Tribunal judiciaire de Meaux, le 16 juin 2025, n°25/02318

Le contrôle de la légalité de la rétention administrative par le juge judiciaire constitue une garantie essentielle des libertés individuelles. L’ordonnance rendue par le tribunal judiciaire de Meaux le 16 juin 2025 illustre les exigences procédurales qui encadrent strictement le maintien des étrangers en local de rétention administrative.

En l’espèce, un ressortissant égyptien faisait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français prise le 6 juillet 2024 par le préfet de Seine-Saint-Denis. Le 17 mai 2025, le préfet des Hauts-de-Seine ordonnait son placement en rétention administrative, notifié le même jour à 16h15. L’intéressé était placé au local de rétention administrative de Nanterre le 17 mai 2025 à 20h20. Par ordonnance du 21 mai 2025, notifiée à 11h03, le juge des libertés et de la détention prolongeait la rétention pour vingt-six jours. Le transfert vers le centre de rétention administrative n’intervenait que le 22 mai 2025 à 14h30, soit plus de vingt-sept heures après la notification de la première prolongation. Le préfet des Hauts-de-Seine sollicitait ensuite, par requête du 15 juin 2025, une seconde prolongation de trente jours.

Le retenu invoquait l’irrégularité de la procédure résultant de son maintien illégal au local de rétention administrative après la première ordonnance de prolongation et l’impossibilité consécutive d’exercer ses droits.

La question posée au tribunal était de déterminer si le maintien d’un étranger dans un local de rétention administrative au-delà du délai prévu par les textes, en l’absence de tout recours exercé, constitue une irrégularité de nature à faire obstacle à la seconde prolongation de la rétention.

Le tribunal judiciaire de Meaux accueille le moyen de nullité et rejette la requête préfectorale. Il constate que le transfert est intervenu plus de vingt-sept heures après la décision de première prolongation alors que l’intéressé n’avait exercé aucun recours, son appel ultérieur ayant été déclaré irrecevable comme tardif.

Cette décision met en lumière les garanties procédurales protégeant la liberté individuelle des personnes retenues (I) et révèle la sanction rigoureuse du non-respect des délais de transfert (II).

I. Les garanties procédurales protectrices de la liberté individuelle

Le régime juridique du local de rétention administrative obéit à des règles strictes (A) dont l’application en l’espèce révèle un manquement caractérisé (B).

A. L’encadrement strict du maintien en local de rétention administrative

Le juge rappelle les termes de l’article R. 744-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile selon lequel « l’étranger ne peut être maintenu dans un local de rétention administrative après que le magistrat du siège du tribunal judiciaire a prolongé sa rétention en application de l’article L. 742-3 ». Cette disposition traduit la volonté du législateur de limiter dans le temps le placement en local de rétention administrative. Ces structures présentent des conditions matérielles moins adaptées qu’un centre de rétention administrative pour un séjour prolongé.

Le texte prévoit deux exceptions à cette interdiction de principe. D’une part, « en cas d’appel de l’ordonnance de prolongation, l’étranger peut y être maintenu jusqu’à ce que le président de la cour d’appel ait statué s’il n’y a pas de centre de rétention administrative dans le ressort de la cour d’appel ». D’autre part, « en cas de recours contre la décision d’éloignement sur lequel il est statué dans les délais prévus à l’article L. 614-9, l’étranger peut être maintenu dans le local jusqu’à ce qu’il ait été statué sur le recours s’il n’y a pas de centre de rétention dans le ressort du tribunal administratif ».

Ces dérogations s’expliquent par des impératifs pratiques liés à l’organisation territoriale des centres de rétention et à la nécessité de maintenir l’étranger à disposition de la justice. Le principe demeure néanmoins celui d’un transfert rapide vers un centre de rétention dès la première prolongation ordonnée.

B. Le constat d’un maintien irrégulier en l’absence de recours

L’ordonnance relève avec précision la chronologie des événements. L’intéressé a été placé au local de rétention administrative le 17 mai 2025 à 20h20. L’ordonnance de première prolongation lui a été notifiée le 21 mai 2025 à 11h03. Son transfert vers le centre de rétention n’est intervenu que le 22 mai 2025 à 14h30, pour une arrivée à 15h29.

Le tribunal constate ainsi un délai de plus de vingt-sept heures entre la notification de la prolongation et le transfert effectif. Cette durée excède manifestement le temps strictement nécessaire aux opérations matérielles de transfert.

Le juge observe par ailleurs, « à titre superfétatoire », que l’intéressé n’avait exercé aucun recours contre la décision de prolongation au moment où il aurait dû être transféré. L’appel qu’il a finalement interjeté le 22 mai 2025 à 17h48 est intervenu après son arrivée au centre de rétention et a été déclaré irrecevable comme tardif. Aucune des exceptions prévues par l’article R. 744-9 ne pouvait donc justifier son maintien prolongé au local de rétention.

II. La sanction rigoureuse du non-respect des délais de transfert

L’accueil du moyen de nullité emporte des conséquences procédurales importantes (A) et s’inscrit dans une logique de protection effective des droits fondamentaux (B).

A. L’effet libératoire de l’irrégularité constatée

Le tribunal accueille favorablement le moyen de nullité « sans qu’il soit nécessaire d’examiner plus avant les autres moyens soutenus ». Cette formulation révèle le caractère déterminant de l’irrégularité constatée. Le juge n’avait pas à se prononcer sur les autres arguments développés par la défense, notamment l’absence alléguée de droits au local de rétention.

La sanction est radicale puisque le tribunal rejette la requête préfectorale tendant à la seconde prolongation. L’ordonnance « dit n’y avoir lieu à seconde prolongation de la rétention administrative ». L’étranger recouvre ainsi sa liberté, sous réserve du délai de dix heures durant lequel il reste à la disposition de la justice pour permettre au procureur de la République de former éventuellement appel avec demande d’effet suspensif.

Le juge rappelle néanmoins à l’intéressé qu’il doit se conformer à l’obligation de quitter le territoire français. La remise en liberté ne fait pas disparaître la mesure d’éloignement qui demeure exécutoire.

B. La protection effective de la liberté individuelle

Cette décision illustre le rôle du juge judiciaire en tant que « gardien de la liberté individuelle » selon la formule consacrée par l’article 66 de la Constitution. Le tribunal rappelle d’ailleurs en préambule de ses motifs que « indépendamment de tout recours contre la décision de placement, le juge doit se prononcer en tant que gardien de la liberté individuelle sur la légalité de la rétention ».

Le contrôle exercé porte sur l’ensemble des conditions de la rétention et non uniquement sur les éléments invoqués par les parties. Le magistrat vérifie d’office la régularité de la procédure, la notification effective des droits et le respect des délais légaux.

L’article L. 743-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile pose certes une règle de forclusion selon laquelle « aucune irrégularité antérieure à l’audience relative à la première prolongation de la rétention ne peut être soulevée lors de l’audience relative à la seconde prolongation ». Cette règle vise à assurer la stabilité des décisions de justice et à éviter la remise en cause perpétuelle des irrégularités anciennes. Elle ne s’applique toutefois qu’aux irrégularités antérieures à la première audience. Le maintien illégal au local de rétention est postérieur à cette audience et pouvait donc être utilement invoqué.

Cette ordonnance confirme l’exigence de rigueur procédurale qui s’impose à l’administration dans la mise en œuvre des mesures privatives de liberté. Le non-respect des délais de transfert, même pour une durée apparemment limitée, constitue une atteinte à la liberté individuelle que le juge judiciaire se doit de sanctionner.

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Hassan KOHEN
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