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Le contrôle de l’activité pharmaceutique par les organismes d’assurance maladie constitue un enjeu majeur de régulation des dépenses de santé. La délivrance de médicaments classés comme stupéfiants ou soumis à leur réglementation fait l’objet d’une attention particulière des caisses primaires, compte tenu des risques de mésusage et de trafic. Le contentieux du recouvrement des prestations indûment versées aux pharmaciens soulève des questions relatives tant à la charge de la preuve qu’aux obligations professionnelles pesant sur ces derniers.
Le Tribunal judiciaire de Paris, dans un jugement rendu le 13 juin 2025, s’est prononcé sur la contestation d’une notification d’indu adressée à un pharmacien à la suite d’un contrôle de son activité. Un pharmacien exerçant sous un nom commercial avait fait l’objet d’un contrôle par les services de la caisse primaire d’assurance maladie portant sur la période du 1er septembre 2018 au 30 septembre 2019. Le directeur général de l’assurance maladie lui avait notifié, le 9 juin 2022, un indu global de 34.976,92 euros, dont 3.102,70 euros pour le compte de la caisse du Val-de-Marne. Quatre types d’anomalies avaient été constatées : délivrance de produits sur ordonnances falsifiées, volées ou raturées ; délivrance de stupéfiants en l’absence d’ordonnance sécurisée ; facturations de médicaments susceptibles de mésusage sans respect de la mention du nom de la pharmacie ; délivrance sur ordonnances dont la durée de validité était expirée. Le pharmacien avait saisi la commission de recours amiable puis, en l’absence de décision dans le délai réglementaire, le pôle social du tribunal judiciaire.
Devant le tribunal, le pharmacien soulevait in limine litis la prescription de certaines créances antérieures au 9 juin 2019. Sur le fond, il contestait l’indu en arguant que la caisse n’avait pas rapporté la preuve de la matérialité des griefs et n’avait pas respecté les droits de la défense. Il affirmait avoir respecté l’ensemble de ses obligations professionnelles. Subsidiairement, il demandait la limitation de l’indu aux seules facturations présentant des anomalies. La caisse sollicitait la confirmation de l’indu et le paiement de la somme réclamée.
La question posée au tribunal était de savoir si un pharmacien peut être condamné au remboursement de l’intégralité des sommes versées au titre de délivrances effectuées sur des ordonnances falsifiées, alors même qu’il prétend avoir respecté ses obligations professionnelles de vérification.
Le tribunal déboute le pharmacien de l’intégralité de ses demandes et le condamne à rembourser la somme de 3.102,70 euros. Il retient que le tableau des indus comportait tous les éléments nécessaires à l’identification des anomalies et qu’il appartenait au professionnel de santé de conserver les pièces justificatives. Il relève que près de 50 % des boîtes de Buprenorphine facturées avaient été délivrées sur ordonnances fausses ou falsifiées et que le pharmacien avait méconnu la mention « non substituable » figurant sur certaines prescriptions.
Cette décision illustre l’articulation entre la charge probatoire incombant à la caisse et celle pesant sur le pharmacien (I), tout en précisant l’étendue des obligations de vigilance du pharmacien dans la délivrance de stupéfiants (II).
I. La répartition de la charge de la preuve dans le contentieux de l’indu
Le tribunal pose le cadre probatoire applicable au recouvrement des indus pharmaceutiques (A), avant d’en tirer les conséquences sur les moyens de défense du pharmacien (B).
A. L’exigence d’un tableau d’indus suffisamment précis
Le tribunal fonde son raisonnement sur les articles 9 du Code de procédure civile et 1353 du Code civil, combinés avec l’article L. 133-4 du Code de la sécurité sociale. Il en déduit que « lorsque la caisse de sécurité sociale verse aux débats les tableaux d’indus établis par elle, annexés à la notification de payer, et comportant les éléments suffisants pour établir la nature, la cause et le montant de ces indus, il appartient au professionnel de santé contrôlé d’apporter les éléments pour contester l’inobservation des règles de facturation et de tarification ».
