Tribunal judiciaire de Nice, le 18 juin 2025, n°24/03242

Par un jugement rendu le 18 juin 2025, le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Nice statue sur un litige opposant une bailleresse à ses locataires, à la suite d’un congé pour reprise. La décision porte sur la validité du congé, l’expulsion des occupants sans droit ni titre et le paiement des indemnités d’occupation.

Un contrat de bail d’habitation meublé a été conclu le 1er décembre 2021 pour une durée d’un an renouvelable, moyennant un loyer mensuel de 730 euros et une provision sur charges de 50 euros. Le 29 août 2022, la bailleresse a délivré aux locataires un congé pour reprise, remis en mains propres, pour le 30 novembre 2022. Les locataires se sont maintenus dans les lieux après cette date. Par acte du 29 juillet 2024, la bailleresse les a fait assigner devant le juge des contentieux de la protection en expulsion et paiement des arriérés locatifs. Un protocole transactionnel a été signé le 17 mars 2025, par lequel les locataires se sont engagés à verser 5 850 euros et à quitter les lieux au plus tard le 31 mars 2025. Cette obligation n’a pas été respectée.

La bailleresse sollicitait la validation du congé pour reprise, l’expulsion des locataires, leur condamnation au paiement des indemnités d’occupation et la caducité du protocole transactionnel. Les locataires demandaient des délais de paiement et un délai de trois mois pour quitter les lieux.

Le juge devait se prononcer sur la validité formelle et substantielle du congé pour reprise, sur les conséquences du maintien dans les lieux des locataires et sur l’octroi éventuel de délais.

Le juge des contentieux de la protection déclare valide le congé pour reprise, constate la résiliation du bail à effet au 30 novembre 2022, ordonne l’expulsion et condamne solidairement les locataires au paiement des indemnités d’occupation. Il rejette la demande de caducité du protocole transactionnel et déboute les locataires de leurs demandes de délais.

La décision illustre l’application rigoureuse du régime du congé pour reprise en matière de bail meublé (I) et révèle l’encadrement strict des demandes de délais opposées à une expulsion (II).

I. La validation du congé pour reprise : une application conforme des exigences légales

Le juge procède à une vérification méthodique des conditions de validité du congé (A), dont la conséquence directe est la perte de tout titre d’occupation par les locataires (B).

A. Le contrôle des conditions formelles et substantielles du congé

L’article 25-8 I de la loi du 6 juillet 1989 soumet le congé pour reprise en matière de bail meublé à des conditions de forme et de fond précises. Le congé doit être notifié trois mois avant l’expiration du bail, indiquer le motif allégué, les nom et adresse du bénéficiaire de la reprise ainsi que la nature du lien avec le bailleur. Le juge relève que « le congé pour reprise a été remis en mains propres aux locataires le 29 août 2022, soit dans le délai de trois mois avant l’expiration du bail et précise que la bailleresse souhaite reprendre les lieux pour elle-même afin d’exercer son activité professionnelle ».

Le texte prévoit que le bailleur doit justifier du caractère réel et sérieux de sa décision de reprise. Le juge peut, même d’office, vérifier la réalité du motif du congé. En l’espèce, les locataires n’ont pas contesté le congé. Cette absence de contestation dispense le juge d’un examen approfondi du caractère sérieux de la reprise. La solution retenue se conforme à la jurisprudence constante qui impose au locataire de rapporter la preuve du caractère frauduleux du congé s’il entend le remettre en cause.

B. Les conséquences de la validité du congé sur le titre d’occupation

La validation du congé emporte des effets automatiques sur la situation juridique des locataires. L’article 25-8 I de la loi du 6 juillet 1989 dispose qu’« à l’expiration du délai de préavis, le locataire est déchu de tout titre d’occupation du logement loué ». Le juge constate la résiliation du bail au 30 novembre 2022 et qualifie les occupants de personnes « sans droit ni titre » à compter de cette date.

