Tribunal judiciaire de Montpellier, le 19 juin 2025, n°19/04509

Le tribunal judiciaire de Montpellier, par un jugement du 19 juin 2025, se prononce sur un litige opposant des maîtres d’ouvrage à un constructeur de maison individuelle. Les demandeurs avaient conclu un contrat de construction de maison individuelle le 7 juin 2017 pour un prix de 177 500 euros. La réception avec réserves est intervenue le 27 novembre 2018. Par acte de commissaire de justice du 4 décembre 2018, les maîtres d’ouvrage ont dénoncé des réserves supplémentaires.

Les maîtres d’ouvrage ont assigné le constructeur et ses assureurs le 29 août 2019 sur le fondement des articles 1792 et suivants du code civil. Une expertise judiciaire a été ordonnée par le juge des référés le 10 octobre 2019 et le rapport a été déposé le 14 décembre 2021. Le constructeur a appelé en garantie ses sous-traitants.

Le constructeur soulevait une fin de non-recevoir, soutenant que les maîtres d’ouvrage étaient irrecevables à formuler des réserves complémentaires dans le délai de huit jours prévu par l’article L. 231-8 du code de la construction et de l’habitation, au motif qu’ils auraient été assistés d’un professionnel lors de la réception. Les maîtres d’ouvrage sollicitaient la condamnation du constructeur au titre de nombreux désordres, des pénalités de retard et d’un préjudice moral.

Le tribunal devait déterminer si les maîtres d’ouvrage pouvaient se prévaloir du régime protecteur de l’article L. 231-8 du code de la construction et de l’habitation permettant la dénonciation de vices apparents dans les huit jours suivant la réception, puis apprécier la responsabilité du constructeur au titre des différents désordres invoqués et la mobilisation de la garantie décennale.

Le tribunal rejette la fin de non-recevoir, condamne le constructeur au paiement de diverses sommes au titre des désordres, du préjudice de jouissance, des pénalités de retard et du préjudice moral, et condamne certains sous-traitants ainsi que l’assureur décennal à relever et garantir le constructeur.

Cette décision présente un intérêt certain en ce qu’elle illustre l’application du régime protecteur du contrat de construction de maison individuelle (I) tout en précisant les conditions de mise en œuvre de la garantie décennale pour des désordres présentant un risque d’évolution (II).

I. La protection renforcée du maître d’ouvrage dans le contrat de construction de maison individuelle

Le tribunal affirme la possibilité pour le maître d’ouvrage non assisté de dénoncer des vices apparents postérieurement à la réception (A), avant de caractériser les différents manquements du constructeur à ses obligations contractuelles (B).

A. Le bénéfice du délai de dénonciation des vices apparents

Le tribunal rappelle le régime de l’article L. 231-8 du code de la construction et de l’habitation selon lequel « le maître de l’ouvrage peut, par lettre recommandée avec accusé de réception dans les huit jours qui suivent la remise des clefs consécutive à la réception, dénoncer les vices apparents qu’il n’avait pas signalés lors de la réception ». Cette disposition constitue une dérogation au principe selon lequel la réception sans réserves couvre les vices apparents.

Le constructeur soutenait que les maîtres d’ouvrage ne pouvaient bénéficier de ce régime protecteur au motif qu’ils auraient été assistés d’un professionnel. Le tribunal relève cependant qu’il résulte du procès-verbal de réception « signé par les parties qu’ils étaient seuls à l’acte ». Un constat de commissaire de justice mentionne « la présence des parties et de M. [H] [S], [Localité 23] sans autre présence ».

Le tribunal précise que « si les époux [V] ont fait intervenir un expert privé l’après-midi même suivant la réception, il ne peut être valablement soutenu qu’ils seraient irrecevables à formuler de plus amples réserves dans le délai de 8 jours qui suit la date de réception alors que l’expert privé en la personne de M. [R] n’était pas présent au moment de la réception ». Cette analyse est conforme à la lettre du texte qui exige l’assistance d’un professionnel « lors de la réception » et non postérieurement à celle-ci. La protection du maître d’ouvrage profane justifie cette interprétation stricte des conditions privant celui-ci du bénéfice du délai de dénonciation.

B. La caractérisation des manquements contractuels du constructeur

Le tribunal examine méthodiquement les différents désordres relevés par l’expert judiciaire. Pour les désordres ayant fait l’objet de réserves ou dénoncés dans le délai légal, le tribunal retient que « les désordres et non conformités qu’elles soient contractuelles ou non, ayant fait l’objet de réserves à la réception ou dénoncés dans le délai de 8 jours prévu à l’article L231-8 engagent, à défaut de reprise, la responsabilité contractuelle ».

