Tribunal judiciaire de Mulhouse, le 17 juin 2025, n°24/01639

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Rendue par le juge des contentieux de la protection de Mulhouse le 17 juin 2025, la décision tranche un litige né d’un crédit à la consommation. Le prêteur, se prévalant de la déchéance du terme, sollicitait le paiement du solde avec intérêts contractuels et accessoires. Les emprunteurs n’ont pas comparu. Le juge vérifie cependant, conformément aux exigences du droit de la consommation, la forclusion, la validité des mises en demeure, et surtout l’exécution des obligations précontractuelles, au premier rang desquelles la consultation du FICP et la vérification de solvabilité.

Les faits sont simples et déterminants. Un prêt personnel de 7 200 euros a été consenti pour soixante mensualités, avec mise à disposition des fonds en février 2021. Des impayés surviennent en juin 2023. Une mise en demeure est adressée en février 2024, suivie d’une déchéance du terme en mars 2024. L’assignation intervient en juin 2024. Le prêteur réclame plus de cinq mille euros outre intérêts et indemnités procédurales, tandis que les emprunteurs demeurent silencieux et absents.

La procédure est marquée par la vigilance du juge, qui soulève d’office les moyens tirés du contrôle de la solvabilité et de la consultation du FICP. Il statue au fond malgré la non‑comparution, rappelant que « Si le défendeur ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond. Le juge ne fait droit à la demande que dans la mesure où il l’estime régulière, recevable et bien fondée ». Les thèses en présence opposent, d’un côté, la prétention au remboursement capitalisé avec intérêts, et, de l’autre, la réduction de la créance aux seuls montants légalement exigibles en cas de manquement aux obligations d’information et d’évaluation.

La question de droit tient en deux points. D’abord, déterminer si l’action est recevable au regard du délai biennal de l’article R.312‑35 du code de la consommation, en présence d’impayés successifs. Ensuite, apprécier la sanction applicable au prêteur en cas de preuve insuffisante de la consultation du FICP, et décider s’il convient d’écarter toute production d’intérêts, y compris au taux légal, pour satisfaire aux exigences d’« effectivité, proportion et dissuasion » issues de la directive 2008/48. La solution retient la recevabilité, prononce la déchéance intégrale du droit aux intérêts depuis l’origine, limite la créance au seul capital résiduel (3 722,31 euros), et écarte l’application des intérêts légaux afin d’assurer l’effectivité de la sanction.

I. Le sens de la décision

A. La forclusion biennale et la déchéance du terme vérifiées avec rigueur

Le juge fixe d’abord le cadre procédural. La non‑comparution ne dispense pas du contrôle de la régularité, qui demeure une exigence autonome et substantielle. La citation de l’article 472 du code de procédure civile justifie l’examen complet des conditions de l’action et des exceptions, même par défaut, pour garantir une solution juridiquement fondée.

La recevabilité s’apprécie au regard du premier incident non régularisé, compte tenu des règles d’imputation des paiements. Le point de départ du délai est fixé en juin 2023, tandis que l’assignation est délivrée en juin 2024. La computation demeure orthodoxe puisqu’un règlement partiel équivaut à un impayé persistant. La mise en demeure de février 2024, suivie de la déchéance du terme en mars 2024, satisfait aux exigences d’un déclenchement loyal des effets contractuels, le juge rappelant qu’une clause de déchéance ne produit ses effets qu’après une mise en demeure inefficace précisant un délai pour s’exécuter.

B. Le défaut de preuve utile de la consultation du FICP et la déchéance du droit aux intérêts

L’essentiel de la motivation tient à la preuve de l’exécution des obligations précontractuelles. Le prêteur supporte la charge de la démonstration, laquelle implique des éléments objectifs, datés et vérifiables, sur la consultation du FICP et l’évaluation de solvabilité. Un document interne mentionnant un « appel effectué » ne suffit pas, car il ne garantit ni la réalité de la consultation, ni sa date, ni son contenu utile au regard de la prévention du surendettement.

