Tribunal judiciaire de Nantes – Palais de Justice, le 19 juin 2025, n°24/03734

Tribunal judiciaire de Nantes, juge des contentieux de la protection, 19 juin 2025, RG 24/03734, Portalis DBYS-W-B7I-NN7A. Le litige concerne un bail d’habitation conclu oralement, des impayés limités et la demande de résiliation avec expulsion. Le bailleur social a délivré un commandement de payer en juillet 2024, puis a assigné en novembre 2024. À l’audience d’avril 2025, la dette actualisée s’élevait à 515,27 euros, finalement ramenée à 234,82 euros hors frais. Le locataire a reconnu l’arriéré et sollicité des délais, que le bailleur a acceptés, tout en maintenant ses prétentions principales. Les formalités de l’article 24 de la loi de 1989 ont été respectées, l’enquête sociale n’ayant pas été produite. La question posée était double et articulée. D’une part, la gravité des impayés, compte tenu de leur résorption en cours, justifiait‑elle une résiliation judiciaire sur le fondement de l’article 1224 du code civil. D’autre part, la situation permettait‑elle d’aménager la dette par des délais sur le fondement de l’article 1343‑5. Le juge a refusé la résiliation, a condamné le locataire au paiement de 234,82 euros avec intérêts au taux légal à compter du jugement, et a accordé un échéancier sur huit mois, avec exigibilité anticipée en cas d’impayé.

I. Le sens de la décision : contrôle de la gravité de l’inexécution et maintien du bail

A. L’existence du bail et la recevabilité de l’action, entre preuve assouplie et formalisme de prévention

Le juge rappelle, en des termes limpides, l’absence d’exigence d’écrit pour la validité du bail d’habitation. Il énonce que « le bail peut être verbal, l’écrit n’étant pas exigé comme condition de validité du bail. En présence d’un commencement d’exécution, la preuve de l’existence d’un tel bail peut être administrée par tous moyens. » La réalité du contrat, non contestée et corroborée par les pièces de paiement et d’occupation, n’appelait donc aucune difficulté probatoire.

La recevabilité de l’assignation, motivée par une dette locative, est appréciée au regard des diligences préalables obligatoires. Le jugement souligne que « une copie de l’assignation aux fins de résiliation de bail a été notifiée au représentant de l’Etat dans le département le 13 novembre 2024, soit au moins six semaines avant l’audience ». La saisine de la commission compétente deux mois avant l’assignation est également établie. Ce cadrage procédural, conforme à l’article 24 de la loi du 6 juillet 1989, fonde la pleine recevabilité de l’action.

B. Le refus de la résiliation, au regard d’une inexécution jugée non suffisamment grave

Le raisonnement s’ancre dans l’article 1224 du code civil, cité textuellement, selon lequel « la résolution résulte soit de l’application d’une clause résolutoire soit, en cas d’inexécution suffisamment grave, d’une notification du créancier au débiteur ou d’une décision de justice ». La juridiction rappelle ensuite sa marge d’appréciation en indiquant qu’« il appartient au juge d’apprécier souverainement si les manquements imputés sont d’une gravité suffisante pour justifier la résiliation du contrat. »

Les incidents de paiement antérieurs sont constatés, mais la reprise régulière des versements depuis l’été 2024 et la réduction de l’arriéré à 234,82 euros emportent la décision. Le juge privilégie le maintien du contrat, la résiliation constituant une sanction grave, inadaptée à une inexécution en voie d’extinction. L’obligation de payer les loyers, rappelée comme essentielle, reste pleinement sanctionnée par une condamnation au principal assortie d’intérêts, ce que confirme le motif suivant, clair et mesuré : « Cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter du présent jugement. » Ainsi, la solution concilie fermeté contractuelle et proportionnalité de la réponse judiciaire.

II. Valeur et portée : articulation des pouvoirs du juge et protection du logement

A. L’équilibre entre rigueur contractuelle et finalité protectrice du droit locatif

La décision assume l’orthodoxie des principes en rappelant que « le paiement des loyers et charges aux termes convenus dans le contrat est une obligation essentielle du locataire ». Pourtant, la gravité de l’inexécution ne se déduit pas mécaniquement de l’existence d’un arriéré, surtout lorsqu’il est résiduel, objectivé et en voie d’apurement. Le choix de refuser la résiliation, malgré un commandement de payer et des rejets antérieurs, traduit une lecture finaliste des textes. Elle privilégie la pérennité du lien contractuel lorsque la défaillance s’amende et que la dette est objectivement maîtrisée.

La technique mobilisée n’affaiblit pas la créance. Le juge isole les sommes non recouvrables au titre du principal (frais de procédure et de dossier exclus) et liquide l’arriéré réel. La sanction pécuniaire, renforcée par les intérêts et l’exigibilité anticipée en cas de défaut, préserve le droit du bailleur. Elle évite la disproportion d’une résiliation aux conséquences particulièrement lourdes dans un contexte d’habitation principale.

B. Les conséquences pratiques : délais de paiement, imputation et exécution provisoire

Le cœur opératoire de la décision réside dans l’octroi de délais sur le fondement de l’article 1343‑5 du code civil. Le jugement cite le texte, en rappelant que « le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues. (…) ». L’échéancier retenu, équilibré et court, tient compte des ressources fluctuantes du débiteur et de l’accord du bailleur. Il s’accompagne d’une clause d’exigibilité du solde en cas d’un seul impayé de l’échéance, assurant une incitation forte à l’exécution stricte.

Le juge précise utilement les règles d’imputation, dans un motif repris au dispositif, garantissant la transparence des règlements. Il est ainsi rappelé que « RAPPELLE que toute somme versée en plus du loyer et des charges courantes sera déduite de la dette ». Cette précision évite toute ambiguïté entre apurement de l’arriéré et paiement courant, et sécurise la reconstitution de la dette résiduelle.

Enfin, la décision maintient l’exécution provisoire de droit, conformément au code de procédure civile. Le motif est net et proportionné : « La nature du litige justifie que le prononcé de l’exécution provisoire de droit ne soit pas écarté ». Cette option confère effectivité à l’échéancier et à la condamnation au principal, tout en laissant intactes les voies de recours. La portée de l’arrêt se lit alors aisément. En présence d’impayés stabilisés et d’une dynamique d’apurement crédible, l’office du juge conduit à rejeter la résiliation, à liquider la dette certaine et à encadrer son règlement, sous contrôle d’une exigibilité immédiate en cas de rechute. L’équilibre recherché s’inscrit dans la logique protectrice du droit locatif sans sacrifier la sécurité créancière.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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