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Par cette ordonnance du 19 juin 2025, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Nanterre se prononce sur les incidents relatifs à la prescription des demandes respectives des parties dans un litige opposant une société spécialisée en ascenseurs à un syndicat des copropriétaires. Ce litige porte sur le paiement du solde de travaux de modernisation d’ascenseurs et les demandes reconventionnelles en dommages et intérêts pour malfaçons.
Les faits sont les suivants. Un syndicat des copropriétaires a confié à une société, par contrat du 18 juin 2014, la modernisation de cinq appareils élévateurs pour un montant total de 82 129,30 euros TTC. Les travaux ont été réalisés entre octobre et décembre 2014, donnant lieu à des procès-verbaux d’essais et de vérifications les 19 novembre et 17 décembre 2014. Des réserves ont été formulées, puis levées par procès-verbaux des 7 janvier, 4 février et 4 juin 2015. Le syndicat des copropriétaires a refusé de régler le solde des travaux d’un montant de 34 220,56 euros TTC.
Par ordonnance de référé du 20 avril 2017, le syndicat des copropriétaires a été condamné à verser une provision de 15 000 euros. Le 21 novembre 2019, la société créancière a mis en demeure le syndicat de régler le solde restant dû. Par assignation du 10 juin 2020, cette société a saisi le tribunal judiciaire de Nanterre aux fins d’obtenir le paiement du solde des travaux et des factures de maintenance impayées. Le syndicat des copropriétaires a formé des demandes reconventionnelles tendant notamment à la condamnation de la société au titre des malfaçons et des pénalités de retard.
Par conclusions d’incident du 13 septembre 2023, la société demanderesse a sollicité du juge de la mise en état le prononcé de la réception judiciaire des travaux au 17 décembre 2014 et la déclaration d’irrecevabilité des demandes reconventionnelles pour cause de prescription. Le syndicat des copropriétaires a conclu au rejet de ces demandes et soulevé, à titre reconventionnel, la prescription des demandes en paiement de son adversaire.
La question de droit soumise au juge de la mise en état était la suivante : ce magistrat est-il compétent pour statuer sur les fins de non-recevoir tirées de la prescription lorsque leur examen implique de trancher une question de fond relative à la date de réception des travaux ?
Le juge de la mise en état répond par la négative. Il décide de renvoyer les incidents à la formation de jugement « au regard de la complexité des présents incidents, qui nécessite que soit tranchée une question de fond centrale du dossier ».
Cette décision illustre les limites de la compétence du juge de la mise en état en matière de fins de non-recevoir (I) et consacre le caractère déterminant de la réception des travaux comme préalable à l’examen de la prescription (II).
I. Les limites de la compétence du juge de la mise en état en matière de fins de non-recevoir
Le juge de la mise en état dispose d’une compétence exclusive pour statuer sur les fins de non-recevoir depuis la réforme de la procédure civile (A). Cette compétence connaît une exception légale lorsque la complexité du moyen le justifie (B).
A. Une compétence exclusive de principe en matière de fins de non-recevoir
L’ordonnance rappelle les dispositions de l’article 789 du code de procédure civile dans sa version applicable aux instances introduites à compter du 1er janvier 2020. Selon ce texte, « lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu’à son dessaisissement, seul compétent, à l’exclusion de toute autre formation du tribunal, pour statuer sur les fins de non-recevoir ».
Cette compétence exclusive constitue une innovation majeure issue du décret du 11 décembre 2019 portant réforme de la procédure civile. Elle vise à purger le procès de toute difficulté relative à la recevabilité des demandes avant l’examen au fond. Le juge de la mise en état devient ainsi le gardien de la régularité procédurale du litige.
L’article 122 du code de procédure civile définit la fin de non-recevoir comme « tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée ». La prescription figure expressément parmi ces moyens.
En l’espèce, les deux parties invoquaient la prescription à l’encontre des demandes adverses. La société demanderesse soutenait l’irrecevabilité des demandes reconventionnelles au motif que le délai de parfait achèvement, le délai de garantie de bon fonctionnement et le délai de cinq ans de la responsabilité contractuelle de droit commun étaient écoulés. Le syndicat des copropriétaires soulevait quant à lui la prescription des demandes en paiement formées à son encontre.
Le juge de la mise en état était donc saisi de fins de non-recevoir tirées de la prescription relevant en principe de sa compétence exclusive. Toutefois, cette compétence n’est pas absolue.
