Tribunal judiciaire de Metz, le 13 juin 2025, n°22/00525

Le jugement du Tribunal judiciaire de Metz du 13 juin 2025 apporte une contribution notable à la reconnaissance du Covid long comme affection de longue durée hors liste. Une assurée sociale, atteinte de séquelles persistantes après une infection au virus de la Covid-19 contractée en mars 2020, contestait le refus de la Caisse primaire d’assurance maladie de lui accorder l’exonération du ticket modérateur.

Les faits de l’espèce révèlent une situation médicale complexe. La requérante souffrait depuis son infection de troubles cognitifs et neurologiques avérés, de désordres cardio-vasculaires, respiratoires et digestifs, ainsi que d’une fatigabilité majeure l’empêchant de poursuivre son activité professionnelle d’assistante en orthodontie. Elle bénéficiait d’un suivi neurologique dans deux établissements hospitaliers parisiens et de soins paramédicaux réguliers incluant des séances d’orthophonie bihebdomadaires.

La Caisse avait refusé le bénéfice de l’exonération au motif que l’affection attestée par le protocole de soins du 16 juin 2021 ne constituait pas « une affection grave caractérisée hors liste nécessitant un traitement prolongé et une thérapeutique particulièrement coûteuse ». La Commission médicale de recours amiable avait confirmé ce refus le 11 mars 2022, sur avis concordants de ses deux médecins.

La question posée au tribunal était de déterminer si le Covid long pouvait être reconnu comme une affection de longue durée hors liste au sens de l’article L. 160-14, 4° du code de la sécurité sociale, ouvrant droit à l’exonération du ticket modérateur.

Le tribunal infirme la décision de la commission de recours amiable et reconnaît à l’assurée le bénéfice de l’exonération au titre de l’ALD 31. Il retient que l’affection doit être considérée comme grave « au regard des désordres cognitifs et neurologiques subis, de l’importance des suivis médicaux et des traitements nécessaires en vue d’en limiter les effets et de l’impact sur son autonomie ainsi que sur sa capacité à exercer une activité professionnelle ».

Cette décision mérite analyse tant au regard de la caractérisation de l’affection grave ouvrant droit à l’ALD hors liste (I) que de l’office du juge du contentieux technique de la sécurité sociale face aux avis médicaux administratifs (II).

I. La reconnaissance du Covid long comme affection grave caractérisée

La décision illustre la méthode d’appréciation des critères légaux de l’ALD hors liste (A) tout en soulevant la question de l’intégration de cette pathologie nouvelle dans le dispositif existant (B).

A. L’appréciation souveraine des critères cumulatifs de l’article L. 160-14, 4°

L’article L. 160-14, 4° du code de la sécurité sociale subordonne l’exonération du ticket modérateur à deux conditions cumulatives. Le bénéficiaire doit être « reconnu atteint par le service du contrôle médical soit d’une affection grave caractérisée ne figurant pas sur la liste mentionnée ci-dessus, soit de plusieurs affections entraînant un état pathologique invalidant ». Cette affection doit nécessiter « un traitement prolongé et une thérapeutique particulièrement coûteuse ».

Le tribunal procède à une analyse méthodique de ces conditions. S’agissant de la gravité, il relève que les « désordres cognitifs et neurologiques subis » ainsi que « l’impact sur son autonomie » et « sa capacité à exercer une activité professionnelle » caractérisent une affection grave. L’annexe à l’article D. 160-4 relative aux affections neurologiques précise que « les critères de gravité doivent être appréciés de façon très large ». Le tribunal s’inscrit dans cette logique en retenant une acception extensive de la notion.

La condition tenant au traitement prolongé est établie par la durée de la maladie. Le tribunal note que « la maladie de [la requérante] évolue sur une durée prévisible supérieure à 6 mois ». Les comptes-rendus médicaux de 2022 et 2024 attestaient de la persistance des troubles sur une période de près de quatre années.

Quant au caractère coûteux de la thérapeutique, le tribunal retient « la nécessité d’avoir recours à des actes techniques médicaux et biologiques répétés » à travers « les imageries de son cerveau, l’importance des suivis médicaux sur différentes spécialités et les nombreux traitements médicamenteux prescrits ». Les séances d’orthophonie bihebdomadaires et le suivi psychologique complètent ce tableau.

B. L’émergence jurisprudentielle d’une pathologie non codifiée

Le Covid long ne figure sur aucune liste d’affections de longue durée exonérantes. Cette pathologie, apparue avec la pandémie de 2020, ne bénéficiait pas lors de l’élaboration des textes réglementaires d’une reconnaissance nosologique suffisante. L’Organisation mondiale de la santé n’a proposé une définition clinique qu’en octobre 2021.

