Tribunal judiciaire de Orléans, le 19 juin 2025, n°25/01370

Le contentieux du crédit à la consommation constitue un terrain privilégié d’application du contrôle d’office par le juge. La décision rendue par le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire d’Orléans le 19 juin 2025 en offre une illustration significative.

Un établissement de crédit a consenti à deux époux, le 24 août 2021, un prêt affecté d’un montant de 7 775 euros destiné à l’acquisition d’une cuisine. Ce crédit était remboursable en quarante-huit mensualités au taux débiteur fixe annuel de 4,90 %. Le bien financé a été livré le 18 novembre 2021. Les emprunteurs ont cessé de régler les échéances à compter du 30 janvier 2024. Par courrier recommandé du 7 juin 2024, l’établissement prêteur les a mis en demeure de régulariser leur situation sous peine de déchéance du terme. Le 4 mars 2025, il les a assignés devant le juge des contentieux de la protection aux fins de constater la résiliation du contrat et d’obtenir leur condamnation solidaire au paiement de la somme de 4 384,76 euros, outre intérêts au taux contractuel.

À l’audience, l’épouse a comparu seule. Elle a reconnu la dette et fait état de difficultés financières liées à la cessation de son activité d’assistante maternelle, de revenus modestes et d’autres dettes. Elle a proposé un échelonnement de 20 euros par mois. Le prêteur s’est opposé à tout délai de paiement.

Le juge devait déterminer si l’action était recevable au regard du délai de forclusion biennal, si le prêteur avait respecté ses obligations relatives au bordereau de rétractation et quelles conséquences en tirer sur l’étendue de sa créance.

Le tribunal a déclaré l’action recevable car introduite moins de deux ans après le premier incident de paiement non régularisé. Il a prononcé d’office la déchéance du droit aux intérêts conventionnels en raison de l’absence de formulaire de rétractation conforme. En conséquence, il a limité la condamnation des emprunteurs au seul capital restant dû, soit 2 986,22 euros, avec intérêts au taux légal majoré de 1 % seulement, et a rejeté la demande d’indemnité légale ainsi que celle de délais de paiement.

Cette décision illustre la sanction du manquement du prêteur à l’obligation de remise du bordereau de rétractation (I), tout en révélant l’étendue du pouvoir d’office du juge en matière de crédit à la consommation (II).

I. La sanction du défaut de bordereau de rétractation : la déchéance du droit aux intérêts

Le prononcé de la déchéance du droit aux intérêts conventionnels repose sur un fondement textuel précis (A) dont les conséquences pécuniaires affectent substantiellement les prétentions du prêteur (B).

A. Le fondement légal de la sanction

Le code de la consommation impose au prêteur une obligation formelle dont le non-respect entraîne une sanction automatique. L’article L. 312-21 du code de la consommation exige en effet que l’exemplaire du contrat de crédit remis à l’emprunteur comporte un formulaire détachable de rétractation. L’article R. 312-9 du même code précise que ce formulaire doit être conforme au modèle type figurant en annexe et ne peut comporter au verso aucune mention autre que le nom et l’adresse du prêteur.

Le tribunal relève que « le prêteur encourt donc la déchéance du droit aux intérêts de droit en l’absence de formulaire de rétractation sur l’exemplaire de l’emprunteur ou de non-conformité de celui-ci au modèle imposé par le pouvoir réglementaire ». Cette formulation rappelle le caractère objectif de la sanction. Le juge n’a pas à rechercher l’existence d’un préjudice pour l’emprunteur ni à apprécier la bonne ou mauvaise foi du prêteur. Le seul constat de l’irrégularité suffit.

La Cour de cassation a confirmé cette interprétation stricte à de nombreuses reprises. Le bordereau de rétractation constitue une garantie essentielle permettant à l’emprunteur d’exercer effectivement son droit de revenir sur son engagement pendant le délai légal. Son absence ou son irrégularité prive l’emprunteur de cette faculté dans des conditions optimales.

Le tribunal applique donc l’article L. 341-4 du code de la consommation qui prévoit expressément cette sanction. La déchéance du droit aux intérêts n’est pas une faculté laissée à l’appréciation du juge mais une conséquence légale obligatoire du manquement constaté.

B. Les conséquences financières de la déchéance

La déchéance du droit aux intérêts conventionnels modifie radicalement l’économie de la créance du prêteur. Le tribunal précise que, par application de l’article L. 341-8 du code de la consommation, « le débiteur n’est tenu qu’au remboursement du seul capital restant dû, après déduction des intérêts réglés à tort ».

