Tribunal judiciaire de Nice, le 19 juin 2025, n°25/00110

Cour d’appel d’[Localité 9], 19 juin 2025. Par ordonnance de référé, la juridiction ordonne une expertise médicale et alloue une provision à la suite d’une chute survenue lors d’un séjour encadré.

Les faits utiles tiennent en peu de points. Un adulte placé sous tutelle depuis 2023 a chuté le 2 août 2021 dans un chalet, se blessant gravement au genou avec fracture du plateau tibial, intervention chirurgicale et rééducation. Sa vulnérabilité et ses difficultés motrices étaient connues au moment du séjour, notamment pour l’usage des escaliers, selon les documents d’inscription et d’information remis à l’organisateur.

La procédure est classique en référé. Par assignation du 21 janvier 2025, la victime, représentée par sa tutrice, sollicite une expertise médicale préalable, une provision de 5 000 euros, l’opposabilité de la décision à l’organisme social et la condamnation in solidum de l’organisateur et de son assureur. L’organisateur et l’assureur ne s’opposent pas à l’expertise mais contestent la provision. L’organisme social intervient, réserve ses droits à remboursement et s’en rapporte sur les mesures d’instruction et l’allocation provisionnelle.

Deux questions gouvernent la décision. La première concerne les conditions du recours à l’article 145 du code de procédure civile, afin d’établir la preuve des faits dont dépendra la solution du litige futur. La seconde concerne l’allocation d’une provision sur le fondement de l’article 835, alinéa 2, en présence d’une créance non sérieusement contestable au regard d’une responsabilité alléguée de l’organisateur. La juridiction accueille les deux demandes, fixe une mission d’expertise complète, condamne in solidum l’organisateur et son assureur au paiement d’une provision de 5 000 euros, et accorde une indemnité au titre de l’article 700.

I. Le référé-expertise, entre motif légitime et calibrage de la mission

A. L’exigence du motif légitime et l’office probatoire de l’article 145

Le fondement textuel est rappelé sans ambiguïté: « Aux termes de l’article 145 du code de procédure civile, s’il existe un motif légitime d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé en référé. » La juridiction s’attache aux éléments convergents justifiant l’expertise: vulnérabilité juridiquement constatée, lésion objectivée, et perspective contentieuse certaine.

Le raisonnement demeure sobre et rigoureux. L’atteinte corporelle est médicalement caractérisée, la causalité matérielle est suffisamment décrite, et l’existence d’un litige à venir est acquise. Dans cette économie, l’expertise contribue à établir contradictoirement l’étendue du dommage et ses incidences. L’ordonnance arrête, dans une formule brève mais décisive: « Il convient de faire droit à sa demande d’expertise, à ses frais avancés. » La solution respecte l’office du juge des référés, limité à l’évidence du besoin probatoire, sans préjuger du fond.

Cette appréciation s’inscrit dans une jurisprudence constante qui n’exige pas la preuve préalable de la responsabilité, mais seulement la vraisemblance d’un litige et l’utilité de la mesure. Le juge retient une articulation nette entre la constatation indispensable de l’état séquellaire, la qualification juridique ultérieure, et l’évaluation des préjudices, renvoyée à l’expert. L’intervention de l’organisme social trouve, au demeurant, son ancrage dans le régime légal de recours, sans nécessité d’aménager ici la mission.

B. Une mission d’expertise structurée et utile à l’évaluation du dommage

La mission se distingue par sa complétude et sa clarté, suivant la nomenclature aujourd’hui consacrée. Elle couvre les périodes antérieure et postérieure à la consolidation, les postes patrimoniaux et extrapatrimoniaux, et l’état antérieur. Le cœur méthodologique est rappelé: « fixer la date de consolidation des blessures, définie comme étant la date de stabilisation des lésions médicalement imputables aux faits à l’origine des dommages ». Cette précision garantit la correcte segmentation temporelle des postes de préjudice.

