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La rétention administrative des étrangers constitue un domaine où s’affrontent deux impératifs de rang constitutionnel : la maîtrise des flux migratoires et la protection de la liberté individuelle. Le juge des libertés et de la détention, gardien naturel de cette liberté, doit concilier ces exigences lorsqu’il statue sur les demandes de prolongation exceptionnelle formulées par l’administration préfectorale.
Le tribunal judiciaire de Meaux, par ordonnance du 22 juin 2025, était saisi d’une requête du préfet du Val-d’Oise tendant à obtenir une quatrième prolongation de la rétention administrative d’un ressortissant cap-verdien. L’intéressé, né le 8 septembre 1979, faisait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français prise le 6 août 2024. Placé en rétention le 8 avril 2025, il avait vu cette mesure successivement prolongée, la dernière prolongation ayant été ordonnée le 8 juin 2025 pour quinze jours et confirmée en appel le 12 juin suivant.
La procédure révèle un parcours pénal significatif. Le retenu avait été condamné le 27 mars 2025 à trois ans d’emprisonnement, dont un an avec sursis, pour trafic de stupéfiants en récidive légale et participation à une association de malfaiteurs. Cette condamnation s’ajoutait à sept précédentes prononcées entre 1998 et 2017. Un rapport d’incident du 6 juin 2025 mentionnait la découverte de dix-huit grammes de résine de cannabis sur un visiteur. Un vol prévu le 4 juin 2025 avait dû être annulé en raison du recours administratif formé contre la mesure d’éloignement.
L’administration sollicitait la quatrième prolongation sur le fondement de la menace à l’ordre public. Le conseil de l’intéressé contestait le bien-fondé de cette demande. La personne retenue, régulièrement convoquée, avait fait connaître son souhait de ne pas comparaître.
La question posée au juge était de déterminer si les conditions légales autorisant une quatrième prolongation exceptionnelle de la rétention administrative étaient réunies, singulièrement si le comportement personnel de l’étranger caractérisait une menace pour l’ordre public justifiant cette mesure dérogatoire.
Le tribunal judiciaire de Meaux accueille la requête préfectorale. Il retient que « la nature des infractions commises, leur réitération et le caractère récent des condamnations suffisent à caractériser la réalité, la gravité et l’actualité de la menace que constitue le comportement personnel de l’étranger pour l’ordre public ». Il ordonne donc une quatrième prolongation de quinze jours à compter du 21 juin 2025.
Cette décision illustre l’office du juge judiciaire confronté aux conditions légales de la prolongation exceptionnelle (I) et révèle la méthode d’appréciation de la menace à l’ordre public retenue en matière de rétention administrative (II).
I. Le cadre juridique de la quatrième prolongation exceptionnelle
Le régime de la quatrième prolongation obéit à des conditions légales strictement définies (A) que le juge applique en respectant les limites de sa compétence (B).
A. Les conditions alternatives de l’article L. 742-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile
Le tribunal rappelle avec précision le contenu de l’article L. 742-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Ce texte autorise le magistrat du siège à prolonger « à titre exceptionnel » la rétention pour une quatrième période de quinze jours. Le caractère dérogatoire de cette mesure se manifeste par l’énumération limitative des hypothèses dans lesquelles elle peut être ordonnée.
Le juge énonce les différents cas d’ouverture prévus par la loi. L’obstruction à l’exécution de la mesure d’éloignement constitue la première hypothèse. La présentation dilatoire d’une demande d’asile ou d’une demande relative à l’état de santé forme la deuxième. Le défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat, lorsque celle-ci doit intervenir à bref délai, représente la troisième. L’urgence absolue et la menace pour l’ordre public complètent cette liste.
L’ordonnance précise utilement que « ces conditions ne sont pas cumulatives ». Cette mention revêt une importance pratique considérable. Elle signifie que la caractérisation d’une seule de ces hypothèses suffit à fonder légalement la quatrième prolongation. L’administration peut ainsi invoquer alternativement plusieurs fondements sans avoir à les démontrer conjointement.
En l’espèce, le préfet du Val-d’Oise se prévalait exclusivement de la menace à l’ordre public. Le choix de ce fondement dispensait le juge d’examiner les autres conditions légales. Il concentrait le débat sur l’appréciation du comportement personnel de l’étranger au regard de l’ordre public.
B. La délimitation de l’office du juge judiciaire
Le tribunal judiciaire de Meaux définit clairement les contours de sa compétence. Il affirme d’abord qu’« indépendamment de tout recours contre la décision de placement, le juge doit se prononcer en tant que gardien de la liberté individuelle sur la légalité de la rétention ». Cette formule rappelle le fondement constitutionnel de l’intervention du juge judiciaire, tiré de l’article 66 de la Constitution.
