Tribunal judiciaire de Nice, le 13 juin 2025, n°25/00565

L’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation survenus à l’étranger soulève des difficultés particulières tenant à la détermination de la loi applicable. Le juge des référés du tribunal judiciaire de Nice, dans une ordonnance rendue le 13 juin 2025, apporte une illustration concrète de l’articulation entre les règles de conflit de lois et l’organisation d’une mesure d’expertise médicale.

Une personne a été victime d’un accident de la circulation en Italie, impliquant un véhicule immatriculé dans ce pays. Elle a subi une fracture du plateau tibial externe gauche ayant nécessité une intervention chirurgicale, une hospitalisation de près de deux mois et un séjour en centre de convalescence de trois mois. La victime a assigné en référé la caisse primaire d’assurance maladie des Alpes-Maritimes ainsi que la société MACIF, présentée comme représentante en France de la compagnie d’assurance italienne du véhicule impliqué, aux fins d’obtenir une expertise médicale et une provision à valoir sur son préjudice corporel.

La compagnie d’assurance italienne a contesté la compétence de la loi française et soutenu que seule la loi italienne devait régir l’indemnisation, l’accident s’étant produit sur le territoire italien. Elle a également fait valoir que la société MACIF, simple correspondante en France, ne pouvait être condamnée à verser une quelconque somme. La demanderesse n’a formulé aucune observation sur ce moyen.

La question posée au juge des référés était donc de déterminer la loi applicable à l’indemnisation d’une victime française d’un accident de la circulation survenu en Italie et, corrélativement, d’apprécier si une condamnation pouvait être prononcée à l’encontre du simple correspondant français de l’assureur étranger.

Le juge des référés a dit la loi italienne applicable, ordonné une expertise médicale et donné acte à la compagnie d’assurance italienne de son engagement de verser une provision de 8 000 euros. Il a rejeté les demandes de condamnation formées contre la société correspondante française.

Cette décision mérite examen tant au regard de l’application des règles de conflit de lois en matière d’accidents de la circulation (I) que de ses conséquences sur l’organisation de la mesure d’instruction et l’allocation des provisions (II).

I. L’application de la loi du lieu de l’accident aux accidents de la circulation transfrontaliers

Le juge des référés applique la Convention de La Haye du 4 mai 1971 pour déterminer la loi applicable (A), ce qui conduit à l’exclusion de la loi du 5 juillet 1985 (B).

A. Le principe de la lex loci delicti consacré par la Convention de La Haye

Le juge des référés fonde sa décision sur l’article 3 de la Convention de La Haye du 4 mai 1971 sur la loi applicable en matière d’accidents de la circulation routière. Cette convention, ratifiée par la France et l’Italie, pose le principe selon lequel « la loi applicable est la loi interne de l’Etat sur le territoire duquel l’accident est survenu ». Le magistrat relève que « l’accident est survenu en Italie et implique un véhicule immatriculé en Italie », ce qui rend la règle de principe pleinement applicable.

Cette solution s’inscrit dans la tradition du conflit de lois en matière de responsabilité délictuelle. La lex loci delicti demeure le rattachement de principe car elle assure une prévisibilité pour les parties et correspond à l’ordre juridique dans lequel le dommage s’est matérialisé. La Convention de La Haye prévoit certes des exceptions, notamment lorsque seuls des véhicules immatriculés dans un autre État sont impliqués ou lorsque la victime réside habituellement dans cet autre État. Ces exceptions n’étaient pas applicables en l’espèce puisque le véhicule impliqué était immatriculé en Italie.

Le silence de la demanderesse sur ce moyen mérite d’être souligné. Le juge note expressément que « Mme [M] n’a formée aucune observation à ce titre et n’a pas répondu au moyen soulevé ». Cette absence de contradiction procédurale ne dispensait pas le juge de vérifier l’applicabilité de la règle de conflit, celle-ci relevant de l’office du juge. La solution retenue paraît conforme tant à la lettre de la Convention qu’à la jurisprudence constante en la matière.

B. L’exclusion corrélative de la loi du 5 juillet 1985

Le juge des référés énonce qu’« il est de principe que la loi du 5 juillet 1985 n’est pas applicable à un accident de la circulation survenu à l’étranger ». Cette affirmation traduit le caractère territorial des règles d’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation posées par la loi Badinter.

