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Le contentieux de la rétention administrative des étrangers en situation irrégulière constitue un domaine où s’affrontent les impératifs de sécurité publique et la protection des libertés individuelles. La décision rendue par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire d’Orléans le 15 juin 2025 illustre cette tension permanente en matière de contrôle de la privation de liberté d’un ressortissant étranger.
Un ressortissant algérien, né le 7 janvier 1995, a fait l’objet d’un placement en garde à vue le 9 juin 2025 pour des violences sur sa compagne. Cette mesure a été prolongée le lendemain. Le 10 juin 2025, un arrêté portant obligation de quitter le territoire français lui a été notifié à 14h25. Sa garde à vue a été levée à 14h50 et il a été présenté devant le procureur de la République de Tours en vue d’une comparution immédiate fixée au 11 juin 2025. À l’issue de cette audience, l’intéressé n’a pas été maintenu en détention. Il a alors été conduit au commissariat de police puis placé en rétention administrative au local de rétention de Tours, décision notifiée le 11 juin 2025 à 20h20.
Le préfet d’Indre-et-Loire a saisi le juge des libertés et de la détention d’une requête en prolongation de la rétention administrative, reçue le 14 juin 2025. L’étranger a parallèlement contesté l’arrêté de placement en rétention par requête enregistrée le même jour. Son conseil a soulevé plusieurs moyens : une interrogation sur la continuité de la chaîne de privation de liberté, l’absence d’association agréée au sein du local de rétention, le défaut de justification du placement initial en local de rétention plutôt qu’en centre, enfin l’insuffisance de motivation de la décision et l’erreur manifeste d’appréciation quant aux garanties de représentation.
La question juridique posée au juge était multiple. Il lui appartenait de vérifier la régularité de la chaîne de privation de liberté depuis la garde à vue jusqu’au placement en rétention, d’examiner si l’absence de convention avec une association portait atteinte aux droits du retenu, de contrôler la motivation du placement en local de rétention plutôt qu’en centre, et d’apprécier si le préfet avait commis une erreur manifeste d’appréciation en écartant l’assignation à résidence.
Le juge des libertés et de la détention a rejeté l’ensemble des moyens soulevés et ordonné la prolongation de la rétention pour une durée de vingt-six jours. Il a considéré que le placement en rétention était intervenu « immédiatement après la fin de l’audience ou dans un même trait de temps », que la remise d’une liste de coordonnées d’associations suffisait à garantir l’exercice des droits, que la motivation du placement en local de rétention était régulière, et que l’intéressé ne présentait pas de garanties de représentation suffisantes.
Cette décision illustre la rigueur du contrôle juridictionnel de la rétention administrative tout en révélant les limites de ce contrôle. Il convient d’examiner successivement le contrôle de la régularité formelle du placement en rétention (I), puis l’appréciation des conditions de fond justifiant le maintien de cette mesure (II).
I. Le contrôle de la régularité formelle du placement en rétention
Le juge des libertés et de la détention exerce un contrôle minutieux sur les conditions procédurales du placement en rétention, tant concernant la continuité de la privation de liberté (A) que les garanties procédurales offertes au retenu (B).
A. L’exigence de continuité de la chaîne de privation de liberté
Le contrôle de la chaîne de privation de liberté constitue une garantie essentielle de la liberté individuelle. Le conseil de l’intéressé s’interrogeait légitimement sur le statut juridique de son client entre la fin de l’audience de comparution immédiate et le placement en rétention.
Le juge retient que « le placement en rétention administrative de l’intéressé est intervenu immédiatement après la fin de l’audience ou dans un même trait de temps ». Cette formulation révèle une difficulté probatoire puisque le magistrat admet expressément l’absence d’élément sur l’horaire exact de fin d’audience. Il procède par présomption en considérant que la continuité est établie dès lors qu’aucune rupture manifeste n’est démontrée.
Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante exigeant que la privation de liberté administrative s’inscrive dans un enchaînement temporel cohérent avec les mesures judiciaires préalables. La notion de « même trait de temps » empruntée à la jurisprudence permet une certaine souplesse d’appréciation. Elle évite qu’un intervalle raisonnable entre deux mesures privatives de liberté ne soit systématiquement sanctionné alors que les contingences matérielles rendent parfois inévitable un bref délai.
Toutefois, cette approche peut susciter des interrogations. En l’absence de preuve formelle de l’heure de fin d’audience, le juge fait peser la charge de la preuve sur l’étranger. Or, celui-ci se trouve dans l’impossibilité matérielle de démontrer une éventuelle rupture de la chaîne de privation de liberté. Le silence de l’administration sur ce point aurait pu conduire à une solution différente si le juge avait exigé d’elle qu’elle établisse positivement la continuité.