La méthode de calcul retenue par le juge consiste à déduire du capital initialement prêté l’ensemble des sommes versées par les emprunteurs depuis l’origine du contrat. Le prêteur sollicitait la somme de 4 087,22 euros comprenant les échéances impayées, le capital restant dû et des intérêts de retard. Le tribunal a ramené cette créance à 2 986,22 euros en procédant au calcul suivant : 7 775 euros de capital prêté moins 4 788,78 euros de versements effectués.

Cette réduction de près de 27 % de la créance demandée sanctionne efficacement le manquement du prêteur. La déchéance des intérêts conventionnels emporte également exclusion de l’indemnité légale prévue par l’article L. 312-39 du code de la consommation. Le tribunal rejette ainsi la demande de 313,08 euros formée à ce titre en énonçant que « cette limitation légale de la créance du prêteur exclut par ailleurs qu’il puisse prétendre au paiement de l’indemnité ».

Le taux légal se substitue au taux conventionnel pour les intérêts moratoires. Le tribunal ajoute une limitation supplémentaire en décidant que « la majoration du taux légal sera limité à 1% », atténuant ainsi la charge pesant sur des débiteurs en difficulté financière.

II. L’étendue du pouvoir d’office du juge en matière de crédit à la consommation

Le juge des contentieux de la protection dispose d’un pouvoir de contrôle d’office des règles protectrices (A), dont l’exercice s’articule avec l’examen des demandes accessoires selon des critères d’équité (B).

A. Le relevé d’office des moyens tirés du code de la consommation

Le tribunal fonde son intervention d’office sur l’article R. 632-1 du code de la consommation qui dispose que « le juge peut soulever d’office toutes les dispositions du présent code dans les litiges nés de son application ». Cette faculté s’est progressivement transformée en obligation sous l’influence du droit de l’Union européenne et de la jurisprudence de la Cour de justice.

Le juge relève d’office deux moyens distincts dans la présente espèce. Il vérifie d’abord la recevabilité de l’action au regard du délai de forclusion biennal prévu par l’article R. 312-35 du code de la consommation. Il constate que « le premier incident de paiement non régularisé est daté du 30 janvier 2024 » et que la demande introduite le 4 mars 2025 respecte ce délai. Cette vérification est présentée comme découlant de l’article 125 du code de procédure civile, la forclusion constituant une fin de non-recevoir d’ordre public selon l’article L. 314-24 du code de la consommation.

Le juge examine ensuite d’office la conformité du bordereau de rétractation. Sans que les emprunteurs aient soulevé ce moyen, il prononce la déchéance du droit aux intérêts. Cette démarche illustre la fonction protectrice assignée au juge en matière de crédit à la consommation. L’emprunteur, partie faible au contrat, ne dispose pas toujours des connaissances juridiques nécessaires pour invoquer les irrégularités dont il pourrait se prévaloir.

La portée de ce contrôle d’office dépasse le cas d’espèce. Elle signifie que tout prêteur doit anticiper un examen minutieux de la régularité formelle de ses contrats, indépendamment des moyens soulevés par le défendeur. Cette vigilance judiciaire contribue au respect effectif des dispositions protectrices du consommateur.

B. L’appréciation des demandes accessoires au prisme de l’équité

Le traitement des demandes de délais de paiement et de frais irrépétibles révèle une approche équilibrée du tribunal. L’article 1343-5 du code civil permet au juge d’accorder des délais de paiement pouvant atteindre deux années au regard de la situation du débiteur et des besoins du créancier.

L’épouse comparante a exposé ses difficultés : cessation d’activité, revenus limités à 525 euros de pension retraite, autres dettes notamment envers la caisse primaire d’assurance maladie. Elle proposait un échelonnement de 20 euros mensuels. Le tribunal rejette cette demande en relevant que « sa proposition d’échelonnement de 20 euros ne saurait suffire à solder la dette sur un délai de 24 mois ». Le calcul est effectivement défavorable : 2 986,22 euros divisés par 20 euros représentent près de 150 mensualités, soit plus de douze années.

Ce refus n’est pas contradictoire avec la protection accordée par ailleurs. Le juge a déjà allégé substantiellement la dette en prononçant la déchéance des intérêts. Il ne peut cependant accorder des délais manifestement inadaptés au regard du montant de la créance. L’équité commande de ne pas maintenir indéfiniment une situation d’incertitude pour le créancier.

S’agissant des frais irrépétibles, le tribunal réduit la demande de 300 euros à 100 euros en tenant compte de la situation économique des défendeurs. Cette modération témoigne d’une prise en considération globale des circonstances. Le prêteur, sanctionné pour ses manquements formels, obtient néanmoins une indemnisation partielle de ses frais de procédure. Les emprunteurs, protégés par le relevé d’office des irrégularités, n’échappent pas à leurs obligations au titre des dépens et de l’article 700 du code de procédure civile.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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