Tribunal judiciaire de Nanterre, le 20 juin 2025, n°23/02014

Le tribunal judiciaire de Nanterre, ordonnance de référé du 20 juin 2025, tranche un différend né d’un chantier de rénovation assorti d’une assurance dommages-ouvrage. Des désordres multiples ont été déclarés par l’assuré fin novembre 2021. L’assureur dommages-ouvrage n’a notifié sa position qu’en février 2022, au-delà du délai légal. Une prise en charge partielle a été proposée, des postes significatifs demeurant contestés quant à leur réalité, leur imputabilité et leur chiffrage.

En référé, l’assuré sollicitait une provision élevée, une expertise judiciaire et la communication sous astreinte d’un devis concurrent. L’assureur dommages-ouvrage s’opposait au quantum, invoquait plusieurs contestations et appelait en garantie l’assureur décennal de l’entreprise et l’assureur du maître d’œuvre. Les assureurs appelés contestaient toute obligation en l’état, en particulier l’absence de réception sans réserve et l’incertitude sur le périmètre des polices.

La question posée portait, d’une part, sur l’étendue de la provision au regard de l’article L.242-1 du code des assurances en cas de dépassement du délai de soixante jours, d’autre part, sur la possibilité de statuer en référé sur des appels en garantie marqués par des contestations sérieuses. La juridiction accorde une provision de 185 040 euros, ordonne une expertise sur le fondement probatoire autonome de l’article 145 du code de procédure civile, refuse la communication sous astreinte et écarte les appels en garantie.

I. Le fondement et l’assiette de la provision en dommages-ouvrage

A. Le critère de l’obligation non sérieusement contestable en référé

L’ordonnance rappelle le cadre du référé-provision en des termes constants: « Aux termes de l’article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, le président du tribunal peut accorder, en référé, une provision au créancier. » Elle précise la méthode du juge des référés: « L’octroi d’une provision suppose le constat préalable par le juge de l’existence d’une obligation non sérieusement contestable […] et ne peut l’être qu’à hauteur du montant non sérieusement contestable de cette obligation. »

La charge de la preuve est articulée avec netteté: « Il appartient au demandeur de prouver l’existence de l’obligation, puis au défendeur de démontrer qu’il existe une contestation sérieuse susceptible de faire échec à la demande. » La temporalité de l’examen est fixée sans ambiguïté: « L’existence d’une contestation sérieuse s’apprécie à la date de sa décision et non à celle de sa saisine. » Le juge isole ainsi un noyau dur non contestable et refuse de préjuger ce qui requiert des vérifications techniques, ce qui justifie une provision calibrée et le renvoi du surplus à l’expertise.

En l’espèce, certaines catégories de désordres étaient admises au principe et évaluées par un cabinet d’expertise mandaté par l’assureur. D’autres postes étaient sérieusement discutés, soit quant à leur qualification en dommages à l’ouvrage, soit quant à l’étendue des reprises. Cette structuration du litige autorisait une provision partielle, strictement bornée à ce qui ne prêtait pas à débat sérieux, laissant l’incertain à l’instruction technique.

B. L’effet du dépassement de délai de l’article L.242-1 sur l’étendue du versement

Le juge décline ensuite la règle propre à l’assurance dommages-ouvrage: « Selon l’article L242-1 du code des assurances, […] A défaut, l’assuré peut, après l’avoir notifié à l’assureur, engager les dépenses nécessaires à la réparation des dommages. L’indemnité versée par l’assureur est alors majorée de plein droit d’un intérêt égal au double du taux de l’intérêt légal. » Il en rappelle la portée impérative: « Il est constant que l’assureur qui ne notifie pas à l’assuré dans un délai maximal de 60 jours […] ne peut plus contester le principe de sa garantie. »

La solution concilie ce principe avec l’office du référé-provision. D’un côté, le dépassement du délai ferme tout débat sur la mise en jeu des garanties pour les dommages déclarés. De l’autre, le quantum reste ajusté au seul « montant non sérieusement contestable », conformément à l’affirmation selon laquelle « Cette condition est suffisante et la provision peut être octroyée, quelle que soit l’obligation en cause. » Le montant de 185 040 euros, rattaché aux postes reconnus et chiffrés sans ambiguïté, est ainsi alloué, le surplus relevant d’une évaluation contradictoire à venir.

II. La portée procédurale: expertise probatoire et appels en garantie

A. Le recours subrogatoire préservé et les limites de l’office du juge des référés

L’ordonnance rappelle une donnée de principe utile à la suite du litige: « Il est constant que le dépassement des délais par l’assureur dommage ouvrage ne rend pas impossible le recours subrogatoire de l’assureur contre les auteurs des dommages quel que soit le fondement juridique donné à cette action. » Le droit de recours demeure, mais son traitement contentieux requiert un examen du fond, étranger à l’office du juge des référés en présence de contestations sérieuses.

Les appels en garantie dirigés contre les assureurs du constructeur et du maître d’œuvre se heurtent à des incertitudes majeures. Sont discutées la réception et ses réserves, la nature des interventions et la conformité des déclarations au périmètre des polices. Le juge constate ainsi des obligations « sérieusement contestables » et en tire la conséquence procédurale attendue: « Dès lors, il n’y a pas lieu à référé sur l’appel en garantie. » La mesure conservatoire en faveur de l’assuré n’implique donc pas un pré-jugement des responsabilités assurantielles connexes.

B. L’expertise de l’article 145 et la discipline de la communication des pièces

Le fondement probatoire autonome est expressément visé: « En vertu de l’article 145 du code de procédure civile : “s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve des faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées […]”. » L’existence d’un motif légitime ressort du caractère technique des désordres, de la diversité des causes alléguées et des divergences d’évaluation, justifiant une mission structurée et contradictoire.

Le juge organise la circulation des informations dans le cadre de l’expertise, plutôt que par injonctions dissociées et immédiates. La demande de communication sous astreinte est donc écartée au profit de la logique d’instruction orchestrée par l’expert. Le dispositif le confirme par une formule brève et claire: « DISONS n’y avoir lieu à référé sur la demande de communication de pièce. » Cette approche favorise l’économie procédurale, sécurise le contradictoire et prévient les débats fragmentés sur la preuve avant la première réunion d’expertise.

Par cet équilibre, l’ordonnance articule fermeté sur le principe de garantie en dommages-ouvrage et prudence sur le quantum contesté, tout en circonscrivant l’office du juge des référés face à des appels en garantie complexes. Elle construit, enfin, le terrain probatoire indispensable à une liquidation éclairée des responsabilités et des coûts, sans compromettre le droit de recours ultérieur de l’assureur.

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