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Le jugement du tribunal judiciaire de Nanterre du 19 juin 2025 illustre les difficultés inhérentes à la reconnaissance des maladies professionnelles psychiques et consacre la portée contraignante de l’avis du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles. Un salarié employé comme directeur d’établissement multisites avait déclaré une dépression réactionnelle à une souffrance professionnelle et sollicité la prise en charge de cette affection au titre de la législation sur les risques professionnels.
Les faits révèlent qu’à la suite d’une restructuration interne de l’établissement, le poste du salarié avait été remis en cause. Ce dernier avait été invité à solliciter une mutation qu’il avait refusée, invoquant une perte d’autonomie et une perte de crédibilité auprès de son équipe. Un certificat médical du 24 septembre 2019 avait constaté une dépression réactionnelle et prescrit un arrêt de travail. La caisse primaire d’assurance maladie, après avoir recueilli l’avis favorable du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles des Hauts-de-France, avait décidé le 10 septembre 2020 de prendre en charge cette affection comme maladie professionnelle hors tableau.
L’employeur avait contesté cette décision devant la commission de recours amiable, qui avait rejeté son recours par décision notifiée le 16 décembre 2020. L’employeur avait alors saisi le tribunal judiciaire de Nanterre, lequel avait désigné un second comité régional conformément aux exigences procédurales applicables en la matière. Le comité de la région Nouvelle-Aquitaine avait rendu son avis le 10 décembre 2024, confirmant le caractère professionnel de la maladie.
L’employeur soutenait que la caisse ne rapportait pas la preuve d’un lien direct et essentiel entre la maladie déclarée et le travail habituel du salarié. Il faisait valoir l’absence de surcharge de travail et de signalement de difficultés relationnelles, ainsi que l’existence d’un accord relatif à la qualité de vie au travail.
La question posée au tribunal était de déterminer si une affection psychique déclarée par un salarié à la suite d’une restructuration pouvait être reconnue comme essentiellement et directement causée par le travail habituel, au sens de l’article L461-1 du code de la sécurité sociale.
Le tribunal déboute l’employeur de sa demande d’inopposabilité et déclare la décision de prise en charge opposable à ce dernier. Il retient que « les conditions de travail ont pu exposer l’assuré à un risque psycho-social » et qu’il n’existe « pas d’antécédent médical psychiatrique antérieur à l’épisode actuel, ni de facteur extraprofessionnel pouvant expliquer de façon directe la pathologie déclarée ».
Ce jugement mérite attention en ce qu’il précise les conditions d’établissement du lien causal exigé pour les maladies hors tableau (I) et confirme l’autorité de l’avis du comité régional dans le contentieux de l’opposabilité (II).
I. L’établissement du lien de causalité direct et essentiel en matière de maladie psychique professionnelle
La reconnaissance des affections psychiques comme maladies professionnelles suppose de démontrer un lien particulièrement étroit avec l’activité professionnelle (A), ce qui implique une méthode probatoire fondée sur l’exclusion des causes alternatives (B).
A. L’exigence renforcée d’un lien direct et essentiel pour les maladies hors tableau
L’article L461-1 du code de la sécurité sociale distingue plusieurs régimes de reconnaissance des maladies professionnelles. Pour les affections inscrites aux tableaux et remplissant les conditions qui y sont mentionnées, une présomption d’imputabilité s’applique. En revanche, pour les maladies non désignées dans un tableau, le texte impose que soit établi un lien « essentiellement et directement » causal avec le travail habituel de la victime. Cette double exigence traduit la volonté du législateur de réserver ce mode de reconnaissance aux situations où l’activité professionnelle constitue la cause prépondérante de l’affection.
Le tribunal rappelle cette exigence en citant les dispositions applicables et en soulignant que la maladie déclarée, une dépression réactionnelle, ne figure dans aucun tableau. Le comité des Hauts-de-France avait retenu que « suite à une réorganisation, l’apparition de facteurs de risques tels que l’augmentation de la charge de travail, une violation managériale, un manque de soutien et un isolement » permettait d’établir le lien requis. Cette motivation révèle que les risques psychosociaux peuvent constituer le fondement d’une reconnaissance professionnelle dès lors qu’ils présentent une intensité suffisante.
La jurisprudence de la Cour de cassation a progressivement admis que les affections psychiques pouvaient relever de la législation professionnelle. Cette évolution répond à une réalité épidémiologique et sociale désormais bien documentée. Le burn-out, les dépressions réactionnelles et les syndromes anxieux liés au travail constituent une part croissante des demandes de reconnaissance. Le présent jugement s’inscrit dans cette tendance en validant la prise en charge d’une dépression survenue dans un contexte de restructuration.
B. La méthode probatoire par élimination des causes extraprofessionnelles
La démonstration du caractère essentiel du lien causal emprunte une voie négative. Le comité de Nouvelle-Aquitaine a expressément relevé qu’il n’existait « pas d’antécédent médical psychiatrique antérieur à l’épisode actuel, ni de facteur extraprofessionnel pouvant expliquer de façon directe la pathologie déclarée ». Cette formulation traduit une méthode d’investigation fondée sur l’exclusion des causes alternatives plutôt que sur l’établissement positif d’un mécanisme étiologique.
Cette approche se justifie par la difficulté inhérente aux pathologies psychiques. Contrairement aux maladies physiques pour lesquelles un agent pathogène ou une lésion peuvent être objectivés, les troubles mentaux procèdent de mécanismes multifactoriels. L’absence d’antécédent psychiatrique personnel et l’inexistence de facteurs extraprofessionnels identifiables permettent de conclure que le travail constitue la cause prépondérante, sans exiger une démonstration scientifique impossible à produire.
L’employeur contestait cette analyse en faisant valoir l’existence d’un accord sur la qualité de vie au travail et l’absence de signalement antérieur de difficultés. Le tribunal écarte ces arguments en relevant que la restructuration avait effectivement remis en cause le poste du salarié et que celui-ci avait invoqué une perte d’autonomie et de crédibilité. Ces éléments factuels corroborent l’existence d’une dégradation des conditions de travail susceptible d’engendrer une souffrance psychique. L’existence d’un accord collectif ne suffit pas à garantir l’absence de risques psychosociaux dans les situations individuelles.
II. L’autorité de l’avis du comité régional dans le contentieux de l’opposabilité
Le mécanisme de consultation d’un second comité régional en cas de contestation juridictionnelle renforce la légitimité de la décision (A), tandis que la convergence des deux avis successifs consolide l’opposabilité à l’employeur (B).
A. Le contrôle juridictionnel par la désignation d’un second comité régional
L’article R142-17-2 du code de la sécurité sociale organise une garantie procédurale spécifique lorsque l’employeur conteste la reconnaissance d’une maladie professionnelle hors tableau. Le tribunal doit recueillir l’avis d’un comité régional distinct de celui initialement consulté par la caisse. Cette exigence vise à assurer l’impartialité de l’expertise et à permettre un réexamen complet du dossier par une instance indépendante de la première.
En l’espèce, le comité de Nouvelle-Aquitaine a été désigné par jugement avant dire droit du 2 septembre 2024. Il a disposé de l’ensemble des éléments du dossier, incluant le rapport circonstancié de l’employeur et les conclusions de ce dernier. Cette consultation contradictoire renforce la fiabilité de l’avis rendu. Le tribunal souligne que le comité a pris connaissance de tous les éléments pour rendre « un avis motivé et argumenté ».
Ce mécanisme de double expertise constitue une originalité du contentieux des maladies professionnelles hors tableau. Il traduit la reconnaissance par le législateur de la complexité des questions médicales en cause et de la nécessité d’un éclairage technique approfondi. Le juge judiciaire, dépourvu de compétence médicale, s’appuie sur ces avis pour trancher le litige. La procédure garantit ainsi un équilibre entre l’expertise scientifique et le contrôle juridictionnel.
B. La force probante de la convergence des avis dans l’appréciation de l’opposabilité
Le tribunal observe que les deux comités régionaux consultés sont parvenus à la même conclusion favorable à la reconnaissance du caractère professionnel. Cette convergence constitue un élément déterminant dans l’appréciation portée par la juridiction. Le jugement relève que l’avis du second comité est « régulier et suffisamment motivé » en ce qu’il a retenu le lien direct et essentiel sur la base d’éléments précis et vérifiables.
L’employeur ne parvenait pas à renverser cette double analyse médicale par des éléments probants. Les arguments tirés de l’existence d’un accord sur la qualité de vie au travail ou de l’absence de signalement antérieur ne suffisaient pas à démontrer l’inexistence d’un risque psychosocial. Le tribunal écarte expressément ces moyens en relevant qu’ils « ne sauraient suffire à exclure le lien direct et essentiel ».
La décision illustre la portée de l’article L461-1 alinéa 5 du code de la sécurité sociale, selon lequel l’avis du comité s’impose à la caisse. Cette règle confère à l’expertise médicale une autorité particulière dans la chaîne décisionnelle. Lorsque deux comités distincts aboutissent au même constat, la marge de contestation de l’employeur se trouve considérablement réduite. Le contentieux de l’opposabilité suppose alors de démontrer une irrégularité procédurale ou une erreur manifeste, ce qui n’était pas établi en l’espèce. La décision rappelle ainsi que le débat sur le fond de la reconnaissance ne peut prospérer lorsque l’expertise médicale réglementaire a été correctement conduite.