Tribunal judiciaire de Metz, le 20 juin 2025, n°23/00216

La question de l’exposition professionnelle à l’amiante dans le secteur minier constitue un enjeu majeur du contentieux des maladies professionnelles. La reconnaissance du caractère professionnel d’une pathologie liée à l’amiante emporte des conséquences financières significatives pour l’employeur tenu de supporter le coût de la réparation.

Le tribunal judiciaire de Metz, statuant en son pôle social par jugement du 20 juin 2025, apporte une contribution notable à cette matière en précisant les conditions d’opposabilité d’une décision de prise en charge au titre du tableau 30B des maladies professionnelles.

Un salarié a travaillé pour le compte d’une entreprise minière de 1975 à 1996, exerçant diverses fonctions au fond et au jour, notamment comme apprenti mineur, abatteur boiseur, manutentionnaire et équipeur. Il a été exposé pendant treize années à l’environnement du fond de la mine. Le 20 septembre 2021, il a déclaré une maladie professionnelle sous forme de plaques pleurales, pathologie inscrite au tableau 30B relatif aux affections consécutives à l’inhalation de poussières d’amiante. La caisse d’assurance maladie des mines a reconnu le caractère professionnel de cette affection par décision du 19 janvier 2022.

L’État, représenté par l’agence nationale de garantie des droits des mineurs venant aux droits du liquidateur de l’entreprise minière dissoute, a contesté cette décision devant la commission de recours amiable. Le conseil d’administration de la caisse a rejeté ce recours le 30 juin 2022. L’employeur a alors saisi le tribunal judiciaire aux fins de voir déclarer inopposable la décision de prise en charge, faisant valoir l’absence de preuve d’une exposition effective aux poussières d’amiante. La caisse soutenait au contraire que les conditions du tableau étaient réunies compte tenu des travaux effectués par l’assuré.

La question posée au tribunal était de déterminer si l’exposition habituelle du salarié à l’inhalation de poussières d’amiante était suffisamment établie pour rendre opposable à l’employeur la décision de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie.

Le tribunal rejette les demandes de l’employeur et confirme la décision du conseil d’administration de la caisse. Il juge que « la condition tenant à l’exposition habituelle au risque d’inhalation de poussières d’amiante en raison des travaux effectués est ainsi pleinement caractérisée par la Caisse » et déclare opposable à l’État la décision de prise en charge.

Cette décision illustre l’articulation entre présomption légale d’imputabilité et charge de la preuve de l’exposition au risque (I), tout en consacrant une appréciation extensive des conditions d’application du tableau 30B des maladies professionnelles (II).

I. L’articulation entre présomption légale et preuve de l’exposition au risque

Le tribunal rappelle le mécanisme de la présomption d’origine professionnelle tout en précisant la répartition de la charge probatoire entre les parties (A), puis caractérise concrètement les éléments permettant d’établir l’exposition au risque (B).

A. Le rappel du mécanisme présomptif et de la charge de la preuve

Le tribunal fonde son raisonnement sur l’article L. 461-1, alinéa 2, du code de la sécurité sociale qui « édicte une présomption d’origine professionnelle au bénéfice de toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions qui y sont mentionnées ». Cette présomption constitue le socle du régime de reconnaissance des maladies professionnelles.

Le jugement précise toutefois que « la présomption d’imputabilité au travail ne bénéficie au salarié que s’il est démontré que la victime a été exposée de façon habituelle, au cours de son activité professionnelle, à l’action des agents nocifs en cause ». L’exposition habituelle constitue ainsi un préalable nécessaire au déclenchement de la présomption. Le tribunal ajoute que « cette preuve peut être établie par tout élément objectif ou résulter de présomptions graves, précises et concordantes au sens de l’article 1353 ancien, devenu 1382, du Code civil ».

La juridiction rappelle ensuite que « il appartient à la Caisse, subrogée dans les droits du salarié qu’elle a indemnisé, de démontrer que les conditions du tableau des maladies professionnelles dont elle invoque l’application sont remplies ». Cette précision revêt une importance particulière dans le cadre du contentieux de l’opposabilité où l’employeur conteste la décision de prise en charge. Le tribunal souligne par ailleurs que « le diagnostic de la maladie professionnelle n’est pas en soi preuve de l’exposition du salarié au risque de contracter ladite maladie ». La constatation médicale de la pathologie ne dispense donc pas d’établir la réalité de l’exposition professionnelle.