La loi du 5 juillet 1985 institue un régime d’indemnisation favorable aux victimes, notamment par la présomption de responsabilité du conducteur impliqué et l’impossibilité d’opposer la force majeure aux victimes non conductrices. Ces règles substantielles ne constituent pas des lois de police susceptibles de s’appliquer indépendamment de la règle de conflit. Le législateur français n’a pas entendu conférer à ce texte une portée extraterritoriale.

Cette exclusion n’est pas sans conséquence pour la victime. Le droit italien de l’indemnisation du dommage corporel diffère du droit français dans sa méthodologie d’évaluation des préjudices. La compagnie d’assurance avait d’ailleurs souligné que « les médecins experts français n’ont pas connaissance des différents postes de préjudices médicaux en Italie ». Le juge n’a pas expressément tranché la question de la transposition du rapport d’expertise selon le droit italien, se contentant d’ordonner une expertise selon les standards français de la nomenclature Dintilhac. Cette question devra être résolue lors de la liquidation du préjudice devant le juge du fond.

II. Les implications procédurales de l’application de la loi étrangère

L’application de la loi italienne produit des effets sur l’identification du débiteur de l’indemnisation (A) et sur les modalités de l’expertise ordonnée (B).

A. La distinction entre l’assureur étranger et son correspondant français

Le juge des référés opère une distinction nette entre la compagnie d’assurance italienne, seule débitrice potentielle de l’indemnisation, et son correspondant français. Il retient que « la MACIF qui est simplement la correspondante en France de la compagnie d’assurance italienne, et qui n’est pas l’assureur du tiers responsable » ne peut être condamnée. L’existence d’une « contestation sérieuse » justifie le rejet des demandes de provision et de provision ad litem dirigées contre ce correspondant.

Cette solution s’explique par le rôle du correspondant en matière d’assurance automobile internationale. Le système de la carte verte, issu des conventions interbureaux, permet à une victime d’un accident causé par un véhicule étranger de s’adresser à un correspondant local. Ce correspondant agit pour le compte de l’assureur étranger mais n’est pas lui-même partie au contrat d’assurance. Il ne peut donc être condamné en son nom propre à indemniser la victime.

Le juge se contente de donner acte à l’assureur italien de son engagement de verser 8 000 euros, tout en le condamnant formellement au paiement de cette somme. Cette technique procédurale permet de conférer force exécutoire à l’engagement volontaire de l’assureur tout en respectant les règles relatives à la qualité pour défendre.

B. L’organisation d’une expertise selon la nomenclature française

Le juge des référés ordonne une expertise médicale dont la mission reprend intégralement les postes de préjudice de la nomenclature Dintilhac. L’expert désigné devra évaluer les préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux, temporaires et permanents, selon les catégories du droit français.

Cette solution peut paraître paradoxale au regard de l’application de la loi italienne à l’indemnisation. Le droit italien utilise des barèmes et des méthodes d’évaluation distincts. La compagnie d’assurance avait demandé que l’expert soit invité « à transmettre son pré-rapport initial ainsi que son rapport à un médecin italien lequel le transposera selon le droit italien applicable ». Le juge n’a pas fait droit à cette demande dans le dispositif de sa décision.

L’ordonnance de référé n’interdit pas une telle transposition ultérieure. L’expertise médicale a pour objet de constater les lésions et leurs conséquences fonctionnelles, données objectives qui pourront ensuite être traduites selon la nomenclature applicable. Le juge du fond, saisi de la liquidation du préjudice, devra appliquer le droit italien et pourra ordonner les mesures complémentaires nécessaires à cette transposition.

La provision de 8 000 euros accordée tient compte de la gravité des blessures établies par les documents médicaux versés aux débats. Le juge relève la fracture du plateau tibial, l’intervention chirurgicale, l’hospitalisation prolongée et la rééducation en cours. Cette somme, proposée par l’assureur lui-même, paraît mesurée au regard de la durée prévisible de l’incapacité et des souffrances endurées. Elle n’épuise pas le débat sur l’étendue de l’indemnisation qui relèvera du juge du fond appliquant le droit italien.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture