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La reconnaissance d’une maladie comme professionnelle repose sur un mécanisme de présomption dont les conditions sont strictement définies par les tableaux annexés au code de la sécurité sociale. Le pôle social du tribunal judiciaire de Metz, par jugement du 20 juin 2025, rappelle avec fermeté les contours de cette présomption, tout en précisant les obligations de la caisse primaire d’assurance maladie en matière de respect du contradictoire.
Une salariée occupant un poste de magasinière-réceptionniste avait déclaré, le 12 octobre 2021, deux maladies professionnelles relatives à des tendinopathies de la coiffe des épaules droite et gauche. Deux certificats médicaux initiaux, établis à cette même date, mentionnaient des tendinopathies du supra-épineux avec des dates de première constatation médicale distinctes. La caisse primaire avait instruit ces demandes et notifié à l’employeur, le 16 février 2022, deux décisions de prise en charge au titre du tableau 57 des maladies professionnelles, retenant la qualification de rupture de la coiffe des rotateurs.
L’employeur avait saisi la commission de recours amiable, puis, en l’absence de décision, formé un recours contentieux devant le pôle social du tribunal judiciaire de Metz. L’employeur soulevait à titre principal le non-respect du principe du contradictoire lors de l’instruction, faisant valoir que la pièce justifiant la date de première constatation médicale ne lui avait pas été communiquée, qu’il n’avait pas reçu le questionnaire employeur et que les correspondances d’information ne concernaient qu’une seule épaule. À titre subsidiaire, il contestait la réunion des conditions médicales et professionnelles du tableau, soulignant les incohérences entre les qualifications retenues par le médecin-conseil et celles figurant sur les certificats médicaux initiaux.
La question posée au tribunal était double : la caisse avait-elle respecté le principe du contradictoire dans l’instruction des maladies professionnelles, et les conditions du tableau 57 des maladies professionnelles étaient-elles réunies pour justifier l’opposabilité des décisions de prise en charge à l’employeur ?
Le tribunal rejette l’ensemble des demandes de l’employeur et confirme les décisions de prise en charge. Il juge que le principe du contradictoire a été respecté dès lors que les fiches de concertation médico-administrative, mises à disposition de l’employeur, mentionnaient les dates de première constatation médicale et la nature des examens les fondant. Il considère par ailleurs que les conditions du tableau 57 sont remplies au regard de l’exposition de la salariée aux mouvements d’abduction de l’épaule, l’employeur n’apportant pas la preuve d’une cause étrangère au travail.
Cette décision offre l’occasion d’examiner les exigences procédurales encadrant la reconnaissance des maladies professionnelles (I), avant d’analyser les conditions substantielles de cette reconnaissance et la charge de la preuve pesant sur l’employeur (II).
I. Le respect du contradictoire dans l’instruction des maladies professionnelles : une exigence procédurale strictement encadrée
Le tribunal affirme que le principe du contradictoire est satisfait par la mise à disposition des éléments pertinents à l’employeur (A), tout en rappelant les limites tenant au secret médical (B).
A. L’information de l’employeur sur les dates de première constatation médicale
L’employeur contestait ne pas avoir été informé des conditions dans lesquelles les dates de première constatation médicale avaient été fixées. Le tribunal écarte ce moyen en relevant que « les fiches de concertation médico-administrative dont il n’est pas contesté qu’elles ont été portées à la connaissance de la Société […] mentionnent bien les dates de première constatation médicale retenues par le médecin-conseil et sur la nature des examens médicaux sur lesquels elles reposent ».
Cette solution s’inscrit dans une conception pragmatique du contradictoire. L’article R461-9 du code de la sécurité sociale impose à la caisse de mettre le dossier à disposition de l’employeur, lequel dispose d’un délai pour le consulter et formuler des observations. Le tribunal interprète cette obligation comme satisfaite dès lors que l’employeur a été mis en mesure de connaître les éléments déterminants de la décision à intervenir. La circonstance que les dates retenues par le médecin-conseil correspondent à celles mentionnées sur les certificats médicaux initiaux renforce cette analyse.
Le tribunal ajoute que l’employeur « a ainsi suffisamment été informé des conditions dans lesquelles les dates de première constatation médicale ont été retenues, et ce dans le respect du principe du contradictoire ». Cette formulation suggère que l’exigence du contradictoire ne requiert pas une communication exhaustive de toutes les pièces du dossier, mais une information suffisante permettant à l’employeur de comprendre et contester utilement la décision.