Le tribunal se réfère systématiquement à la notice descriptive des travaux pour apprécier l’étendue des obligations du constructeur. Concernant le garde-corps d’escalier, le tribunal relève qu’il « résulte de la note descriptive des travaux signée par les parties, page 6/16, que le constructeur devait réaliser les escaliers en béton, le garde-corps en cloisons ». À l’inverse, pour l’étude de sol, le tribunal constate que « la notice descriptive des travaux signée par les parties le 7 juin 2017, page 13/16, comporte une annexe au descriptif dont il résulte que la réalisation d’une étude de sol n’est pas comprise dans le prix convenu ».

La décision rappelle également l’obligation du constructeur de livrer un ouvrage conforme aux documents administratifs. Le tribunal condamne le constructeur « à transmettre un plan de recolement conforme aux fins d’obtention du certificat de conformité des travaux » sous astreinte, après avoir constaté que « les époux [V] ne parvenaient pas à obtenir leur certificat de conformité en raison de l’absence de documents correctement remplis par le constructeur ».

II. L’appréciation du caractère décennal des désordres évolutifs

Le tribunal opère une distinction entre les désordres présentant un risque certain d’aggravation relevant de la garantie décennale (A) et ceux ne caractérisant pas une atteinte suffisante à l’ouvrage (B).

A. La prise en compte du risque d’évolution des désordres

Le tribunal admet la mobilisation de la garantie décennale pour des désordres qui, sans avoir encore produit leurs effets, présentent un risque certain d’aggravation. Concernant une fissure en pied de mur, le tribunal relève que l’expert précise que « si la fissure reste limitée et n’a pas de conséquence sur la solidité de l’ouvrage, elle est anormale et peut à terme entraîner des migrations d’eau dans l’ouvrage ». Le tribunal retient « le caractère décennal de ce désordre dans la mesure où cette fissure présente un risque certain d’aggravation compromettant la solidité de l’ouvrage ».

Cette solution s’inscrit dans la jurisprudence constante de la Cour de cassation admettant que la garantie décennale s’applique aux désordres qui, bien que n’ayant pas encore atteint leur pleine mesure, présentent un caractère évolutif rendant inéluctable l’atteinte à la solidité ou l’impropriété à destination. Le tribunal applique ce raisonnement au désordre relatif à la sous-face du plancher non décoffrée, constatant que l’expert mentionne « un risque d’atteinte à la solidité de l’ouvrage » et concluant que « si le désordre n’est pas apparu le risque d’atteinte à la solidité de l’ouvrage est retenu par l’expert de sorte que le désordre est de nature décennale ».

Le tribunal retient également le caractère décennal pour des marches d’escalier dont le giron est non homogène. L’expert note que « ce désordre a pour conséquence un risque de chute ». Le tribunal écarte l’argumentation de l’assureur selon laquelle « le risque de chute est inexistant dans la mesure où il existe une très faible différence entre les valeurs mesurées » et juge que « cette erreur de calcul de ces deux marches ayant pour conséquence un risque de chute pour les personnes génère un désordre de nature décennale ».

B. L’exclusion des désordres ne caractérisant pas une atteinte décennale

Le tribunal refuse de mobiliser la garantie décennale lorsque les conditions légales ne sont pas réunies. Pour l’absence de pente sur un seuil de porte de service, le tribunal constate que « l’expert indique simplement dans son tableau récapitulatif un risque d’infiltration mais n’indique pas qu’il en découlerait une impropriété à destination ou encore une atteinte à la solidité de l’ouvrage ». Il en conclut que « la garantie de la CAMCA n’est pas mobilisable en l’absence de désordre de nature décennale ».

De même, concernant la hauteur de relevé non conforme d’une terrasse, le tribunal relève que l’expert note que « bien que non règlementaire, cette disposition n’a pas d’incidence sur le clos et le couvert de l’ouvrage car elle correspond à des zones très ponctuelles peu sollicitées ». Le tribunal en déduit que « contrairement à ce que soutient le constructeur, l’expert n’a pas retenu de désordre de nature décennal de sorte que la CAMCA ne doit pas sa garantie ».

Cette analyse révèle l’exigence d’une démonstration précise du lien entre le vice constaté et l’atteinte à la solidité ou l’impropriété à destination. La simple non-conformité à une norme technique ne suffit pas à caractériser un désordre décennal si elle n’affecte pas concrètement la destination de l’ouvrage. Le tribunal opère ainsi une distinction rigoureuse entre les non-conformités relevant de la responsabilité contractuelle du constructeur et celles susceptibles de mobiliser la garantie décennale et l’assurance afférente.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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