Le tribunal ne pouvait rattacher cette affection à la liste des trente maladies énumérées à l’article D. 160-4. Il le constate expressément : « la pathologie de Covid long dont [la requérante] justifie être atteinte n’entre pas dans le champ des affections longue durée inscrites sur la liste ». Le recours à l’ALD hors liste constituait la seule voie juridique envisageable.

La décision s’appuie sur des éléments médicaux précis. Les imageries cérébrales révélaient « des anomalies cérébrales retrouvées chez les patients atteints de Covid long à l’origine de désordres cognitifs de nature attentionnelle et dysexécutive ». Le neurologue évoquait « des phénomènes dysautonomiques », des « troubles cognitifs avérés avec présence d’anomalies sur les examens de médecine nucléaire en lien avec le mécanisme inflammatoire initial du Covid ».

Cette reconnaissance judiciaire du Covid long comme ALD hors liste revêt une portée qui dépasse le cas d’espèce. Elle ouvre la voie à d’autres demandes similaires formulées par les patients souffrant de formes graves de cette affection post-infectieuse.

II. Le contrôle juridictionnel des décisions médicales administratives

La décision révèle l’étendue du pouvoir d’appréciation du juge face aux avis médicaux de la Caisse (A) et consacre le rôle déterminant des éléments probatoires produits par l’assuré (B).

A. La substitution de l’appréciation juridictionnelle aux avis médicaux concordants

La Caisse fondait son refus sur « avis concordants du médecin-conseil et de la CMRA ». Elle soulignait que la commission de recours amiable « est composée de deux médecins » et que la requérante ne produisait « aucun élément susceptible de remettre en cause ces deux avis concordants ».

Le tribunal écarte cette argumentation en procédant à sa propre appréciation des éléments médicaux versés aux débats. Il examine les comptes-rendus neurologiques, les imageries cérébrales, le bilan d’hospitalisation et les attestations de l’orthophoniste. Cette démarche illustre le plein exercice du contrôle juridictionnel sur les décisions à caractère médical.

L’article L. 142-1, 1° du code de la sécurité sociale attribue au juge du contentieux de la sécurité sociale compétence pour les « litiges relatifs à l’application des législations et réglementations de sécurité sociale ». Le tribunal n’est pas lié par les avis du médecin-conseil ni par les décisions de la commission médicale de recours amiable. Il dispose d’un pouvoir souverain d’appréciation des éléments médicaux produits.

La motivation du jugement révèle une analyse approfondie de la situation médicale. Le tribunal relève successivement les « désordres cognitifs et neurologiques », « l’importance des suivis médicaux », « l’impact sur l’autonomie », la « nécessité d’avoir recours à des actes techniques médicaux et biologiques répétés », les « soins paramédicaux fréquents et réguliers » et la « durée prévisible supérieure à 6 mois ».

B. La charge probatoire de l’assuré et l’office du juge

La décision met en lumière le rôle déterminant des pièces médicales produites par l’assurée. Celle-ci versait aux débats des comptes-rendus neurologiques successifs, des imageries cérébrales de 2022 et 2023, un bilan d’hospitalisation de novembre 2024 et une attestation de son orthophoniste. Elle bénéficiait par ailleurs d’une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé à titre permanent.

Le tribunal examine chaque élément avec précision. Il relève que le neurologue notait « des phénomènes dysautonomiques avec des pics hyperthermiques et des sensations de malaise lipothymique ». L’imagerie de 2023 concluait à « la persistance d’éléments en faveur d’une atteinte cérébrale de Covid long ». Le bilan d’hospitalisation faisait « ressortir la prise habituelle de médicaments Venlafaxine, Losartan, Trimebutine, Circadin, Levocarnyl ainsi que des vitamines ».

Cette analyse minutieuse contraste avec la motivation succincte de la décision de la commission de recours amiable. Le tribunal constate que les avis administratifs se bornaient à affirmer que l’affection n’était pas grave sans examiner précisément les éléments médicaux produits.

La portée de cette décision réside dans l’affirmation du pouvoir du juge de substituer sa propre appréciation à celle des organes médicaux de la Caisse. Les assurés confrontés à des refus d’exonération disposent ainsi d’un recours effectif permettant un réexamen complet de leur situation. Cette décision de première instance pourrait toutefois faire l’objet d’un appel de la Caisse, qui disposerait alors de la faculté de solliciter une expertise judiciaire pour étayer sa contestation.

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Hassan KOHEN
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