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La rétention administrative des étrangers en situation irrégulière constitue une mesure privative de liberté encadrée par des garanties procédurales strictes. Le contrôle du juge des libertés et de la détention sur la régularité et la nécessité de cette rétention revêt une importance particulière lorsque l’administration sollicite des prolongations successives, a fortiori lorsqu’elle invoque une menace pour l’ordre public.
Par une ordonnance du 18 juin 2025, le magistrat du siège du tribunal judiciaire de Meaux a statué sur une requête en quatrième prolongation d’une mesure de rétention administrative.
Les faits de l’espèce sont les suivants. Un ressortissant algérien, né le 20 août 1999, a fait l’objet le 29 avril 2022 d’un arrêté portant obligation de quitter le territoire français pris par le préfet de la Seine-Saint-Denis. Par décision du 3 avril 2025, ce même préfet a ordonné son placement en rétention administrative. La mesure a été prolongée à plusieurs reprises, notamment par ordonnance du 3 juin 2025 pour une durée de quinze jours à compter du 2 juin 2025, décision confirmée le 5 juin 2025 par le premier président de la cour d’appel de Paris.
Le 17 juin 2025, le préfet de la Seine-Saint-Denis a saisi le tribunal judiciaire de Meaux d’une requête aux fins de quatrième prolongation de la rétention pour une durée de quinze jours supplémentaires. L’administration fondait sa demande sur la menace que représenterait l’intéressé pour l’ordre public.
La procédure s’est déroulée en audience publique, en présence d’un interprète en langue arabe, langue déclarée comprise par le retenu. L’intéressé était assisté d’un avocat commis d’office, tandis que la préfecture était représentée par un avocat. Le procureur de la République, régulièrement avisé, n’était pas présent.
Le magistrat devait déterminer si les conditions d’une quatrième prolongation exceptionnelle de la rétention administrative étaient réunies au sens de l’article L. 742-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, et plus particulièrement si le comportement de l’intéressé constituait une menace pour l’ordre public.
Le tribunal a déclaré la requête recevable et la procédure régulière, puis a ordonné la quatrième prolongation de la rétention pour une durée de quinze jours à compter du 17 juin 2025.
Cette décision mérite examen tant au regard des conditions de fond de la quatrième prolongation (I) que du contrôle juridictionnel exercé sur la notion de menace pour l’ordre public (II).
I. Les conditions restrictives de la quatrième prolongation de la rétention administrative
Le régime de la quatrième prolongation repose sur un caractère exceptionnel clairement affirmé par le législateur (A), qui impose au juge une vérification des hypothèses alternatives prévues par le code (B).
A. Le caractère exceptionnel de la quatrième prolongation
L’ordonnance rappelle les termes de l’article L. 742-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile qui dispose que « le magistrat du siège peut à titre exceptionnel être à nouveau saisi pour une quatrième prolongation de quinze jours ». Cette formulation révèle la volonté du législateur de limiter strictement le recours à cette mesure qui porte la durée totale de rétention à soixante-quinze jours.
Le magistrat précise que les conditions alternatives posées par ce texte « ne sont pas cumulatives ». Cette précision méthodologique est importante car l’article L. 742-5 énumère plusieurs hypothèses distinctes : l’obstruction à l’exécution de la mesure d’éloignement, la présentation dilatoire d’une demande d’asile ou d’une demande de prise en charge médicale, le défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat, l’urgence absolue ou la menace pour l’ordre public. La satisfaction d’une seule de ces conditions suffit à justifier la prolongation.
Le choix du législateur d’instituer une quatrième prolongation exceptionnelle traduit la recherche d’un équilibre entre l’effectivité des mesures d’éloignement et le respect de la liberté individuelle. La jurisprudence constitutionnelle impose en effet que la rétention ne puisse excéder le temps strictement nécessaire à l’organisation du départ. L’accumulation des prolongations successives ne saurait conduire à une privation de liberté disproportionnée.
B. La pluralité des hypothèses légales de prolongation
L’ordonnance mentionne l’ensemble des cas de figure prévus par l’article L. 742-5 avant de retenir le motif tiré de la menace pour l’ordre public. Cette présentation exhaustive des hypothèses légales témoigne de la rigueur méthodologique du juge qui vérifie le cadre juridique applicable avant d’examiner les faits de l’espèce.