Cette qualification entraîne deux conséquences. L’expulsion est ordonnée conformément aux articles L. 411-1 et suivants du code des procédures civiles d’exécution. Les locataires sont condamnés au paiement d’une indemnité d’occupation égale au montant du dernier loyer appelé, soit 780 euros mensuels, sur le fondement de l’article 1240 du code civil relatif à la responsabilité délictuelle. Le juge rappelle que cette indemnité est due « en raison de l’occupation illicite des lieux postérieurement à la résiliation du bail ».

La solidarité légale entre époux, prévue à l’article 220 du code civil, justifie la condamnation solidaire des deux locataires. Cette disposition s’applique aux dettes contractées pour l’entretien du ménage, ce qui inclut les obligations locatives.

II. Le refus des délais sollicités : une appréciation exigeante de la situation des locataires

Le juge rejette successivement la demande de délais de paiement (A) et celle de délais pour quitter les lieux (B), faute pour les locataires de justifier leur situation.

A. L’insuffisance des justifications relatives aux délais de paiement

L’article 1343-5 du code civil permet au juge de reporter ou d’échelonner le paiement des sommes dues dans la limite de deux années, compte tenu de la situation du débiteur et des besoins du créancier. Le juge relève que les locataires « produisent aux débats le bulletin de paie d’octobre 2024 de Monsieur ainsi que son avis d’impôt sur les revenus 2024 ». Ces pièces ne présentent pas un caractère actuel puisque l’intéressé a déclaré être au chômage depuis le 1er décembre 2024, sans verser d’élément sur une éventuelle indemnisation par France Travail.

Le juge ajoute qu’« il est permis de s’interroger sur la sincérité et la transparence de leur situation matérielle dans la mesure où ils ont été en capacité de verser, au moment de la signature du protocole transactionnel du 17 mars 2025, en une seule fois, une somme très importante de 5 850 euros ». Cette observation révèle une exigence de cohérence dans la démonstration de l’impécuniosité alléguée. Le versement d’une somme conséquente contredit la thèse d’une situation financière délicate.

La décision s’inscrit dans une jurisprudence qui refuse d’accorder des délais lorsque le débiteur ne démontre pas sa bonne foi ou lorsque ses déclarations sont contredites par les faits. L’intérêt du créancier, confronté à une occupation sans droit ni titre depuis plus de deux ans, est également pris en considération.

B. L’absence de justification des difficultés de relogement

L’article L. 412-3 du code des procédures civiles d’exécution permet au juge d’accorder des délais renouvelables aux occupants dont l’expulsion a été ordonnée « chaque fois que le relogement des intéressés ne peut avoir lieu dans des conditions normales ». Les locataires sollicitaient un délai de trois mois pour quitter les lieux en invoquant l’échec de leurs recherches de logement.

Le juge constate qu’« aucun élément n’est produit pour étayer leurs allégations, que ce soit des recherches de logement ou une demande de logement social ». L’absence de toute pièce justificative rend impossible la démonstration que le relogement ne peut intervenir dans des conditions normales. Le juge relève par ailleurs que les locataires « sont occupants sans droit ni titre depuis le 30 novembre 2022 » et ont ainsi « déjà bénéficié d’un large délai de fait ».

Cette motivation reflète une application rigoureuse du texte. L’octroi de délais supplémentaires ne saurait constituer un droit automatique pour l’occupant. Le juge doit apprécier concrètement les difficultés de relogement sur la base d’éléments probants. L’écoulement de plus de deux années et demie depuis l’expiration du bail constitue un élément défavorable à la demande de délais.

La décision se prononce également sur le sort du protocole transactionnel. La bailleresse sollicitait la caducité de cet accord, les locataires n’ayant pas respecté leur engagement de libérer les lieux au 31 mars 2025. Le juge rejette cette demande en retenant que « la sanction de cette inexécution ne se traduit pas par la caducité du protocole transactionnel » mais « uniquement par l’inopposabilité de la transaction par les locataires qui ne peuvent s’en prévaloir pour faire échec à l’action ». Cette solution distingue la caducité, qui suppose la disparition d’un élément essentiel du contrat, de l’inexécution, dont la sanction réside dans l’impossibilité pour la partie défaillante de se prévaloir de l’accord.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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