Tribunal judiciaire de Orléans, le 15 juin 2025, n°25/03446

Rendue par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire d’Orléans le 15 juin 2025 (n° RG 25/03446), l’ordonnance commentée contrôle la régularité d’un placement en rétention et statue sur sa prolongation. L’autorité préfectorale avait, le 10 juin 2025, notifié une obligation de quitter le territoire et décidé le placement en rétention de l’intéressé, dépourvu de document d’identité. Le retenu a saisi le juge, soulevant plusieurs nullités relatives à l’interpellation, à l’interprétariat en garde à vue et lors de l’audition administrative, à la concomitance des notifications et à l’absence d’avis au parquet. Le préfet a sollicité la prolongation pour vingt-six jours, invoquant des diligences engagées le jour même auprès des autorités consulaires. La question portait sur la validité des actes contestés au regard des garanties du CESEDA et du CPP, et sur le bien‑fondé du maintien en rétention au regard des alternatives. Le juge a rejeté l’ensemble des nullités, dit régulier le placement, et ordonné la prolongation demandée.

I. Les nullités procédurales et la saisine du juge

A. La portée de la présentation orale et l’articulation écrit/oral des moyens

Le juge rappelle que « Les parties présentent oralement à l’audience leurs prétentions et les moyens à leur soutien. » Il ajoute, conformément à l’article 446‑1 du code de procédure civile, qu’« Elles peuvent également se référer aux prétentions et aux moyens qu’elles auraient formulés par écrit. » La motivation précise que « le juge n’est saisi que par les prétentions et les moyens qui sont oralement énoncés à l’audience », sauf lorsque la partie comparaît et dépose ses conclusions, lesquelles « saisissent le juge » dans leur entier. Cette lecture s’aligne sur la jurisprudence qui admet la prise en compte des écritures déposées à l’audience, même sans développement exhaustif. Elle garantit l’effectivité du contradictoire, sans ériger en formalité substantielle un exhaustif développement oral.

Cette position assure une conciliation sobre entre l’oralité et l’écrit, propice aux contentieux à bref délai. Elle ferme aussi la voie aux contestations formelles déconnectées du fond du litige. On peut l’approuver, car le texte permet une référence aux écritures, et l’exigence d’une réitération exhaustive à l’oral mettrait indûment en péril des droits déjà exercés par le dépôt régulier de conclusions.

B. Les garanties procédurales du retenu: interprétariat, notifications et avis au parquet

La nullité tirée de l’interprète à distance en garde à vue est écartée par référence à l’article 706‑71 du code de procédure pénale, le juge relevant la « nécessité résultant de l’impossibilité pour un interprète de se déplacer » et la présence de l’avocat. Il retient que l’intéressé a d’abord déclaré comprendre le français, puis a demandé un interprète après l’entretien avec son conseil, lequel est intervenu par téléphone. La même logique gouverne l’audition administrative, le juge rappelant l’article L.141‑3 du CESEDA et concluant à l’absence d’atteinte aux droits, faute de grief démontré au sens de l’article L.743‑12. La démarche articule utilement le couple violation‑grief et privilégie une approche concrète, centrée sur l’effectivité de l’assistance linguistique et sur l’accès au conseil.

Sur la concomitance des notifications, l’ordonnance retient que celles‑ci sont intervenues « dans un même trait de temps », référence faite à 1re Civ., 6 juin 2012, n° 11‑30.184. Cette formule, reprise entre guillemets, témoigne de l’admission d’une très étroite proximité temporelle, sans exiger un impossible fractionnement de minutes. L’avis au parquet ressort d’un procès‑verbal circonstancié, ce qui neutralise la critique. L’ensemble de ces motifs consacre une approche pragmatique des garanties, privilégiant la réalité des droits exercés plutôt qu’une lecture excessivement formaliste des modalités.

II. La régularité du placement et le contrôle de proportionnalité du maintien

A. Le test des garanties de représentation et des alternatives à la rétention

Le juge énonce que « L’autorité administrative peut placer en rétention […] lorsqu’il ne présente pas de garanties de représentation effectives » (art. L.741‑1 CESEDA), en prenant « en compte l’état de vulnérabilité » (art. L.741‑4). Il rappelle aussi la directive 2008/115/CE: « A moins que d’autres mesures suffisantes, mais moins coercitives puissent être appliquées efficacement », la rétention demeure l’ultime recours. La décision confronte ces normes aux faits: adresses contradictoires, absence de titre d’identité, pièces professionnelles anciennes et à un autre nom, usage d’alias et antécédent d’assignation non respectée. Le juge en déduit une insuffisance de garanties de représentation et écarte l’assignation à résidence comme inapte à prévenir le risque de soustraction.

L’articulation des textes est maîtrisée. Le contrôle des alternatives n’est pas de pure forme, puisqu’il s’appuie sur des éléments concrets relatifs à l’identité, à la domiciliation et au respect antérieur des obligations. On pourrait souhaiter une mention plus explicite de l’examen de vulnérabilité, mais l’absence d’éléments au dossier rend la motivation suffisante, au regard de la charge de l’allégation.

B. Les diligences utiles et la nécessité du maintien pour l’exécution de l’éloignement

Pour la prolongation, l’ordonnance vise les articles L.741‑3 et L.751‑9 CESEDA, selon lesquels la rétention ne peut durer que « pour le temps strictement nécessaire à son départ ». Le juge constate la saisine consulaire « le même jour à 17h48 » pour un laissez‑passer, après la notification du placement. Il retient que les diligences sont engagées et que l’absence de document de voyage requiert un temps utile de traitement. La prolongation de vingt‑six jours est accordée, pour permettre la « mise en œuvre de la mesure d’éloignement ».

La motivation reste proportionnée. Elle atteste d’un commencement de diligences corrélées à la situation personnelle, condition classique d’un maintien légitime. On pourrait discuter l’opportunité d’exiger des relances calendaires plus précises, mais l’extrême proximité temporelle entre placement, saisine consulaire et audience justifie une appréciation indulgente. À ce stade précoce, l’administration n’avait pas à rapporter davantage que la preuve d’une saisine ciblée et rapide.

Sens et portée de la solution

I. Une consolidation du contrôle concret des nullités en contentieux accéléré

A. Une application équilibrée de l’oralité des débats

En admettant que les conclusions déposées par la partie présente « saisissent le juge » dans leur intégralité, l’ordonnance favorise une économie processuelle compatible avec l’urgence. La citation de l’article 446‑1, « Elles peuvent également se référer aux prétentions et aux moyens qu’elles auraient formulés par écrit », légitime la prise en compte de moyens non développés oralement, sans dénaturer l’oralité.

Cette orientation évite de fragiliser des droits déjà exercés par écrit. Elle réduit le risque d’irrecevabilités artificielles dans un contentieux où la célérité prime et où la défense doit rester effective malgré les contraintes du temps.

B. Un contrôle anti‑formaliste des garanties linguistiques et des notifications

La référence à l’article 706‑71 du CPP rend licite l’interprétariat à distance « en cas de nécessité », dès lors qu’il assure la compréhension et la présence de l’avocat. Le raisonnement par grief au titre de l’article L.743‑12 CESEDA est décisif, car il recentre l’analyse sur l’atteinte concrète aux droits. La formule « dans un même trait de temps » entérine une tolérance raisonnable dans la séquence des notifications, conforme à la jurisprudence. La solution rappelle que la procédure n’est pas un piège, et que les irrégularités sans effet ne justifient pas la mainlevée d’office.

Cette ligne jurisprudentielle sécurise les pratiques des services, tout en exigeant des traces écrites précises. Elle met l’accent sur la réalité de l’assistance et sur l’information utile, plus que sur la stricte matérialité des modalités.

II. Un rappel ferme du caractère subsidiaire de la rétention et de l’exigence de diligence

A. La subsidiarité appréciée au regard de garanties objectivées

La combinaison de l’article L.741‑1 CESEDA et de l’article 15 de la directive retour est correctement opérée. L’ordonnance vérifie l’existence d’« autres mesures suffisantes, mais moins coercitives », au regard d’indices cumulés: identité incertaine, domiciliation flottante, antécédent d’assignation inobservée. Ce faisceau d’indices suffit pour écarter l’assignation à résidence, réputée inefficace face au risque de soustraction.

Cette appréciation promeut une lecture exigeante des « garanties de représentation ». Elle évite que l’invocation abstraite d’un hébergement ou d’un emploi non prouvé neutralise l’objectif d’exécution effective de l’éloignement.

B. La proportionnalité du maintien liée aux démarches immédiatement engagées

En retenant que l’administration a sollicité un laissez‑passer « le même jour », l’ordonnance applique la règle du « temps strictement nécessaire » au départ. La durée de vingt‑six jours, inférieure au plafond légal, s’inscrit dans un calendrier plausible pour l’identification et la délivrance de laissez‑passer. L’exigence de diligence, posée par les articles L.741‑3 et L.751‑9, trouve ici une traduction concrète.

Cette solution a une portée pédagogique claire. Elle signifie que la prolongation n’est pas automatique, mais suppose des démarches ciblées, datées et vérifiables. Elle rappelle, enfin, que la rétention demeure un moyen subsidiaire, justifié seulement si les diligences se poursuivent avec constance.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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