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Le tribunal judiciaire de Mulhouse, par un jugement rendu le 17 juin 2025, offre une illustration significative de la protection accordée au maître de l’ouvrage face aux manquements d’un entrepreneur dans le cadre de la garantie de parfait achèvement. Cette décision mérite attention tant pour les questions procédurales qu’elle tranche que pour la qualification du comportement fautif de l’entreprise.
En l’espèce, des particuliers avaient commandé à domicile, le 19 septembre 2022, une pompe à chaleur air/eau et un chauffe-eau thermodynamique au prix de 24.900 euros, destinés à remplacer leur chaudière au fioul. L’installation fut réalisée le 28 septembre 2022. Dès les premiers jours d’octobre, les acquéreurs constatèrent des fuites et dysfonctionnements. Après avoir posté un avis négatif sur Internet faute de pouvoir joindre l’entreprise, celle-ci intervint le 18 octobre puis le 1er novembre 2022. L’avocat de la société adressa alors une mise en demeure de retirer cet avis, assortie d’un projet de protocole transactionnel subordonnant la réparation des désordres au retrait du commentaire litigieux. Une nouvelle panne survint le 1er janvier 2023. Malgré le retrait de l’avis défavorable, l’entreprise refusa d’intervenir pendant une année entière.
Une expertise judiciaire fut ordonnée en référé le 20 juin 2023. L’expert déposa son rapport le 9 décembre 2023, constatant l’absence de désembouage préalable de l’installation, l’absence de pot à boues et l’absence de traitement chimique préventif. Les demandeurs assignèrent la société le 14 février 2024 afin d’obtenir réparation de leurs préjudices. La défenderesse souleva plusieurs fins de non-recevoir tirées de l’absence de notification préalable au sens de l’article 1792-6 du code civil, de l’absence de mise en demeure d’exécution et du défaut de qualité à agir de l’épouse non signataire du contrat.
La question posée au tribunal était double. D’une part, les fins de non-recevoir soulevées devant le tribunal de céans étaient-elles recevables, alors que le juge de la mise en état dispose d’une compétence exclusive en la matière? D’autre part, l’entrepreneur pouvait-il valablement subordonner l’exécution de ses obligations au titre de la garantie de parfait achèvement au retrait d’un avis défavorable posté par le maître de l’ouvrage?
Le tribunal déclare irrecevables les fins de non-recevoir soulevées par la société, condamne celle-ci au paiement de la somme de 11.253,46 euros en réparation des divers préjudices subis par les demandeurs, et lui alloue une indemnité de 2.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Cette décision invite à examiner successivement la compétence exclusive du juge de la mise en état pour statuer sur les fins de non-recevoir (I), puis la sanction du comportement déloyal de l’entrepreneur dans l’exécution de ses obligations contractuelles (II).
I. La compétence exclusive du juge de la mise en état en matière de fins de non-recevoir
Le tribunal rappelle avec fermeté le principe de la compétence exclusive du juge de la mise en état (A), avant d’en tirer les conséquences sur l’irrecevabilité des moyens tardivement soulevés (B).
A. L’affirmation du monopole du juge de la mise en état
Le tribunal énonce que « par application de l’article 789 du code de procédure civile, ce magistrat est seul compétent, à l’exclusion de toute autre formation du tribunal, pour statuer sur les fins de non-recevoir ». Cette formulation reprend les termes mêmes du texte issu de la réforme de la procédure civile entrée en vigueur le 1er janvier 2020.
L’article 789 du code de procédure civile confie au juge de la mise en état une mission de régulation procédurale. Cette compétence exclusive vise à purger le procès des incidents de procédure avant l’audience de plaidoiries. Le législateur a ainsi entendu rationaliser le déroulement du procès civil en évitant que le tribunal, au fond, soit saisi de questions qui auraient dû être tranchées en amont.
La jurisprudence a précisé la portée de cette règle. La Cour de cassation a jugé que le juge de la mise en état dispose d’une compétence exclusive pour examiner les fins de non-recevoir, quand bien même elles seraient soulevées pour la première fois devant la formation de jugement. Cette exclusivité se distingue de la simple priorité en ce qu’elle prive définitivement le tribunal de tout pouvoir de statuer sur ces moyens.
