Tribunal judiciaire de Meaux, le 18 juin 2025, n°25/00452

Tribunal judiciaire de Meaux, ordonnance de référé du 18 juin 2025, n° RG 25/00452, n° Portalis DB2Y-W-B7J-CD5JT. La demande visait l’ordonnance d’une expertise in futurum afin de conserver et d’établir des preuves relatives à des dysfonctionnements mécaniques apparus après des interventions sur un véhicule. Des examens contradictoires successifs, puis un rapport technique, ont relevé d’importantes anomalies et des fuites, sans permettre d’en fixer l’origine certaine. Après échanges infructueux, la partie demanderesse a saisi le juge des référés sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile. La partie défenderesse a sollicité l’extension de la mission aux antécédents techniques du véhicule. Le juge a rappelé la définition textuelle du fondement, selon laquelle « S’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées ». Il a relevé que « A ce stade, l’origine véritable des désordres n’est pas déterminée », puis a jugé que « les conditions d’application des dispositions de l’article 145 du code de procédure civile sont réunies ». Il a ordonné l’expertise sollicitée, admis l’extension de mission demandée, fixé une consignation, et laissé les dépens à la charge de la demanderesse.

I. Les conditions de l’expertise in futurum

A. L’exigence d’un motif légitime caractérisée
Le juge fonde son analyse sur le texte de l’article 145, qu’il cite intégralement, et sur les éléments techniques déjà produits. L’ordonnance souligne l’existence d’indices précis et concordants, issus de deux examens contradictoires et d’un rapport d’expertise amiable, révélant des dysfonctionnements significatifs. La motivation insiste sur l’incertitude encore persistante quant à leur cause, ce qui justifie une mesure préventive. La formule « A ce stade, l’origine véritable des désordres n’est pas déterminée » cristallise cette indétermination factuelle, condition centrale pour ouvrir l’office probatoire du juge des référés.

L’appréciation du « motif légitime » demeure concrète et finalisée par l’objectif probatoire. Le juge retient que la mesure « aura également pour but de conserver et/ou établir des preuves avant, le cas échéant, tout procès au fond ». La nécessité de sauvegarder des éléments techniques susceptibles de se dégrader avec le temps renforce la pertinence du recours à l’article 145. L’ordonnance articule clairement la fonction conservatoire de l’expertise et sa contribution à l’émergence d’un débat éclairé, sans anticiper sur la responsabilité.

B. La neutralité de la mesure et l’absence d’empiètement sur le fond
Le juge veille à circonscrire l’expertise à une fonction d’éclairage. Il rappelle que « le débat sur la teneur et l’imputabilité des désordres relève du juge du fond », et que l’expertise ordonnée n’a pas pour objet de trancher la responsabilité. Cette mise au point méthodologique garantit la neutralité de la mesure, qui doit établir des constats techniques, dater l’apparition des désordres et en rechercher les causes, sans qualifier juridiquement les faits.

La mission ordonnée reflète cette prudence. Elle invite l’expert à « procéder à l’examen du véhicule en cause », à « décrire son état et vérifier si les désordres allégués existent », puis, le cas échéant, à en préciser la nature, l’impact sur l’usage, la décelabilité par un acheteur non professionnel, ou l’incidence d’un défaut d’entretien. Cette rédaction évite d’orienter l’expert vers une appréciation normative et maintient l’instruction sur le terrain strictement technique. L’ordonnance distingue ainsi clairement l’établissement de la preuve et l’attribution ultérieure des responsabilités.

II. L’étendue de la mission et son contrôle

A. Le pouvoir de configuration de la mission par le juge
Saisie d’une demande d’extension, la juridiction retient que « Les juges fixent souverainement l’étendue de la mission confiée à l’expert », rappelant une jurisprudence constante. Elle ajoute que « le rapport d’expertise judiciaire est un élément servant à éclairer le juge non à le contraindre », soulignant le statut non impératif de la pièce technique dans l’économie du procès. Le contrôle porte sur la frontière entre l’éclairage factuel et l’analyse juridique, l’ordonnance rappelant que « Le contenu des missions doit éviter d’orienter l’expert vers une appréciation juridique des prétentions des parties ».

Dans ce cadre, l’extension relative à l’historique du véhicule ne déborde pas la sphère technique. Retracer les interventions, dater des incidents, vérifier un éventuel accident et en apprécier l’incidence mécanique constituent des opérations de fait. Elles répondent à l’objectif d’identification des causes possibles et de hiérarchisation des hypothèses techniques. En outre, l’ordonnance articule cette extension avec l’économie générale de la mission, qui vise à « fournir tous éléments techniques et de fait de nature à permettre, le cas échéant, à la juridiction compétente de déterminer les responsabilités encourues ». L’extension est donc cohérente avec l’office probatoire assigné.

B. La proportionnalité et les garanties procédurales retenues
La décision encadre la mission par des garanties procédurales détaillées, qui protègent le contradictoire et la proportionnalité des investigations. L’expert doit « convoquer et entendre les parties » et « se faire remettre toutes pièces utiles », ce qui consacre la coproduction du matériau technique. Elle prévoit, « à l’issue de la première réunion d’expertise », la définition concertée d’un calendrier et d’une enveloppe financière, ainsi que l’information régulière des parties sur les mises en cause nécessaires et l’évolution des frais.

La phase conclusive est également structurée. L’ordonnance exige l’envoi d’un « document de synthèse » et fixe des délais utiles pour observations, en rappelant, « au visa de l’article 276 alinéa 2 », que l’expert n’est pas tenu de retenir les observations tardives. La consignation de 2 500 euros, « Fixons à la somme de 2500 € la provision concernant les frais d’expertise », et le délai impératif de versement, assurent la faisabilité matérielle de la mission, tout en responsabilisant le demandeur sur le coût de l’instruction probatoire. Le choix de laisser les dépens à la charge du demandeur, s’agissant d’une mesure fondée sur l’article 145, s’accorde avec la logique d’une initiative probatoire conservatoire.

Cette architecture reprend les principes dégagés par la jurisprudence. L’expertise n’advient qu’« dans le cas où des constatations ou une consultation ne pourraient suffire à éclairer le juge » et l’expert intervient en vertu du pouvoir confié par les articles 232 et 265, qui commandent une mission exposée, bornée et utile. L’ordonnance décline ces exigences en prescriptions opérationnelles, de l’adossement à un calendrier à la formalisation d’une synthèse contradictoire, garantissant que l’extension de la mission demeure proportionnée au but probatoire poursuivi.

L’ensemble présente une cohérence solide. La juridiction a caractérisé le motif légitime par des éléments techniques concrets, a refusé toute anticipation sur la responsabilité, et a calibré l’extension de mission au plus près des nécessités factuelles. L’encadrement procédural et financier renforce la proportionnalité de la mesure et prévient les dérives exploratoires. Enfin, la mise en exergue du rôle non contraignant du rapport, conjuguée à la souveraineté des juges quant à l’étendue de la mission, confirme un équilibre conforme au droit positif, respectueux du contradictoire et ordonné à la recherche efficace de la vérité des faits.

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Hassan KOHEN
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