Tribunal judiciaire de Montpellier, le 16 juin 2025, n°24/02320

Par un jugement du 16 juin 2025, le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Montpellier s’est prononcé sur une demande en paiement formée par un établissement bancaire à l’encontre d’un emprunteur défaillant. Cette décision illustre le contrôle rigoureux exercé par le juge sur le respect des obligations précontractuelles du prêteur en matière de crédit à la consommation.

Les faits de l’espèce sont les suivants. Le 2 novembre 2022, une société bancaire a consenti à un particulier un prêt personnel d’un montant de 30 000 euros, remboursable en soixante mensualités au taux conventionnel de 3,90 %. Le capital a été débloqué le 10 novembre 2022. L’emprunteur a cessé d’honorer ses échéances à compter du mois de mai 2023. Après une mise en demeure restée infructueuse le 12 décembre 2023, l’établissement prêteur a prononcé la déchéance du terme le 5 février 2024.

En première instance, la banque a assigné l’emprunteur devant le juge des contentieux de la protection le 10 octobre 2024, sollicitant sa condamnation au paiement de la somme de 32 071,80 euros, outre intérêts au taux conventionnel. Le juge a relevé d’office plusieurs moyens tirés notamment de la déchéance du droit aux intérêts en raison du manquement du prêteur à son obligation de vérifier la solvabilité de l’emprunteur. L’emprunteur, bien que régulièrement assigné selon les formes de l’article 659 du code de procédure civile, n’a pas comparu.

La question posée au juge était celle de savoir si le prêteur qui ne produit pas les pièces justificatives ayant servi à la vérification de la solvabilité de l’emprunteur peut prétendre au remboursement des intérêts conventionnels.

Le tribunal judiciaire de Montpellier prononce la résolution judiciaire du contrat pour inexécution. Surtout, il dit que la banque « sera déchue de son droit aux intérêts conventionnels au jour de la conclusion du contrat de crédit ». Le juge relève que « la requérante ne fournit aucun justificatif de domicile, de revenu et d’identité » de l’emprunteur. L’établissement est condamné à percevoir la seule somme de 28 601,65 euros au titre du capital restant dû, avec intérêts au taux légal.

Cette décision met en lumière l’étendue de l’obligation de vérification de la solvabilité pesant sur le prêteur (I), tout en révélant les conséquences patrimoniales substantielles de son manquement (II).

I. L’exigence d’une vérification effective de la solvabilité de l’emprunteur

Le juge des contentieux de la protection rappelle le contenu de l’obligation légale de vérification (A), avant de préciser les modalités probatoires qui s’imposent au prêteur professionnel (B).

A. Le fondement textuel de l’obligation de vérification

Le tribunal fonde sa décision sur les articles L. 312-16 et L. 312-17 du code de la consommation. Le premier impose au prêteur de « vérifie[r] la solvabilité de l’emprunteur, avant de conclure le contrat de crédit, à partir d’un nombre suffisant d’informations ». Le second exige, pour les crédits conclus à distance, la remise d’une fiche d’informations comportant « les éléments relatifs aux ressources et charges de l’emprunteur ». Le juge souligne que ces dispositions « font peser sur le prêteur une véritable obligation de vérification de la solvabilité de l’emprunteur ». Cette formulation traduit une conception stricte du devoir de vigilance du professionnel du crédit.

La référence à l’article D. 312-7 du code de la consommation est déterminante. Ce texte fixe à 3 000 euros le seuil au-delà duquel la fiche d’information doit être corroborée par des pièces justificatives. L’article D. 312-8 énumère ces documents : justificatif de domicile, de revenu et d’identité. En l’espèce, le prêt s’élevait à 30 000 euros, soit dix fois le seuil réglementaire. L’obligation de produire des justificatifs s’imposait donc avec évidence.

Cette exigence s’inscrit dans la politique législative de protection du consommateur contre le surendettement. Le législateur entend responsabiliser les établissements de crédit en leur imposant de s’assurer de la capacité de remboursement de leurs clients.