La sanction appliquée s’inscrit dans le cadre du code de la consommation. Le juge rappelle qu’« en cas de déchéance du droit aux intérêts, le débiteur n’est tenu qu’au remboursement du seul capital restant dû, déduction faite des règlements opérés ». Cette solution, tirée de l’article L.341‑8, emporte aussi exclusion des accessoires, y compris primes et frais. Le calcul est ensuite rapproché de la réalité des versements, pour fixer le capital résiduel à une somme déterminée, claire et motivée, conforme à l’économie de la sanction.

II. La valeur et la portée

A. L’écartement des intérêts légaux au nom de l’effectivité des sanctions européennes

La décision franchit un pas supplémentaire en neutralisant tout intérêt moratoire. Le juge fait application de la jurisprudence européenne selon laquelle « le juge national chargé d’appliquer, dans le cadre de sa compétence, les dispositions du droit communautaire, a l’obligation d’assurer le plein effet de ces normes, en laissant au besoin inappliquée, de sa propre initiative, toute disposition contraire de la législation nationale ». Cette exigence, consacrée par l’arrêt Simmenthal, commande un contrôle concret de l’effectivité de la sanction.

La directive 2008/48 impose des sanctions « effectives, proportionnées et dissuasives ». La Cour de justice a précisé que l’article 23 « s’oppose à l’application d’intérêts au taux légal si “les montants susceptibles d’être effectivement perçus par le prêteur à la suite de l’application de la sanction de la déchéance du droit aux intérêts ne sont pas significativement inférieurs à ceux dont celui‑ci pourrait bénéficier s’il avait respecté ses obligations” ». Elle ajoute qu’il appartient au juge « de comparer, dans les circonstances de l’affaire dont elle est saisie, les montants que le prêteur aurait perçus […] avec ceux qu’il percevrait en application de la sanction ». En l’espèce, la comparaison conduite conduit à écarter les articles 1231‑7 du code civil et L.313‑3 du code monétaire et financier, afin d’éviter que l’intérêt légal ne compense la sanction et n’en altère la dissuasion.

La valeur de la solution tient à sa cohérence téléologique. Le refus de tout intérêt moratoire n’est pas un supplément de sanction, mais la condition de l’efficacité minimale de la déchéance. La logique de protection du consommateur et de prévention du risque de surendettement commande que la sanction ait une portée incitative réelle sur les pratiques du prêteur, surtout lorsqu’il s’agit d’obligations structurelles d’instruction du dossier.

B. Les enseignements pratiques: charge probatoire, documentation et alignement des pratiques

La portée de l’arrêt est double. Sur le terrain probatoire, il exige une traçabilité robuste de la consultation du FICP. Un relevé horodaté, un accusé de consultation ou une capture certifiée constituent des pièces probantes adaptées, alors qu’une simple mention interne demeure équivoque et insuffisante. La discipline documentaire devient centrale pour sécuriser le recouvrement, notamment en contentieux de masse.

Sur le terrain des sanctions, l’exclusion des intérêts légaux institue un standard de conformité articulé à l’« effectivité » européenne. La comparaison économique exigée par la Cour de justice devient un passage obligé de la motivation, sous peine d’affaiblir la sanction. Elle incite, en pratique, à reconfigurer les demandes pour ne pas recréer, par l’intérêt légal majoré, un équivalent des intérêts contractuels perdus. La solution, transposable à l’ensemble des crédits aux consommateurs, accroît l’exigence de compliance et renforce la prévention, tout en limitant la créance au capital net après imputation.

Ainsi, la décision explicite clairement le lien entre contrôle probatoire, sanction civile et primauté fonctionnelle du droit de l’Union, au service d’une sanction réellement dissuasive. Elle offre un guide opératoire aux prêteurs sur la preuve utile et les effets financiers attachés aux manquements, en fixant un cadre stable, lisible et protecteur.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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