La préfecture n’invoquait pas en l’occurrence une obstruction de l’intéressé à la mesure d’éloignement, ni un défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat algérien. Elle ne se prévalait pas davantage d’une demande d’asile dilatoire ou d’une urgence absolue. Le fondement exclusif de la requête résidait dans la menace pour l’ordre public.
Ce choix procédural n’est pas neutre. L’invocation de la menace pour l’ordre public dispense l’administration de démontrer un comportement obstructif de l’étranger ou une défaillance consulaire. Elle repose sur une appréciation du comportement personnel de l’intéressé qui peut se fonder sur des éléments antérieurs à la mesure d’éloignement elle-même. Cette circonstance confère au motif d’ordre public une portée particulière dans le contentieux de la rétention.
II. L’appréciation in concreto de la menace pour l’ordre public
Le contrôle juridictionnel de la menace pour l’ordre public obéit à une méthode d’appréciation définie par la jurisprudence administrative (A), dont l’application au cas d’espèce révèle une caractérisation rigoureuse des éléments constitutifs (B).
A. Les critères jurisprudentiels de la menace pour l’ordre public
L’ordonnance énonce que « la qualification doit faire l’objet d’une appréciation in concreto tirée d’un ensemble d’éléments faisant ressortir la réalité des faits allégués, leur gravité, leur récurrence ou leur réitération ainsi que l’actualité de la menace que constitue le comportement personnel de l’étranger pour l’ordre public ». Cette formulation synthétise la grille d’analyse dégagée par le Conseil d’État.
Le magistrat rappelle par ailleurs que « la commission d’une infraction pénale n’est pas de nature à elle seule à établir que le comportement de l’intéressé présenterait une menace pour l’ordre public », citant deux décisions du Conseil d’État des 16 mars 2005 et 12 février 2014. Il ajoute que « l’appréciation de la menace doit prendre en considération les risques objectifs que l’étranger en situation irrégulière fait peser sur l’ordre public », en référence à une décision du 7 mai 2015.
Ces références jurisprudentielles traduisent l’exigence d’une analyse individualisée qui dépasse le simple constat d’antécédents pénaux. La notion de menace pour l’ordre public suppose une projection dans l’avenir, fondée sur des éléments concrets permettant de caractériser un risque actuel. Cette approche préventive se distingue de la logique répressive du droit pénal.
B. La caractérisation de la menace en l’espèce
L’application de ces critères au cas d’espèce conduit le tribunal à relever que l’intéressé « a fait l’objet de 10 signalisations entre 2022 et 2025 au Fichier Automatisé des Empreintes Digitales sous divers alias ». L’énumération des faits reprochés est détaillée : soustraction à l’exécution d’une obligation de quitter le territoire français, vol aggravé avec violences, port d’arme blanche sans motif légitime, recel habituel, vol simple, vol en réunion avec violences, dégradation avec effraction, violation de domicile, vol par effraction, détention de stupéfiants à deux reprises, détention frauduleuse de tabac.
Le magistrat ajoute « qu’au surplus, la procédure de garde à vue immédiatement antérieure à la rétention concerne des faits de violence aggravée par 3 circonstances suivie d’incapacité n’excédant pas 8 jours ». Cette mention de faits récents renforce le critère de l’actualité de la menace.
Le tribunal conclut qu’« ainsi la réalité, la gravité, la récurrence et l’actualité de la menace que constitue le comportement personnel de l’étranger pour l’ordre public sont caractérisées ». Les quatre critères dégagés par la jurisprudence sont expressément visés et considérés comme satisfaits. Le juge relève en outre que « cette menace à l’ordre public a par ailleurs été retenue par le juge à l’occasion de la troisième prolongation en date du 3 juin 2025 et confirmée par la cour d’appel le 5 juin 2025 ».
Cette référence aux décisions antérieures participe d’une logique de cohérence juridictionnelle. La confirmation par la cour d’appel de Paris confère une autorité renforcée à l’appréciation de la menace pour l’ordre public. Le tribunal judiciaire de Meaux s’inscrit dans la continuité de cette analyse sans pour autant se dispenser d’un examen propre des éléments du dossier. La motivation adoptée démontre que le juge a procédé à une vérification personnelle des critères légaux et jurisprudentiels, garantissant ainsi l’effectivité du contrôle de la privation de liberté.