B. La charge probatoire incombant au prêteur

Le tribunal énonce que « s’agissant d’obligations pesant sur le prêteur, il lui appartient de démontrer qu’il y a effectivement procédé ». Le juge se réfère à l’article 1353 du code civil selon lequel « il appartient à celui qui réclame l’exécution d’une obligation de la prouver ». Cette solution est conforme à la jurisprudence constante de la Cour de cassation. Le prêteur qui entend obtenir le paiement des intérêts conventionnels doit établir avoir satisfait aux formalités d’ordre public du code de la consommation.

Le tribunal précise que le prêteur « ne peut à cet égard se contenter des éléments déclarés par l’emprunteur au titre de ses ressources et charges, mais qu’il doit en vérifier la réalité en sollicitant tout document utile à cette vérification ». Cette formulation interdit une vérification purement formelle. Le professionnel ne saurait se retrancher derrière les seules déclarations de l’emprunteur. Il doit procéder à un contrôle effectif des informations communiquées.

En l’espèce, la banque n’a produit « aucun justificatif de domicile, de revenu et d’identité ». Cette carence probatoire totale laisse peu de place au doute. Le juge ne dispose d’aucun élément permettant d’établir que le prêteur a accompli son obligation légale. La sanction s’impose alors avec la rigueur que le texte commande.

II. La sanction dissuasive du manquement aux obligations précontractuelles

La déchéance du droit aux intérêts constitue une sanction civile particulièrement sévère (A), dont l’application révèle l’office protecteur du juge en matière de crédit à la consommation (B).

A. L’ampleur de la déchéance du droit aux intérêts

Le tribunal prononce la déchéance du droit aux intérêts conventionnels sur le fondement des articles L. 341-2 et L. 341-3 du code de la consommation. Le premier sanctionne le défaut de vérification de la solvabilité. Le second frappe le prêteur qui n’a pas remis la fiche d’informations requise. La déchéance est prononcée « au jour de la conclusion du contrat », soit le 2 novembre 2022. Cette date marque le point de départ de la privation totale des intérêts.

Les conséquences patrimoniales sont considérables. La banque sollicitait 32 071,80 euros, comprenant le capital, les échéances impayées et une indemnité de 8 %. Elle obtient 28 601,65 euros, soit le capital prêté diminué des versements effectués. La différence représente plus de 3 400 euros d’intérêts et pénalités dont elle est privée. En outre, les intérêts à courir ne seront calculés qu’au taux légal, actuellement bien inférieur au taux conventionnel de 3,90 %.

Le tribunal écarte également une somme de 1 589,10 euros correspondant au solde débiteur d’un compte courant. La banque « ne justifie d’aucun élément dans ses conclusions afférent à ce compte courant ». Cette rigueur probatoire illustre le contrôle minutieux exercé par le juge sur chaque poste de la créance réclamée.

B. L’office protecteur du juge des contentieux de la protection

La décision révèle l’étendue des pouvoirs du juge en matière de crédit à la consommation. Conformément à l’article R. 632-1 du code de la consommation, il peut « relever d’office toutes les dispositions du présent code ». Le tribunal a usé de cette prérogative en soulevant le moyen tiré de la déchéance du droit aux intérêts. L’emprunteur n’ayant pas comparu, cette initiative juridictionnelle était déterminante pour la protection de ses droits.

L’article 472 du code de procédure civile dispose que le juge « ne fait droit à la demande que dans la mesure où il l’estime régulière, recevable et bien fondée ». Le défaut de comparution du défendeur ne dispense pas le tribunal d’un examen attentif des prétentions du demandeur. Le juge vérifie que le prêteur a respecté les exigences légales, indépendamment de toute contestation adverse.

Cette décision s’inscrit dans une jurisprudence fournie des juges du fond en matière de déchéance du droit aux intérêts. Elle rappelle aux établissements de crédit la nécessité de conserver et produire l’ensemble des documents attestant du respect de leurs obligations précontractuelles. La sanction de la déchéance totale des intérêts doit inciter les prêteurs à une plus grande diligence dans la constitution de leurs dossiers de crédit.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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