Tribunal judiciaire de Mende, le 16 juin 2025, n°24/00062

Le recouvrement des cotisations sociales agricoles obéit à un formalisme strict dont le non-respect peut priver définitivement le cotisant de tout recours au fond. Le jugement rendu par le Tribunal judiciaire de Mende le 16 juin 2025 illustre la rigueur de ce mécanisme procédural en matière de contestation des créances de la Mutualité sociale agricole.

Un chef d’exploitation affilié à la caisse de mutualité sociale agricole exerçait une activité de service de soutien au travail forestier. N’ayant pas procédé à la déclaration de ses cotisations sociales au titre de l’année 2023, il a reçu le 24 juin 2024 une mise en demeure datée du 17 juin 2024 portant sur une somme de 20 209,37 euros, ramenée ensuite à 18 919 euros. Le 4 juillet 2024, par l’intermédiaire de son conseil, il a saisi la Commission de recours amiable en contestation de cette mise en demeure. En l’absence de réponse de la Commission, il a saisi le Tribunal judiciaire de Mende le 23 septembre 2024. Entre-temps, le Tribunal de commerce de Mende a prononcé la liquidation judiciaire de son activité par jugement du 10 octobre 2024. Le 10 décembre 2024, la caisse a notifié au liquidateur judiciaire une contrainte faisant référence à la mise en demeure litigieuse. Cette contrainte n’a pas fait l’objet d’une opposition dans le délai légal de quinze jours.

Le cotisant, représenté par son liquidateur, soutenait que la saisine antérieure du tribunal aux fins de contestation de la mise en demeure privait la contrainte ultérieurement délivrée de tout effet. La caisse de mutualité sociale agricole invoquait quant à elle l’irrecevabilité du recours en raison du caractère définitif de la contrainte non contestée dans les délais.

La question posée au tribunal était de savoir si le cotisant qui a saisi le tribunal d’une contestation de la mise en demeure avant la délivrance de la contrainte conserve la faculté de discuter le fond de la créance lorsque cette contrainte n’a pas été frappée d’opposition dans le délai prescrit.

Le Tribunal judiciaire de Mende déclare le cotisant irrecevable en son recours. Il juge que « le cotisant qui n’a pas fait opposition dans les délais à la contrainte qui lui a été signifiée en application de la mise en demeure, est irrecevable à contester la régularité et le bien-fondé des chefs de redressement qui font l’objet de la contrainte, et ce même s’il avait déjà saisi antérieurement le tribunal d’une contestation du redressement ».

Cette décision met en lumière l’articulation complexe entre les voies de recours successives en matière de recouvrement des cotisations agricoles (I), tout en consacrant la primauté de la contrainte comme titre exécutoire définitif (II).

I. L’articulation des voies de recours en matière de cotisations agricoles

Le système de recouvrement des cotisations sociales agricoles repose sur une dualité procédurale qui impose au cotisant une vigilance constante (A), la contestation de la mise en demeure ne dispensant pas de l’opposition à la contrainte ultérieure (B).

A. La dualité des recours contre la mise en demeure et la contrainte

Le recouvrement des cotisations de mutualité sociale agricole s’opère selon un processus en deux temps. La mise en demeure constitue le premier acte de la procédure, ouvrant au cotisant un délai de deux mois pour saisir la Commission de recours amiable conformément à l’article R. 142-1 du code de la sécurité sociale. En l’espèce, le tribunal relève qu’il « n’est pas contesté que Monsieur [X] [L] a contesté la décision de rejet implicite de la Commission de Recours Amiable dans les délais ». Cette première contestation était donc régulière.

La contrainte intervient dans un second temps, lorsque les sommes réclamées n’ont pas été intégralement versées à l’expiration du délai d’un mois imparti par la mise en demeure. L’article R. 725-7 alinéa 2 du code rural et de la pêche maritime autorise alors la caisse à procéder au recouvrement forcé. La contrainte obéit à son propre régime de contestation, distinct de celui applicable à la mise en demeure.

Le cotisant se trouve ainsi confronté à deux procédures successives mais autonomes. La saisine de la Commission de recours amiable puis du tribunal contre la mise en demeure ne suspend ni n’interrompt le cours de la procédure de recouvrement par voie de contrainte. Cette dualité impose une vigilance procédurale accrue, particulièrement dans le contexte d’une liquidation judiciaire où les organes de la procédure collective doivent être en mesure de réagir dans des délais brefs.

