 30 mai 2025 ». Cette mention, bien que succincte, répond à une exigence légale. La prolongation de la rétention n’est admissible que si l’administration démontre qu’elle œuvre effectivement à l’exécution de la mesure d’éloignement.
Cette condition vise à prévenir les rétentions dilatoires. La privation de liberté ne saurait se poursuivre indéfiniment si l’éloignement n’apparaît plus réalisable dans un délai raisonnable. Le juge doit donc s’assurer que des démarches concrètes sont entreprises auprès des autorités consulaires. En l’espèce, l’ordonnance constate que des relances ont été effectuées sans en détailler la teneur. Cette motivation lapidaire pourrait susciter des interrogations quant à l’intensité du contrôle exercé. Elle suffit toutefois à satisfaire formellement l’exigence légale.
B. Le rejet de l’assignation à résidence
L’ordonnance écarte la possibilité d’une assignation à résidence au motif que l’intéressé « n’a pas préalablement remis à un service de police ou à une unité de gendarmerie un passeport en cours de validité ». Cette condition posée par l’article L. 743-13 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile constitue un préalable impératif. Le magistrat précise que cette exigence s’applique « quels que soient les mérites de ses garanties de représentation ».
Cette formulation mérite attention. Elle suggère que l’étranger pouvait faire valoir des éléments de nature à établir sa fiabilité. Le juge refuse cependant de les examiner dès lors que la condition documentaire n’est pas remplie. Cette interprétation stricte s’inscrit dans une logique de prévention du risque de fuite. Elle traduit également la méfiance du législateur à l’égard des mesures alternatives lorsque l’étranger ne peut justifier de son identité par la production d’un document officiel.
Cette ordonnance illustre la tension inhérente au contentieux de la rétention administrative. Le juge judiciaire doit concilier la protection de la liberté individuelle avec les impératifs de l’ordre public et l’exécution des mesures d’éloignement. En l’espèce, la gravité et la répétition des faits délictueux ont conduit le magistrat à privilégier la seconde considération. La décision s’inscrit dans une jurisprudence exigeante quant à la caractérisation de la menace tout en rappelant les limites du contrôle juridictionnel face aux conditions légales de l’assignation à résidence.