Le juge veille à l’exhaustivité et au contradictoire, en imposant la convocation de toutes les parties, l’accès direct aux sources médicales, et l’échange d’un pré-rapport. La finalité évaluative est clairement assignée: « DISONS que l’expert devra établir un état récapitulatif de l’évaluation de l’ensemble des postes énumérés dans la mission ». La désignation d’un expert inscrit et la faculté de recourir à un sapiteur renforcent la fiabilité technique de l’instruction.

La mission n’excède pas l’office du référé. Elle n’anticipe ni l’imputabilité définitive, ni le quantum juridictionnel final, mais réunit les éléments nécessaires à une solution au fond. L’ordonnance ménage enfin la discipline de la consignation et des délais, garantissant l’efficacité procédurale. La référence, accessoire, à un texte dédié aux accidents de la circulation apparaît sans incidence pratique sur le périmètre de la mission.

II. La provision en référé, entre contestation sérieuse et responsabilité alléguée

A. Le critère de la créance non sérieusement contestable au sens de l’article 835

Le texte applicable est énoncé dans les termes attendus: « Le juge des référés est sur le fondement de l’article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, habilité à allouer une indemnité provisionnelle, lorsque la créance du requérant n’est pas sérieusement contestable. » La juridiction va alors vérifier, de manière concrète, si les contestations opposées par l’organisateur et son assureur atteignent le seuil de sérieux exigé.

La méthode suivie est classique. Le juge recense d’abord les éléments objectifs: le dommage corporel avéré, l’existence d’un risque de chute connu, l’environnement matériel de l’accident, l’absence de surveillance au moment critique. Il confronte ensuite ces données aux objections adverses, relatives à la connaissance des lieux par la victime, à l’heure de survenance, et à l’absence de position anormale des marches, pour en apprécier la portée exacte.

Sans trancher le fond, l’ordonnance retient que l’ensemble révèle une vraisemblance suffisante de responsabilité de l’organisateur. La chaîne factuelle, à ce stade, écarte une contestation sérieuse de l’obligation à indemniser, justifiant l’octroi d’une provision mesurée. Le quantum retenu, fixé à 5 000 euros, reflète la gravité objectivée des lésions et les soins entrepris, en attente des résultats de l’expertise.

B. L’appréciation circonstanciée des fautes alléguées et du lien causal

La motivation s’appuie sur un faisceau d’indices concordants. La juridiction insiste sur un point déterminant: « Or, il est constant qu’il s’est retrouvé seul près d’un escalier vers 21h15, sans surveillance, a raté les marches, a chuté et s’est blessé. » Cette constatation, replacée dans le contexte d’une vulnérabilité connue, fonde une présomption de manquement aux obligations d’encadrement et de sécurité.

Les défenses articulées demeurent générales et peu étayées au vu du dossier. L’ordonnance note l’absence de pièces probantes quant à la normalité des lieux et à la suffisance de la vigilance, alors même qu’un risque spécifique avait été signalé. La motivation se conclut par une affirmation nette mais proportionnée: « Dès lors, force est de considérer que les contestations soulevées en défense ne sont pas sérieuses ». L’exigence probatoire d’une faute pleinement caractérisée n’est pas déplacée sur le terrain du référé.

Cette approche respecte la frontière entre référé et fond. Le juge n’arrête pas la qualification définitive ni la part éventuelle de causalité imputable à la victime; il apprécie seulement l’absence de contestation sérieuse justifiant la provision. La provision n’anticipe pas le quantum final; elle répare provisoirement des atteintes déjà objectivées, en cohérence avec l’office de l’article 835.

Au total, l’économie générale de l’ordonnance concilie utilement l’exigence probatoire de l’article 145 et le critère de l’article 835. L’expertise ordonnée sécurise l’évaluation future, tandis que la provision, strictement cantonnée, répond à l’évidence actuelle du droit à indemnisation. Le visa du recours de l’organisme social, sur le fondement légal pertinent, assure enfin la préservation des intérêts tiers sans perturber la logique du référé.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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