B. Les garanties procédurales en local de rétention administrative
Le moyen tiré de l’absence d’association agréée au sein du local de rétention de Tours soulevait une question substantielle relative à l’effectivité des droits des personnes retenues.
L’article R.744-21 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoit que les étrangers maintenus en local de rétention « peuvent bénéficier du concours d’une personne morale ». Le juge relève que cette disposition « n’impose pas l’intervention physique d’une association » et que la remise d’une liste de coordonnées téléphoniques suffit à garantir l’exercice des droits.
Cette interprétation, conforme à celle retenue par la cour d’appel d’Orléans dans un arrêt du 13 juin 2024, privilégie une lecture littérale du texte. Le verbe « peuvent » est analysé comme ouvrant une simple faculté et non une obligation. La solution présente l’avantage de la cohérence avec la nature même des locaux de rétention, conçus comme des structures temporaires et de capacité réduite où l’installation permanente d’une association serait matériellement difficile.
Néanmoins, cette position peut être discutée au regard de l’effectivité des droits. La remise d’une simple liste de numéros de téléphone place l’étranger dans une situation où il doit lui-même entreprendre les démarches pour contacter une association, alors même qu’il peut ne pas maîtriser la langue française et se trouver dans un état de vulnérabilité. Le juge note d’ailleurs que l’intéressé a pu « effectivement ensuite, une fois au centre de rétention administrative d’Olivet » avoir accès à une association. Cette observation suggère implicitement que les garanties en local de rétention demeurent moins protectrices qu’en centre.
II. L’appréciation des conditions de fond du maintien en rétention
Au-delà du contrôle formel, le juge examine les conditions de fond justifiant tant le placement initial en local de rétention (A) que le refus d’une assignation à résidence au profit de la rétention (B).
A. La justification du recours au local de rétention administrative
L’article R.744-8 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile subordonne le placement en local de rétention à l’existence de « circonstances particulières, notamment de temps ou de lieu » empêchant un placement immédiat en centre de rétention.
Le préfet avait motivé sa décision par deux éléments : l’absence de centre de rétention dans le département d’Indre-et-Loire et « l’impossibilité matérielle d’organiser immédiatement une escorte » vers le centre le plus proche. Le juge considère cette motivation suffisante sans exiger que l’administration « indique quels évènements n’ont pas permis d’organiser une escorte ».
Cette solution, conforme à la jurisprudence de la cour d’appel d’Orléans du 4 juin 2025, témoigne d’une certaine bienveillance envers l’administration. Le contrôle exercé demeure formel : il suffit que la décision énonce des circonstances de fait, sans que le juge n’exige la démonstration de leur réalité. Or, l’affirmation d’une impossibilité matérielle d’organiser une escorte pourrait être avancée de manière systématique par l’administration sans véritable contrôle.
La portée de cette jurisprudence mérite attention. Les locaux de rétention offrent des garanties moindres que les centres, notamment quant à la présence d’associations et aux conditions matérielles d’hébergement. Un contrôle plus exigeant sur la motivation du placement en local de rétention permettrait de s’assurer que cette mesure demeure réellement subsidiaire et temporaire.
B. Le rejet de l’assignation à résidence au profit de la rétention
L’examen de la nécessité du placement en rétention par rapport à l’assignation à résidence constitue le coeur du contrôle de proportionnalité exercé par le juge.
Le juge relève plusieurs éléments justifiant selon lui l’absence de garanties de représentation suffisantes. D’abord, l’attestation d’hébergement produite est jugée « lacunaire sur la période depuis laquelle il y vit ». Ensuite, l’intéressé « ne justifie pas de ressources propres, légales et suffisantes pour financer son retour en Algérie ». En outre, le passeport allégué qui serait « resté à Blois » n’est pas démontré. Enfin, les violences reconnues partiellement sur sa compagne « caractérisent une menace à l’ordre public ».
Cette motivation appelle plusieurs observations. Le critère de la menace à l’ordre public est désormais expressément prévu par l’article L.741-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile comme fondement autonome du placement en rétention. Son invocation en l’espèce paraît justifiée au regard des faits de violences conjugales ayant motivé la garde à vue initiale. Le juge ne se prononce pas sur la réalité ou la gravité de ces violences, se contentant de relever qu’elles ont été « partiellement reconnues ».
Concernant les perspectives d’éloignement vers l’Algérie, le conseil avait soulevé l’argument des relations diplomatiques difficiles entre la France et ce pays. Le juge écarte ce moyen en considérant qu’il serait « prématuré » de considérer les perspectives de retour compromises à ce stade. Cette prudence se comprend au regard du délai légal de rétention qui n’en était qu’à son début. La question pourrait toutefois se poser différemment lors d’une éventuelle demande de seconde prolongation si aucun laissez-passer consulaire n’était délivré.