Le juge trace ensuite la frontière avec la compétence du juge administratif. Il énonce qu’« en vertu du principe de la séparation des pouvoirs, c’est au juge administratif qu’il revient d’apprécier la légalité et l’opportunité, ou la nécessité, pour l’administration d’éloigner de France un étranger ». Cette répartition des compétences interdit au juge judiciaire de se prononcer sur le bien-fondé de l’obligation de quitter le territoire ou sur la situation personnelle et familiale de l’étranger au regard des conventions internationales.
L’ordonnance mentionne également l’irrecevabilité des moyens tardifs. Conformément à l’article L. 743-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, « aucune irrégularité antérieure à l’audience relative à la première prolongation de la rétention ne peut être soulevée lors de l’audience relative à la quatrième prolongation ». Cette règle de forclusion contraint l’étranger à soulever les vices de procédure dès la première audience.
Cette délimitation des compétences conduit le juge à écarter les arguments relatifs au recours administratif pendant. Il note que « le recours contre la mesure d’éloignement sera examiné par le tribunal administratif la semaine du 23 au 27 juin 2025 » et qualifie les développements du conseil sur ce point d’« inopérants ». La perspective d’un examen prochain du recours ne constitue pas un obstacle à la prolongation de la rétention.
II. L’appréciation concrète de la menace à l’ordre public
Le tribunal énonce la méthode d’appréciation de la menace à l’ordre public (A) avant de l’appliquer aux circonstances de l’espèce (B).
A. Les critères jurisprudentiels de qualification de la menace
L’ordonnance expose avec rigueur le cadre juridique applicable à la notion de menace à l’ordre public. Le juge indique que « cette qualification doit faire l’objet d’une appréciation in concreto tirée d’un ensemble d’éléments faisant ressortir la réalité des faits allégués, leur gravité, leur récurrence ou leur réitération ainsi que l’actualité de la menace ».
Cette formulation synthétise les exigences dégagées par la jurisprudence administrative. La réalité impose de vérifier la matérialité des faits invoqués. La gravité requiert une certaine intensité dans l’atteinte à l’ordre public. La récurrence ou la réitération traduit la persistance d’un comportement délictueux. L’actualité exclut que des faits anciens et isolés puissent fonder une mesure restrictive de liberté.
Le tribunal se réfère expressément à la jurisprudence du Conseil d’État. Il cite les arrêts du 16 mars 2005 et du 12 février 2014 pour rappeler que « la commission d’une infraction pénale n’est pas de nature à elle seule à établir que le comportement de l’intéressé présenterait une menace pour l’ordre public ». Cette référence manifeste l’insuffisance d’une condamnation pénale considérée isolément.
L’ordonnance mentionne également l’arrêt du Conseil d’État du 7 mai 2015 selon lequel « l’appréciation de la menace doit prendre en considération les risques objectifs que l’étranger en situation irrégulière fait peser sur l’ordre public ». Cette formulation oriente le contrôle vers une évaluation prospective du danger représenté par l’intéressé.
L’exigence d’une appréciation du comportement personnel de l’étranger constitue le fil directeur de cette analyse. Elle prohibe toute qualification automatique fondée sur la seule nationalité ou sur l’irrégularité du séjour. Elle impose un examen individualisé de la situation de chaque retenu.
B. La caractérisation de la menace en l’espèce
Le tribunal applique ces critères aux faits de l’espèce avec une particulière fermeté. Il relève d’abord la condamnation récente du 27 mars 2025 à trois ans d’emprisonnement, dont un an avec sursis. La nature des infractions retient son attention : trafic de stupéfiants commis en récidive légale et participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un délit puni de dix ans d’emprisonnement.
Le juge souligne ensuite l’importance du passé pénal de l’intéressé. Il note que « cette condamnation fait suite à 7 condamnations entre 1998 et 2017 ». Cette accumulation de condamnations sur près de vingt ans démontre la constance d’un comportement délinquant. Elle établit la réitération exigée par les critères jurisprudentiels.
L’ordonnance mentionne enfin un élément contemporain de la rétention. Elle relève que « l’intéressé a fait l’objet d’un rapport d’incident constatant le 6 juin 2025 d’une découverte sur un visiteur de 18 grammes de résine de cannabis ». Cet incident, survenu pendant la rétention, confirme l’actualité de la menace et la persistance de liens avec le milieu des stupéfiants.
La conjugaison de ces trois séries d’éléments fonde la conclusion du tribunal. Il estime que « la nature des infractions commises, leur réitération et le caractère récent des condamnations suffisent à caractériser la réalité, la gravité et l’actualité de la menace ». Cette formulation reprend les critères énoncés et vérifie leur application aux faits.
Le juge relève également que l’intéressé détient un passeport valide jusqu’au 28 mars 2028 et que le vol programmé le 4 juin 2025 n’a été annulé qu’en raison du recours administratif. Ces éléments démontrent la perspective raisonnable d’éloignement et justifient l’utilité de la prolongation sollicitée. La quatrième prolongation est ainsi ordonnée pour permettre l’exécution effective de la mesure d’éloignement dans l’attente de la décision du tribunal administratif.