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Le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Mulhouse, dans un jugement rendu le 19 juin 2025, se prononce sur les exigences pesant sur le prêteur en matière de crédit à la consommation conclu par voie électronique.
Un établissement bancaire a consenti le 18 février 2022 un prêt personnel amortissable d’un montant de 20 000 euros remboursable en 28 échéances au taux débiteur de 4,82 %. L’emprunteur ayant cessé d’honorer les mensualités, le prêteur s’est prévalu de la déchéance du terme après mise en demeure du 11 décembre 2023. Le prêteur a assigné l’emprunteur en paiement de la somme de 10 502,80 euros augmentée des intérêts contractuels.
L’emprunteur, régulièrement cité à personne physique, n’a pas comparu. Le tribunal a soulevé d’office plusieurs moyens fondés sur le code de la consommation relatifs à la forclusion et à la déchéance du droit aux intérêts.
La question posée au juge était triple. D’une part, le prêteur avait-il respecté son obligation de permettre l’exercice du droit de rétractation par voie électronique lorsque le contrat est conclu sous cette forme. D’autre part, le prêteur avait-il satisfait à son obligation de remise préalable de la fiche d’informations précontractuelles. Enfin, la vérification de la solvabilité de l’emprunteur avait-elle été effectuée conformément aux exigences légales.
Le tribunal prononce la déchéance totale du droit aux intérêts. Il relève que le prêteur ne démontre pas avoir permis à l’emprunteur d’exercer sa faculté de rétractation « par un procédé électronique permettant d’accéder au formulaire et de le renvoyer par la même voie ». Il constate également que la fiche d’informations précontractuelles a été signée le même jour que le contrat, sans délai de réflexion suffisant. Enfin, il retient que la vérification de solvabilité était insuffisante faute de justificatifs autres qu’un avis d’imposition ancien et une facture d’énergie. Le tribunal écarte en outre l’application des intérêts au taux légal pour garantir le caractère effectif de la sanction.
PREMIERE PARTIE : La rigueur des obligations formelles dans le crédit électronique
A. L’exigence d’un procédé électronique équivalent pour le formulaire de rétractation
Le droit de rétractation constitue une protection essentielle du consommateur en matière de crédit. L’article L. 312-21 du code de la consommation impose qu’un formulaire détachable soit joint à l’exemplaire du contrat remis à l’emprunteur. Lorsque le contrat est conclu par voie électronique, l’article 1176 du code civil transpose cette exigence en prévoyant qu’elle « est satisfaite par un procédé électronique qui permet d’accéder au formulaire et de le renvoyer par la même voie ».
Le tribunal relève que si la version papier du contrat comportait bien un bordereau de rétractation détachable, le prêteur « ne rapporte aucunement la preuve que l’emprunteur pouvait exercer sa faculté de rétractation par un procédé électronique ». Il note que l’emprunteur « ne pouvait concrètement exercer sa faculté de rétractation qu’en imprimant sur papier un exemplaire de l’écrit électronique » pour le renvoyer par lettre recommandée. Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence exigeante qui refuse de considérer la simple impression du document comme équivalente au procédé électronique requis par la loi.
La décision présente une portée significative pour la pratique bancaire. Elle impose aux établissements de crédit de mettre en place une fonctionnalité permettant la rétractation dématérialisée effective. Un simple envoi du contrat par courriel ne suffit pas à satisfaire cette obligation.
B. L’insuffisance de l’information précontractuelle concomitante
L’article L. 312-12 du code de la consommation impose au prêteur de fournir « préalablement à la conclusion du contrat » la fiche d’informations précontractuelles européennes normalisées. Cette antériorité n’est pas une simple formalité chronologique mais vise à permettre au consommateur de comparer les offres et d’appréhender l’étendue de son engagement.
Le tribunal constate que « la signature a débuté le 18 février 2022 à 17:48:22 pour se terminer à 17:57:43 et que la FIPEN a été signée le 18 février 2022 à 17:56:52 ». Il en déduit que la fiche « a au mieux été fournie à l’emprunteur concomitamment au contrat de crédit, sans qu’il ne dispose donc d’un délai raisonnable de réflexion entre la remise de ces deux documents ». La précision des horodatages du fichier de preuve électronique se retourne contre le prêteur.
Cette analyse rejoint la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle une clause de reconnaissance de remise précontractuelle « constitue seulement un indice qu’il incombe au prêteur de corroborer par un ou plusieurs éléments complémentaires » (Cass. 1re civ., 7 juin 2023, n° 22-15.552). La présence de la fiche dans la liasse contractuelle ne suffit pas à démontrer sa remise préalable effective.
DEUXIEME PARTIE : L’effectivité de la sanction à l’épreuve du droit de l’Union
A. La vérification insuffisante de la solvabilité de l’emprunteur
L’article L. 312-16 du code de la consommation impose au prêteur de vérifier la solvabilité de l’emprunteur « à partir d’un nombre suffisant d’informations ». Cette obligation ne se limite pas à recueillir des déclarations. Le tribunal rappelle que « de simples déclarations non étayées faites par un consommateur ne peuvent, en elles-mêmes, être qualifiées de suffisantes si elles ne sont pas accompagnées de pièces justificatives » (CJUE, 18 décembre 2014, aff. C-449/13).
En l’espèce, le prêteur ne produisait qu’un avis d’imposition sur les revenus de 2020 et une facture d’énergie. Le tribunal juge ces éléments insuffisants pour un prêt de 20 000 euros. L’avis d’imposition datait de deux ans avant la conclusion du contrat. Cette solution s’inscrit dans un mouvement jurisprudentiel qui exige du prêteur une vérification effective et non formelle de la capacité de remboursement.
La sanction de la déchéance du droit aux intérêts prévue par l’article L. 341-2 du code de la consommation peut être totale ou proportionnée. Le tribunal opte pour la déchéance totale eu égard au cumul des manquements constatés. Cette sévérité se justifie par la multiplication des irrégularités affectant le processus de conclusion du contrat.
B. La neutralisation des intérêts légaux au nom de l’effet utile du droit de l’Union
Le prêteur déchu de son droit aux intérêts contractuels reste en principe fondé à réclamer les intérêts au taux légal en application de l’article 1231-7 du code civil. Cependant, le tribunal écarte cette règle en se fondant sur l’article 23 de la directive 2008/48 qui exige des sanctions « effectives, proportionnées et dissuasives ».
Le tribunal applique la jurisprudence de la Cour de justice selon laquelle « si la sanction de la déchéance du droit aux intérêts se trouvait affaiblie, voire purement et simplement annihilée, en raison du fait que l’application des intérêts au taux légal majoré est susceptible de compenser les effets d’une telle sanction, il en découlerait nécessairement que celle-ci ne présente pas un caractère véritablement dissuasif » (CJUE, 27 mars 2014, aff. C-565/12). Il constate que les montants susceptibles d’être perçus au titre des intérêts légaux majorés ne seraient pas significativement inférieurs aux intérêts contractuels.
Cette solution témoigne de la primauté du droit de l’Union et de l’obligation pour le juge national de laisser inappliquée toute disposition interne contraire. L’emprunteur est ainsi condamné au seul remboursement du capital restant dû, soit 7 805,02 euros sans intérêt d’aucune sorte. La portée pratique de cette décision est considérable pour les établissements de crédit qui ne peuvent plus compter sur le rattrapage par les intérêts légaux en cas de manquement à leurs obligations précontractuelles.