B. L’exception légale tenant à la complexité du moyen soulevé
Le dernier alinéa de l’article 789 du code de procédure civile prévoit une dérogation au principe de compétence exclusive. « S’il estime que la complexité du moyen soulevé ou l’état d’avancement de l’instruction le justifie, le juge de la mise en état peut décider que la fin de non-recevoir sera examinée à l’issue de l’instruction par la formation de jugement appelée à statuer sur le fond. »
Cette faculté de renvoi constitue une mesure d’administration judiciaire. Elle n’est donc susceptible d’aucun recours autonome. Le texte précise que « les parties sont alors tenues de reprendre la fin de non-recevoir dans les conclusions adressées à la formation de jugement ».
Le juge de la mise en état fait usage de cette faculté en l’espèce. Il relève que l’examen des fins de non-recevoir tirées de la prescription « nécessite que soit tranchée une question de fond centrale du dossier ». La complexité des incidents justifie selon lui leur renvoi à la formation de jugement.
Cette solution présente l’avantage de la cohérence. Trancher la question de la date de réception des travaux lors de l’incident aurait conduit le juge de la mise en état à préjuger du fond. Or la réception des travaux constitue précisément le point nodal du litige, conditionnant tant le droit au paiement du solde que la recevabilité des demandes reconventionnelles.
Le renvoi à la formation de jugement permet d’éviter un éclatement artificiel du contentieux. La juridiction de fond pourra statuer de manière globale sur l’ensemble des questions liées.
II. Le caractère déterminant de la réception des travaux dans l’appréciation de la prescription
La réception des travaux constitue le point de départ des différents délais de prescription en matière de construction (A). Les parties divergeaient sur la date à retenir, rendant nécessaire une décision sur le fond (B).
A. La réception comme point de départ des délais de prescription
L’ordonnance mentionne plusieurs délais de prescription invoqués par la société demanderesse : le délai de parfait achèvement d’un an, le délai de garantie de bon fonctionnement et le délai de cinq ans de la responsabilité contractuelle de droit commun. Ces délais ont pour point de départ commun la réception des travaux.
L’article 1792-6 du code civil, visé dans les conclusions de la société, dispose que « la réception est l’acte par lequel le maître de l’ouvrage déclare accepter l’ouvrage avec ou sans réserves ». Cet acte juridique marque le transfert des risques et constitue le fait générateur des garanties légales.
Le délai de prescription de droit commun de cinq ans prévu à l’article 2224 du code civil court « à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ». En matière de construction, ce point de départ coïncide généralement avec la réception pour les désordres apparents.
La société demanderesse soutenait que la réception judiciaire devait être prononcée au 17 décembre 2014, date des procès-verbaux d’essais et vérifications. Si cette date était retenue, les demandes reconventionnelles formées par conclusions du 28 août 2021 seraient effectivement prescrites, le délai de cinq ans ayant expiré le 17 décembre 2019.
À l’inverse, le syndicat des copropriétaires contestait cette date. Il soutenait avoir « refusé de manière non équivoque la réception des travaux » et demandait que celle-ci soit fixée « au prononcé de la décision au fond ou a minima au jour de l’arrêté de l’état contradictoire établi entre les sociétés KONE et IREA le 3 décembre 2020 ».
Cette divergence sur la date de réception commandait l’issue des fins de non-recevoir.
B. L’impossibilité de statuer sur la prescription sans trancher le fond
Le juge de la mise en état constate que « les parties sollicitent le prononcé d’une réception judiciaire des travaux à des dates différentes ». Il en déduit qu’« il est nécessaire de statuer sur une éventuelle réception des travaux, afin d’examiner ces fins de non-recevoir tirées de la prescription ».
Cette motivation révèle l’interdépendance entre la fin de non-recevoir et le fond du litige. La prescription n’est pas un moyen autonome dont l’examen pourrait être isolé. Son sort dépend entièrement de la qualification juridique d’un fait central du procès.
La réception des travaux constitue une question de fond par excellence. Elle implique de vérifier si les travaux étaient en état d’être reçus, si le maître de l’ouvrage a manifesté une volonté non équivoque de les accepter et si les réserves ont été levées. Ces éléments supposent une analyse approfondie des pièces contractuelles et des procès-verbaux.
Le juge de la mise en état ne dispose pas de la plénitude de juridiction nécessaire pour trancher cette question. Statuer sur la date de réception reviendrait à vider le litige de sa substance avant même l’examen au fond. La formation de jugement est seule à même d’apprécier l’ensemble des éléments du dossier et de tirer les conséquences de cette appréciation sur la recevabilité et le bien-fondé des demandes respectives.
Cette décision illustre la sagesse procédurale. Le renvoi à la formation de jugement garantit une bonne administration de la justice en évitant des décisions parcellaires potentiellement contradictoires. Les parties devront reprendre leurs fins de non-recevoir dans leurs conclusions au fond, permettant un débat global devant la juridiction de jugement.