B. L’irrecevabilité des fins de non-recevoir soulevées devant le tribunal
Le tribunal déclare irrecevables « les fins de non-recevoir soulevées par la société AESE, tirées de l’absence de notification préalable au sens de l’article 1792-6 du code civil, de l’absence de mise en demeure préalable d’avoir à exécuter le contrat, du défaut d’intérêt ou de qualité à agir ». Cette solution s’impose avec la force de l’évidence procédurale.
La défenderesse avait soulevé trois moyens distincts tendant à l’irrecevabilité des demandes. Le premier tirait argument de l’absence de notification écrite préalable, condition de mise en œuvre de la garantie de parfait achèvement prévue à l’article 1792-6 du code civil. Le deuxième invoquait l’absence de mise en demeure d’exécution au sens de l’article 1231 du même code. Le troisième contestait la qualité à agir de l’épouse non signataire du contrat.
Ces trois moyens constituaient incontestablement des fins de non-recevoir. Or, faute d’avoir été soumis au juge de la mise en état, ils ne pouvaient plus être examinés par le tribunal. Cette solution, conforme à la lettre du texte, présente l’avantage de la prévisibilité procédurale. Elle impose aux parties une rigueur dans la présentation de leurs moyens de défense et sanctionne la négligence procédurale par une forclusion définitive.
II. La sanction du comportement déloyal de l’entrepreneur
Le tribunal caractérise les manquements techniques de l’entrepreneur aux règles de l’art (A), puis qualifie de malveillance le refus d’exécuter la garantie de parfait achèvement (B).
A. La caractérisation des manquements aux règles de l’art
L’expert judiciaire avait relevé que « le fabriquant LG avait mis spécialement en garde sur la qualité de l’eau de l’installation de chauffage, sur l’élimination préalable des boues par un nettoyage des réseaux si la pompe à chaleur était installée sur des circuits existants ». Le tribunal retient que la société « n’avait pas procédé, avant la mise en place de la pompe à chaleur, à un désembouage complet de l’installation ».
Ces constatations techniques caractérisent un manquement aux règles de l’art. L’entrepreneur professionnel se devait de respecter les préconisations du fabricant, particulièrement lorsque l’installation s’effectuait sur un circuit de chauffage préexistant. L’absence de désembouage, de pot à boues et de traitement chimique préventif constituait une faute contractuelle d’autant plus caractérisée que le fabricant avait expressément mis en garde contre ces risques.
Le tribunal accueille la demande d’indemnisation par équivalent en relevant que « conformément à l’article 1792 du code civil, il est admis que le responsable de désordres de construction ne peut imposer au maître de l’ouvrage la réparation en nature du préjudice par lui subi ». Cette solution, conforme à la jurisprudence constante de la Cour de cassation, préserve la liberté du maître de l’ouvrage de choisir l’entreprise qui procédera aux travaux de reprise.
B. La qualification de malveillance dans le refus d’exécuter la garantie
Le tribunal retient une « malveillance au long cours » de la société défenderesse, justifiant l’octroi de 4.000 euros en réparation du préjudice moral. Cette qualification sévère se fonde sur plusieurs éléments factuels convergents.
L’entrepreneur avait « refusé de remédier à la nouvelle panne survenue début janvier 2023 en dépit des températures hivernales ». Il avait adressé une mise en demeure de retirer un avis négatif « sous peine de poursuite pénale » et subordonné « toute intervention à la signature d’un protocole transactionnel ». Le tribunal qualifie expressément ce comportement de « chantage par messages Sms ».
Cette caractérisation de la malveillance présente un intérêt doctrinal notable. Elle dépasse le simple constat d’une inexécution contractuelle pour atteindre la qualification d’un comportement délibérément préjudiciable. L’entrepreneur ne s’était pas contenté de ne pas intervenir. Il avait instrumentalisé l’inexécution de ses obligations légales pour obtenir le retrait d’un commentaire défavorable, pourtant fondé sur des désordres réels.
Le préjudice moral se trouve ainsi justifié non par la seule privation de chauffage, mais par l’atteinte à la dignité des maîtres de l’ouvrage soumis à un rapport de force inégal. Cette solution illustre la fonction réparatrice du droit de la responsabilité civile face aux comportements déloyaux dans l’exécution des contrats.