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Le contrôle juridictionnel des hospitalisations psychiatriques sans consentement constitue une garantie fondamentale des libertés individuelles. Le tribunal judiciaire de Meaux, par une ordonnance du 19 juin 2025, illustre les exigences de cette mission dans un contexte où la protection de la personne vulnérable se heurte aux contestations procédurales.
Une femme née en 1983 a été admise le 11 juin 2025 au centre hospitalier de Marne-la-Vallée, sans son consentement, pour des soins psychiatriques décidés par le directeur de l’établissement à la demande d’un tiers en urgence. Le tiers à l’origine de cette demande était le directeur de la résidence où demeurait l’intéressée. L’admission faisait suite à des « menaces suicidaires avec propos délirants », une « désorganisation psychique », de la « méfiance avec réticence » ainsi que des « idées de persécution et d’incurabilité ». La patiente avait notamment menacé de se jeter sous un bus.
Le directeur de l’établissement a saisi le juge des libertés et de la détention le 17 juin 2025, conformément au délai légal de douze jours prévu pour le contrôle juridictionnel. L’audience s’est tenue le 19 juin 2025 dans la salle aménagée au sein de l’établissement hospitalier. La patiente, assistée de son avocate, a contesté le principe de son hospitalisation et souhaité sortir. Son conseil a soulevé plusieurs moyens tenant à l’absence de motivation suffisante des certificats médicaux, notamment quant aux risques de passage à l’acte, à l’absence d’éléments relatifs à une éventuelle interruption des traitements antérieurs, et a proposé une solution d’hébergement chez l’oncle de l’intéressée.
La question posée au tribunal était de déterminer si les conditions légales de la poursuite de l’hospitalisation complète sans consentement étaient réunies, malgré les irrégularités alléguées et l’existence d’une solution alternative d’hébergement.
Le tribunal judiciaire de Meaux a ordonné la poursuite de la mesure d’hospitalisation complète. Il a écarté successivement les trois moyens soulevés par la défense. Sur l’absence de motivation relative aux risques de passage à l’acte, le juge a relevé que « si les médecins n’ont certes pas relevé d’indications spécifiques relatives aux risques susmentionnés, force est de constater que les motivations se rapportant à des risques de persécution ont conduit le corps médical à confirmer la nécessité d’une poursuite d’hospitalisation ». Sur l’absence d’éléments concernant l’interruption des traitements, le tribunal a estimé que « la nécessité d’une hospitalisation sans consentement est parfaitement étayée ». Enfin, sur le projet de sortie, le juge a constaté qu’« aucune pièce justificative n’est fournie au soutien d’une telle demande ».
Cette décision mérite examen tant au regard de la réponse apportée aux contestations de forme soulevées par la défense (I) que de l’appréciation portée sur le maintien de la contrainte au fond (II).
I. L’appréciation souveraine des exigences formelles de la procédure d’hospitalisation
Le tribunal a dû se prononcer sur la conformité des certificats médicaux aux exigences légales (A) avant d’examiner la question de la continuité du suivi psychiatrique antérieur (B).
A. La suffisance contestée de la motivation médicale
L’article L. 3212-1 du code de la santé publique impose que les certificats médicaux établissent l’existence de troubles mentaux rendant impossible le consentement et justifiant des soins immédiats. Le conseil de la patiente soutenait que les certificats ne mentionnaient pas les risques de passage à l’acte, lacune qui aurait dû emporter l’irrégularité de la procédure.
Le tribunal a rejeté cette argumentation par une motivation révélatrice de sa conception du contrôle. Il reconnaît explicitement l’absence d’indications spécifiques sur les risques de passage à l’acte dans les certificats. Cette concession est remarquable car elle admet une carence rédactionnelle des praticiens. Le juge opère toutefois un déplacement du raisonnement en considérant que « les motivations se rapportant à des risques de persécution ont conduit le corps médical à confirmer la nécessité d’une poursuite d’hospitalisation ».
Cette approche téléologique de la motivation médicale soulève une interrogation. Les idées de persécution constituent un symptôme décrit mais ne caractérisent pas en eux-mêmes le risque d’atteinte à l’intégrité de la personne exigé par le texte. Le tribunal semble considérer que la cohérence globale du tableau clinique supplée aux insuffisances ponctuelles de la motivation. Cette lecture pragmatique favorise l’efficacité de la mesure de protection mais pourrait fragiliser les garanties procédurales si elle était systématisée.
La jurisprudence de la Cour de cassation exige une motivation circonstanciée des certificats médicaux. L’ordonnance commentée adopte une position nuancée qui privilégie l’appréciation d’ensemble du dossier médical sur l’examen formel de chaque pièce. Cette souplesse peut se justifier par l’urgence et la finalité protectrice de la mesure. Elle n’en reste pas moins susceptible de discussion.
B. L’indifférence apparente à la continuité thérapeutique
Le second moyen soulevé par la défense portait sur l’absence d’éléments relatifs à une éventuelle suspension ou interruption des traitements antérieurs. Cette question revêtait une importance particulière dès lors que la patiente était « connue des services de la psychiatrie ».