B. La caractérisation concrète de l’exposition aux poussières d’amiante

Le tribunal procède à une analyse circonstanciée des éléments de preuve produits pour établir l’exposition au risque. Il relève que « dans le questionnaire rempli par l’employeur, il est précisé que Monsieur [N] a habituellement eu recours à des marteaux piqueurs, des marteaux perforateurs, perforatrice matérielle de levage et manutention ». L’employeur a ainsi lui-même fourni des éléments permettant de caractériser les conditions de travail de l’assuré.

La juridiction constate également que « la Caisse a réalisé une enquête administrative en questionnant l’employeur et l’assuré ». Cette instruction contradictoire du dossier renforce la valeur probante des éléments recueillis. Le tribunal s’appuie sur une étude scientifique qui « confirme la présence d’amiante chrysotile dans les matériels utilisés au fond de la mine » et « conclut à un risque professionnel de pollution par fibres d’amiante certes négligeable mais bien réel ». Cette référence à des données objectives vient corroborer les déclarations des parties.

Le jugement retient finalement que « la friction des organes de freins des différentes installations et machines utilisées au fond de la mine à l’époque où Monsieur [N] a travaillé et durant laquelle l’amiante était largement répandue, outre la manipulation d’amiante brut, ont été de nature à exposer habituellement ce mineur à l’inhalation de poussières d’amiante durant plus de 13 années passées au fond ». La durée d’exposition et la nature des travaux effectués permettent ainsi de caractériser une exposition habituelle au sens du tableau.

II. L’appréciation extensive des conditions d’application du tableau 30B

Le tribunal adopte une interprétation souple de la liste des travaux visés par le tableau (A) et confirme le rejet de la contestation de l’employeur faute d’éléments contraires suffisants (B).

A. L’interprétation souple de la liste des travaux du tableau 30B

Le tribunal apporte une précision déterminante sur la portée de la liste des travaux figurant au tableau 30B. Il juge que « le tableau 30B n’impose pas que le salarié ait directement manipulé des produits amiantés, il prévoit une liste de travaux qui n’est qu’indicative ». Cette affirmation écarte une lecture restrictive qui aurait exigé une manipulation directe de matériaux contenant de l’amiante. Le jugement ajoute qu’« il suffit de rapporter la preuve que le salarié a effectué des travaux pour lesquels il a inhalé habituellement des poussières d’amiante ».

Cette interprétation s’inscrit dans la jurisprudence de la Cour de cassation qui considère que les listes de travaux annexées aux tableaux de maladies professionnelles sont indicatives et non limitatives. Elle permet de couvrir des situations où l’exposition résulte de l’environnement de travail et non d’une manipulation personnelle de produits amiantés.

Le tribunal en tire la conséquence qu’« il convient de considérer que le caractère professionnel de la maladie dont est atteint Monsieur [N] est établi à l’égard de l’employeur, sans qu’il soit nécessaire de recourir à un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, les travaux étant indiqués à titre indicatif et les autres conditions ne sont pas contestées ». L’absence de contestation sur les conditions médicales et le délai de prise en charge permet ainsi de faire jouer pleinement la présomption légale.

B. Le rejet de la contestation patronale faute de preuve contraire

Le tribunal relève que « l’ANGDM produit un grand nombre de décisions de justice dans lesquelles a été retenue l’inopposabilité de la décision de prise en charge de la Caisse à l’encontre de l’ANGDM dans d’autres contentieux ». Il écarte toutefois cet argument en rappelant que « ces décisions n’ont autorité de chose jugée que pour les faits d’espèce qu’elles tranchaient, et que le présent tribunal n’est pas tenu par ces décisions ». Chaque dossier doit être apprécié au regard de ses éléments propres.

La juridiction observe par ailleurs que cette production jurisprudentielle « fait apparaître un contentieux de masse, qui permet d’affirmer que la Caisse a une parfaite connaissance de l’environnement professionnel des anciens mineurs ». Cette remarque suggère que la caisse dispose d’une expertise suffisante pour apprécier la réalité de l’exposition dans ce secteur d’activité.

Le tribunal conclut que « l’ANGDM ne produit aucun élément probant à même de renverser la présomption simple et l’absence d’exposition au risque d’inhalation de poussières d’amiante ». L’employeur qui entend contester le caractère professionnel de la maladie doit démontrer que celle-ci est due à une cause totalement étrangère au travail. En l’absence d’une telle preuve, la présomption légale produit son plein effet et la décision de prise en charge lui est déclarée opposable.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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