Tribunal judiciaire de Meaux, le 17 juin 2025, n°25/02341

Le contrôle juridictionnel de la rétention administrative constitue l’une des garanties fondamentales de la liberté individuelle des étrangers faisant l’objet d’une mesure d’éloignement. L’ordonnance rendue par le tribunal judiciaire de Meaux le 17 juin 2025 illustre l’exigence avec laquelle le juge des libertés apprécie les conditions légales d’une troisième prolongation de rétention.

En l’espèce, un ressortissant malien né le 1er mars 1999 faisait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français prononcée par le préfet du Val-d’Oise le 18 avril 2025, assortie d’un placement en rétention administrative notifié le même jour. Une première prolongation de trente jours avait été ordonnée le 18 mai 2025, confirmée en appel le 20 mai 2025. Le 16 juin 2025, le préfet du Val-d’Oise saisissait le tribunal judiciaire de Meaux aux fins d’obtenir une troisième prolongation de quinze jours.

Le préfet sollicitait cette prolongation sur le fondement du défaut de délivrance des documents de voyage par les autorités consulaires maliennes, saisies le 18 avril 2025. La défense contestait la réunion des conditions légales permettant cette prolongation exceptionnelle.

La question posée au magistrat du siège était de déterminer si les conditions alternatives prévues à l’article L. 742-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile étaient réunies pour justifier une troisième prolongation de la rétention administrative.

Le juge rejette la requête préfectorale en constatant qu’aucune des conditions légales n’est satisfaite. Il relève l’absence d’obstruction de l’intéressé, l’absence de demande dilatoire, le défaut de perspective de délivrance à bref délai d’un document de voyage et l’absence de menace à l’ordre public.

Cette ordonnance mérite examen tant au regard des conditions strictes encadrant la troisième prolongation de rétention (I) qu’en raison de l’appréciation rigoureuse portée par le juge sur la diligence des autorités consulaires (II).

I. L’encadrement strict des conditions de la troisième prolongation de rétention

Le régime dérogatoire de la troisième prolongation impose au juge une vérification minutieuse des critères légaux (A) et conduit à écarter toute responsabilité de la personne retenue dans l’échec de son éloignement (B).

A. Le caractère exceptionnel de la troisième prolongation

L’article L. 742-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoit que le magistrat du siège « peut à titre exceptionnel être à nouveau saisi pour une troisième prolongation de quinze jours ». Cette formulation traduit la volonté du législateur de limiter la durée maximale de privation de liberté dans le cadre administratif.

Le juge rappelle que cette prolongation suppose la réunion d’au moins l’une des conditions alternatives limitativement énumérées par le texte. L’obstruction à l’exécution de la mesure d’éloignement, la présentation d’une demande dilatoire d’asile ou de protection pour raisons médicales, le défaut de délivrance des documents de voyage avec perspective imminente, l’urgence absolue ou la menace pour l’ordre public constituent ce catalogue exhaustif.

L’ordonnance souligne que « si les conditions précitées ne sont pas cumulatives, aucune d’entre-elles n’apparait remplie ». Cette formulation illustre la méthode d’analyse du juge qui examine successivement chaque hypothèse légale avant de conclure à l’impossibilité de prolonger la rétention. Le caractère alternatif des conditions n’allège pas l’exigence probatoire pesant sur l’administration.

B. L’absence de comportement obstructif imputable au retenu

Le magistrat constate que « M. [le retenu] n’a commis aucune obstruction dans les 15 derniers jours, ni tenté d’actions ayant pour seul but de faire échec à la mesure d’éloignement ». Cette appréciation temporelle est déterminante puisque seuls les comportements survenus durant la période de référence peuvent justifier la prolongation sollicitée.

L’absence de condamnation et l’absence de mention au Fichier Automatisé des Empreintes Digitales excluent également le critère de la menace à l’ordre public. Le juge relève d’ailleurs que « le préfet ne sollicite pas la prolongation sur ce motif ». Cette précision manifeste l’attention portée aux moyens effectivement invoqués par l’autorité requérante.

Le comportement irréprochable de la personne retenue pendant la durée de sa privation de liberté constitue un élément central du raisonnement. La rétention ne saurait se prolonger indéfiniment lorsque l’étranger n’oppose aucune résistance à son éloignement et que les difficultés proviennent exclusivement de l’inertie des autorités consulaires.

II. L’appréciation rigoureuse de la diligence des autorités consulaires

Le juge examine avec précision les éléments relatifs aux démarches d’identification consulaire (A) et tire les conséquences de l’absence de perspective concrète d’éloignement (B).

A. Le constat de l’inertie des autorités consulaires maliennes

L’ordonnance relève que les autorités consulaires maliennes ont été « saisies le 18 avril 2025 et relancées par l’Unité Centrale d’Identification qui indique le 10 juin 2025 ne pas avoir eu de réponse de la part de ces dernières ». Ce délai de près de deux mois sans aucune réponse démontre l’absence de coopération consulaire effective.

Le juge mentionne également un courriel de l’Unité Centrale d’Identification daté du 2 juin 2025 précisant « qu’il serait très compliqué d’obtenir une reconnaissance de l’intéressé que les autorités consulaires italiennes avaient refusé de réadmettre ». Cette référence à un refus de réadmission par l’Italie suggère un parcours migratoire complexe et des difficultés persistantes d’identification.

La condition légale exige que « cette délivrance doit intervenir à bref délai ». Or le magistrat constate que « la délivrance à bref délai d’un document de voyage n’est pas établie ». L’administration ne produit aucun élément permettant d’anticiper une évolution favorable de la situation consulaire.

B. L’impossibilité de prolonger la rétention faute de perspective d’éloignement

Le rejet de la requête préfectorale traduit l’exigence jurisprudentielle selon laquelle la rétention administrative ne peut se justifier que par une perspective raisonnable d’éloignement. Priver une personne de liberté alors qu’aucun départ n’apparaît envisageable à brève échéance méconnaîtrait la finalité même du dispositif.

Le législateur a voulu que la troisième prolongation ne serve pas à compenser les défaillances de la coopération consulaire. L’étranger ne saurait subir les conséquences d’une inertie administrative sur laquelle il n’a aucune prise. Le juge des libertés assume pleinement son rôle de gardien de la liberté individuelle en refusant de valider une privation de liberté dépourvue de justification objective.

Cette ordonnance s’inscrit dans une jurisprudence constante qui refuse d’instrumentaliser la rétention administrative. La protection de la liberté individuelle impose que chaque prolongation réponde à des conditions strictement définies et effectivement vérifiées. Le contrôle juridictionnel garantit ainsi que la durée de rétention demeure proportionnée aux nécessités de l’éloignement.

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Hassan KOHEN
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