B. Les limites du contradictoire face au secret médical
L’employeur reprochait à la caisse de ne pas lui avoir communiqué les pièces médicales justifiant les dates de première constatation, notamment les IRM des épaules. Le tribunal rappelle que « la Caisse n’est pas tenue de mettre à disposition de l’employeur la pièce caractérisant la première constatation médicale de la maladie professionnelle dont la date est antérieure à celle du certificat médical initial, celle-ci étant couverte par le secret médical ».
Cette position traduit la recherche d’un équilibre entre les droits de la défense de l’employeur et la protection de la vie privée du salarié. Les IRM constituent des données de santé à caractère personnel dont la communication ne peut être exigée. Le tribunal précise que le médecin-conseil s’est appuyé sur « deux éléments médicaux extrinsèques par ailleurs couverts par le secret médical et qui ne peuvent être portés à la connaissance de l’employeur ».
Cette articulation entre contradictoire et secret médical est conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation qui admet que certaines pièces médicales échappent au dossier consultable par l’employeur. La solution retenue préserve l’effectivité du contradictoire tout en respectant les droits fondamentaux du salarié à la protection de ses données de santé.
II. Les conditions de fond de la reconnaissance des maladies professionnelles : présomption et charge de la preuve
Le tribunal examine les conditions de désignation de la maladie au tableau (A) avant d’apprécier l’exposition au risque professionnel et la charge de la preuve incombant à l’employeur (B).
A. La qualification de la maladie au regard du tableau 57 des maladies professionnelles
L’employeur soulevait une incohérence entre la qualification retenue par le médecin-conseil, à savoir une rupture de la coiffe des rotateurs, et celle figurant sur les certificats médicaux initiaux mentionnant une tendinopathie. Il en déduisait que la présomption du tableau ne pouvait s’appliquer.
Le tribunal écarte ce moyen par une analyse rigoureuse du rôle de la juridiction. Il affirme qu’il « appartient en tout état de cause à la présente juridiction de relever les éléments permettant d’affirmer que la maladie litigieuse est bien celle visée au tableau et de rechercher si l’affection déclarée correspond à la pathologie désignée par le tableau sans s’arrêter à la désignation de la maladie telle que retenue sur le certificat médical initial ».
Cette solution consacre le pouvoir d’appréciation du juge quant à la qualification médicale de l’affection. Le tribunal relève que le médecin-conseil s’est fondé sur les IRM pour retenir la qualification de rupture de la coiffe des rotateurs. Il ajoute que « le tableau 57A des maladies professionnelles ne fait référence au titre de la désignation de la maladie qu’à une seule et même pathologie de rupture de la coiffe des rotateurs prise en charge, et ce que cette rupture soit partielle ou transfixiante ». L’absence de précision sur le caractère partiel ou transfixiant ne fait donc pas grief à l’employeur.
B. L’exposition au risque et l’impossibilité pour l’employeur de renverser la présomption
Le tribunal examine ensuite la condition d’exposition au risque professionnel. Il rappelle que le tableau 57A vise les « travaux comportant des mouvements ou le maintien de l’épaule sans soutien en abduction avec un angle supérieur ou égal à 60° pendant au moins deux heures par jour en cumulé ».
L’analyse des éléments de l’enquête administrative et de l’étude de poste conduit le tribunal à retenir que la salariée, de par ses fonctions de magasinière-réceptionniste, était exposée aux mouvements d’abduction de l’épaule. Le tribunal relève notamment « la manipulation de colis à hauteur d’étagères », « une élévation des bras lorsqu’elle vide les cartons » et « une élévation du bras avec port de charge lors du versement de pièces dans un bac ».
La présomption d’origine professionnelle étant établie, il appartenait à l’employeur de la renverser. Le tribunal constate que « la Société […] ne justifie pas de ce que les affections déclarées par [la salariée] aient pour origine une cause étrangère au travail ». Cette formulation rappelle que la présomption de l’article L461-1 du code de la sécurité sociale est une présomption simple qui peut être combattue par la preuve contraire. L’employeur n’ayant pas démontré l’existence d’une cause totalement étrangère au travail, les décisions de prise en charge lui demeurent opposables.