B. L’absence d’effet suspensif de la contestation de la mise en demeure

Le cotisant soutenait que « dès lors que le tribunal est saisi de la contestation de la mise en demeure cela priverait la contrainte d’effet ». Cette argumentation reposait sur l’idée qu’une contestation pendante devant le juge du fond devrait paralyser les effets d’un titre exécutoire émis sur le fondement de l’acte contesté.

Le tribunal écarte cette analyse. La contestation de la mise en demeure, fût-elle antérieure à l’émission de la contrainte, ne dispense pas le cotisant de former opposition à cette contrainte dans le délai légal. Les deux voies de recours demeurent distinctes et non substituables. Le cotisant qui entend préserver ses droits doit agir sur les deux terrains simultanément.

Cette solution s’inscrit dans la logique du recouvrement des créances sociales qui privilégie l’efficacité et la célérité. La mise en demeure avertit le débiteur et lui ouvre un premier recours. La contrainte, si elle n’est pas contestée, acquiert force exécutoire et clôt définitivement le débat sur le fond. Le législateur a ainsi organisé un système où chaque étape constitue une opportunité de contestation, mais aussi une forclusion potentielle.

II. La primauté de la contrainte comme titre exécutoire définitif

L’absence d’opposition à la contrainte dans le délai légal emporte des conséquences radicales sur le droit du cotisant à discuter le fond de la créance (A), confirmant la nature particulière de ce titre exécutoire en droit du recouvrement social (B).

A. L’irrecevabilité du recours consécutive au défaut d’opposition

Le tribunal constate qu’il « est constant que la contrainte CT 24026 n’a pas été contestée dans le délai prescrit, de sorte qu’elle est définitive et ne peut plus être discutée sur le fond ». Le liquidateur judiciaire disposait d’un délai de quinze jours à compter de la notification reçue le 16 décembre 2024 pour former opposition. Ce délai bref, prévu par l’article R. 725-9 du code rural et de la pêche maritime, n’a pas été respecté.

La conséquence est sans appel : le cotisant « est irrecevable à contester la régularité et le bien-fondé des chefs de redressement qui font l’objet de la contrainte, et ce même s’il avait déjà saisi antérieurement le tribunal d’une contestation du redressement ». Cette formulation mérite attention car elle établit clairement que la saisine antérieure du tribunal ne constitue pas une circonstance de nature à neutraliser l’effet de la forclusion.

La rigueur de cette solution peut surprendre dans le contexte d’une procédure collective où le débiteur dessaisi de l’administration de ses biens dépend de la diligence du mandataire judiciaire. La notification de la contrainte au liquidateur fait courir un délai bref dont le non-respect prive définitivement la procédure collective de tout moyen de contester la créance déclarée. Cette situation révèle la tension entre les exigences du recouvrement social et la protection des créanciers dans le cadre collectif.

B. La consécration du caractère exécutoire de la contrainte non contestée

Le tribunal constate que « la [4] dispose d’un titre définitif validant les créances réclamées en l’état de la contrainte référencée CT 24026 ». La contrainte non frappée d’opposition dans les délais acquiert ainsi l’autorité de la chose jugée et vaut titre exécutoire.

Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante de la Cour de cassation qui reconnaît à la contrainte non contestée les effets d’un jugement passé en force de chose jugée. Le cotisant ne peut plus invoquer aucun moyen de fond pour s’opposer à l’exécution, qu’il s’agisse de la régularité formelle de la mise en demeure, du calcul des cotisations ou de l’existence même de la dette.

La décision commentée rappelle ainsi que le contentieux du recouvrement des cotisations sociales agricoles obéit à une logique de forclusion stricte. Le cotisant dispose de fenêtres procédurales successives pour contester la créance, mais l’expiration de chaque délai referme définitivement la possibilité de discuter le fond devant le juge. Cette architecture procédurale, si elle garantit l’efficacité du recouvrement, impose aux justiciables et à leurs conseils une vigilance de chaque instant, particulièrement lorsque se superposent les contraintes d’une procédure collective.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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