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Par une ordonnance du 17 juin 2025, le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Meaux a statué sur la troisième prolongation d’une mesure de rétention administrative concernant un ressortissant tunisien.
Les faits à l’origine de cette procédure sont les suivants. Le 26 décembre 2024, le préfet de Loire-Atlantique a pris un arrêté portant obligation de quitter le territoire français à l’encontre de l’intéressé. Le 18 avril 2025, le préfet de la Seine-Saint-Denis a ordonné son placement en rétention administrative, mesure notifiée le même jour à 18h58. Par ordonnance du 18 mai 2025, le juge des libertés et de la détention de Meaux a prolongé cette rétention pour trente jours, décision confirmée le 20 mai 2025 par le premier président de la cour d’appel de Paris.
Sur le plan procédural, le préfet de la Seine-Saint-Denis a saisi le tribunal le 16 juin 2025 aux fins d’obtenir une troisième prolongation de quinze jours. La personne retenue, régulièrement convoquée, a fait savoir qu’elle ne souhaitait pas comparaître. L’audience s’est tenue en présence de son avocat commis d’office et du conseil de la préfecture. Le ministère public, régulièrement avisé, était absent.
La question de droit soumise au juge était celle de savoir si les conditions légales permettant une troisième prolongation exceptionnelle de la rétention administrative étaient réunies, notamment au regard de la menace pour l’ordre public invoquée par l’administration.
Le tribunal a accueilli la requête préfectorale. Il a considéré que « la récurrence des condamnations prononcées et la réitération de comportements déviants suffisent à caractériser la réalité, la gravité et l’actualité de la menace que constitue le comportement personnel de l’étranger pour l’ordre public ». La rétention a été prolongée pour quinze jours à compter du 16 juin 2025.
Cette décision illustre les conditions restrictives encadrant la troisième prolongation de la rétention administrative (I) tout en posant la question de l’appréciation concrète de la menace pour l’ordre public (II).
I. Le régime exceptionnel de la troisième prolongation de la rétention administrative
Le caractère dérogatoire de cette mesure résulte tant des conditions légales strictement définies (A) que du contrôle juridictionnel spécifique qui l’accompagne (B).
A. Les conditions alternatives prévues par l’article L. 742-5 du CESEDA
L’article L. 742-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile énumère limitativement les hypothèses permettant une troisième prolongation. Le tribunal rappelle que « le magistrat du siège peut à titre exceptionnel être à nouveau saisi » lorsque certaines circonstances sont caractérisées. Ces conditions tiennent soit au comportement de l’étranger, soit à des circonstances extérieures.
L’ordonnance précise utilement que « ces conditions ne sont pas cumulatives ». Cette précision revêt une importance pratique considérable. L’administration peut ainsi fonder sa demande sur un seul des critères légaux. En l’espèce, le préfet s’est exclusivement appuyé sur la menace pour l’ordre public sans invoquer d’obstruction à l’éloignement ni de demande d’asile dilatoire.
Le législateur a entendu concilier deux impératifs. D’une part, il limite la durée maximale de la rétention conformément aux exigences constitutionnelles et conventionnelles. D’autre part, il permet à l’administration de disposer du temps nécessaire à l’exécution effective de la mesure d’éloignement dans des situations particulières.
B. L’office restreint du juge judiciaire gardien de la liberté individuelle
Le tribunal affirme sa compétence de « gardien de la liberté individuelle » pour contrôler la légalité de la rétention. Cette mission découle de l’article 66 de la Constitution. Elle s’exerce toutefois dans un cadre strictement délimité par le principe de séparation des pouvoirs.
L’ordonnance rappelle qu’« en vertu du principe de la séparation des pouvoirs, c’est au juge administratif qu’il revient d’apprécier la légalité et l’opportunité, ou la nécessité, pour l’administration d’éloigner de France un étranger ». Le juge judiciaire ne peut donc se prononcer sur le bien-fondé de l’obligation de quitter le territoire français ni sur la pertinence du placement en rétention.
Cette répartition des compétences présente des inconvénients pour le justiciable. Elle l’oblige à saisir deux ordres de juridiction distincts pour contester l’ensemble des mesures le concernant. La cohérence de cette dualité fait l’objet de critiques doctrinales récurrentes.
II. L’appréciation in concreto de la menace pour l’ordre public
Le tribunal développe une méthode d’analyse fondée sur des critères précis (A) dont l’application au cas d’espèce mérite examen (B).
A. Les critères jurisprudentiels de qualification de la menace
L’ordonnance énonce que « cette qualification doit faire l’objet d’une appréciation in concreto tirée d’un ensemble d’éléments faisant ressortir la réalité des faits allégués, leur gravité, leur récurrence ou leur réitération ainsi que l’actualité de la menace ». Cette formulation synthétise l’état du droit positif en la matière.
Le tribunal s’appuie expressément sur la jurisprudence du Conseil d’État. Il cite les arrêts du 16 mars 2005 et du 12 février 2014 pour rappeler que « la commission d’une infraction pénale n’est pas de nature à elle seule à établir que le comportement de l’intéressé présenterait une menace pour l’ordre public ». Il mentionne également l’arrêt du 7 mai 2015 exigeant la prise en compte des « risques objectifs » pesant sur l’ordre public.
Cette grille d’analyse protège l’étranger contre une appréciation abstraite fondée sur sa seule situation administrative. Elle impose à l’administration et au juge d’examiner concrètement le comportement individuel. La menace doit être actuelle et non simplement passée.
B. La caractérisation de la menace en l’espèce
Le tribunal examine le bulletin numéro deux du casier judiciaire de l’intéressé qui « porte trace de 5 condamnations ». Il détaille les deux dernières. La condamnation du 2 septembre 2022 par le tribunal correctionnel de Saint-Nazaire à trois mois d’emprisonnement concernait des faits de conduite malgré suspension du permis et défaut d’assurance.
La condamnation la plus significative a été prononcée par la chambre des appels correctionnels de Rennes. La peine s’élevait à quinze mois d’emprisonnement pour « refus d’obtempérer, transport sans motif légitime d’arme blanche ou incapacitante, recel de vol, conduite d’un véhicule à moteur malgré l’annulation judiciaire du permis de conduire ». Une peine complémentaire de trois mois sanctionnait le refus de prélèvement biologique.
L’actualité de la menace est caractérisée par les circonstances de l’interpellation ayant précédé le placement en rétention. L’intéressé conduisait « de nouveau un véhicule malgré l’annulation judiciaire de son permis de conduire ». Cette réitération du même comportement délictuel justifie, selon le tribunal, que « la requête préfectorale en troisième prolongation de la rétention administrative soit accueillie ».
La motivation retenue paraît conforme aux exigences jurisprudentielles. Elle repose sur des éléments objectifs et vérifiables. Elle établit tant la gravité des faits que leur caractère répétitif et actuel. La décision s’inscrit dans une jurisprudence constante relative à l’appréciation de la menace pour l’ordre public en matière de rétention administrative.