Le tribunal a écarté ce moyen par une formule péremptoire. Il constate que le corps médical ne fait pas état de suspension ou d’interruption des soins antérieurs puis affirme que « la nécessité d’une hospitalisation sans consentement est parfaitement étayée ». Le lien logique entre ces deux propositions n’apparaît pas clairement.
L’absence de rupture thérapeutique aurait pu constituer un élément favorable à la patiente, suggérant une compliance aux soins et donc une capacité à consentir au traitement. À l’inverse, une interruption aurait pu expliquer la décompensation observée et justifier d’autant plus la contrainte. Le silence des certificats sur ce point laissait le juge dans l’ignorance d’un élément potentiellement déterminant.
La motivation retenue par le tribunal contourne cette difficulté en se fondant sur la nécessité actuelle de l’hospitalisation, indépendamment de l’historique thérapeutique. Cette approche centrée sur l’état présent de la patiente se justifie au regard de la finalité du contrôle juridictionnel. Le juge doit vérifier si les conditions de la mesure sont réunies au jour où il statue. La trajectoire antérieure, pour éclairante qu’elle soit, ne saurait commander seule la décision.
II. La balance des risques comme critère décisif du maintien de la contrainte
Le tribunal a fondé sa décision sur l’évaluation de l’état clinique actuel de la patiente (A) tout en refusant la solution alternative proposée faute de garanties suffisantes (B).
A. La persistance d’un état psychique incompatible avec la levée de la mesure
L’ordonnance comporte une analyse détaillée de la symptomatologie présentée par la patiente. L’avis médical du 17 juin 2025 relevait « un contact fermé, une méfiance sous tendue par un vécu persécutif de mécanisme intuitif et interprétatif avec une adhésion totale aux soins et une absence de critique ». Le tribunal note en outre que la patiente « refuse totalement d’aborder les enlèvements l’ayant conduit à être hospitalisée » et qu’elle présente « un déni total des troubles ».
La formulation du certificat recèle une apparente contradiction. Les médecins mentionnent simultanément « une adhésion totale aux soins » et « une absence de critique ». Le tribunal résout cette tension à l’audience en constatant que « la situation de la patiente ne présente pas d’évolution apparente », l’intéressée « n’exprimant aucune reconnaissance de ses troubles et, partant, une réelle adhésion aux soins ».
Cette distinction entre acceptation passive et adhésion véritable constitue un critère clinique pertinent. La simple soumission au cadre hospitalier ne suffit pas à caractériser le rétablissement de la capacité à consentir. Le tribunal exige une reconnaissance des troubles comme préalable à toute levée de la contrainte. Cette exigence se justifie par la nécessité de prévenir une rechute prévisible en cas de sortie prématurée.
Le juge conclut qu’« une rupture intempestive du protocole thérapeutique initié ferait inévitablement ressurgir des troubles majeurs susceptibles de mettre la personne hospitalisée et son environnement en danger ». Cette projection dans l’avenir relève de l’appréciation souveraine du juge du fond éclairé par les avis médicaux. Elle traduit une conception de l’hospitalisation comme processus nécessitant une stabilisation suffisante avant tout allègement.
B. Le rejet de la solution d’hébergement faute de justificatifs
La défense proposait une alternative à la poursuite de l’hospitalisation complète. La patiente pourrait être hébergée chez son oncle dans une autre ville. Cette proposition visait à démontrer l’existence d’un environnement sécurisant rendant superflue la contrainte hospitalière.
Le tribunal a rejeté cette demande au motif qu’« aucune pièce justificative n’est fournie au soutien d’une telle demande ». Le juge ajoute « qu’il convient par conséquent de mesurer les bénéfices de cette hospitalisation avec les risques d’une mainlevée anticipée sans solution d’hébergement effective ».
Cette exigence probatoire appelle plusieurs observations. Le tribunal ne ferme pas la porte à une évolution ultérieure. Il précise qu’« il appartiendra à l’intéressée et à son conseil de proposer les pièces justificatives permettant de sécuriser la sortie ». Cette formule constitue une invitation explicite à compléter le dossier pour une saisine ultérieure.
La charge de la preuve pèse ainsi sur la personne hospitalisée lorsqu’elle propose une alternative à la contrainte. Cette répartition peut sembler rigoureuse au regard du caractère attentatoire à la liberté de l’hospitalisation sans consentement. Elle se justifie toutefois par le souci de ne pas exposer une personne vulnérable à un risque en l’absence de garanties vérifiables.
Le tribunal opère une pesée des intérêts entre maintien de la protection et respect de la liberté. En l’absence de certitude sur la réalité et l’adéquation de la solution proposée, la prudence commande de poursuivre l’hospitalisation. Cette approche s’inscrit dans une conception de la mesure comme protection de la personne contre elle-même, conception dont la légitimité demeure discutée mais que le droit positif consacre.