En l’espèce, le tribunal constate que le tableau annexé à la notification du 9 juin 2022 « recense avec précision » l’ensemble des informations nécessaires : numéro de dossier, numéro du prescripteur, dates de prescription et de délivrance, nature et quantité des produits, prix, base et taux de remboursement, griefs et montant de l’indu. Cette énumération détaillée satisfait aux exigences jurisprudentielles relatives à la motivation des notifications d’indu.
Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante de la Cour de cassation qui considère que la caisse satisfait à son obligation probatoire dès lors qu’elle produit un tableau suffisamment détaillé pour permettre au professionnel d’identifier les facturations contestées. Le tribunal précise que la caisse avait en outre adressé, dès le 8 avril 2022, une liste des anomalies accompagnée d’un référentiel et d’une table de concordance indiquant l’identité des clients concernés.
B. Le renversement de la charge probatoire au détriment du pharmacien
Le pharmacien soutenait que la caisse aurait dû lui transmettre la copie des ordonnances falsifiées pour lui permettre de vérifier la matérialité des griefs. Le tribunal écarte cet argument en affirmant qu’« il n’appartient pas à la Caisse qui émet une notification de recouvrement de prestations indûment versées de produire aux débats les éléments à l’origine des facturations irrégulières : il incombe au professionnel de santé de conserver les ordonnances et tous les éléments susceptibles de justifier les facturations effectuées ».
Cette position traduit une conception exigeante des obligations documentaires du pharmacien. Le tribunal constate que le requérant « était tout à fait en capacité, compte tenu des informations qui ont été mises à sa disposition », d’identifier les ordonnances litigieuses. Le professionnel ne peut donc se retrancher derrière l’absence de communication des pièces originales par la caisse pour contester l’indu.
Cette solution apparaît conforme à la logique du système de tiers payant. Le pharmacien qui facture directement à la caisse des prestations pharmaceutiques assume corrélativement la responsabilité de conserver les justificatifs de ces facturations. La portée de cette décision renforce l’obligation de traçabilité documentaire pesant sur les officines.
II. L’étendue des obligations de vigilance du pharmacien dispensateur
Le tribunal apprécie la conformité des délivrances à la réglementation des stupéfiants (A), puis refuse toute limitation de l’indu fondée sur une exécution partielle des prescriptions (B).
A. Le non-respect de la réglementation des ordonnances sécurisées
Le tribunal relève que « sur les 6271 boîtes de Buprenorphine 8 mg qui ont été facturées par la pharmacie sur la période couverte par la notification contestée, 3008 ont été délivrées sur des ordonnances fausses ou falsifiées (portant des surcharges visibles) soit près de 50%, dont 1109 sur des prescriptions non sécurisées portant des carrés de sécurisation falsifiés ». Ces chiffres témoignent d’une défaillance systémique dans le contrôle des prescriptions.
Le tribunal souligne que les ordonnances devant répondre à des « spécifications techniques précisément réglementées » en application de l’article R. 5132-5 du Code de la santé publique « comportaient des falsifications grossières de carrés de sécurisation manuscrits ». Il en déduit que la délivrance s’est faite « en dépit de la réglementation applicable ».
Le pharmacien invoquait sa consultation régulière des sites « alerteprosante » et du fichier des ordonnances volées. Le tribunal écarte cet argument en relevant que les falsifications étaient « grossières » et donc détectables par un examen attentif. La portée de cette solution est significative : le recours aux outils informatiques de vérification ne dispense pas le pharmacien d’un contrôle visuel des prescriptions.
B. Le refus de toute limitation de l’indu aux seules substitutions irrégulières
Le pharmacien demandait subsidiairement que l’indu soit limité aux seules facturations de Buprenorphine substituée au Subutex prescrit avec la mention « non substituable », soit 1.055,01 euros. Il reconnaissait avoir pratiqué une délivrance « par moitié » contraire à cette mention.
Le tribunal rejette cette demande en considérant que « même pour les ordonnances où une partie de la prescription a été respectée, le caractère faux ou falsifié de l’ordonnance de prescription justifie que le montant de l’indu corresponde au montant total des produits ayant fait l’objet de remboursements ». La falsification de l’ordonnance vicie l’intégralité de la délivrance, indépendamment de la conformité partielle des produits délivrés.
Cette solution présente une portée dissuasive importante. Elle signifie qu’un pharmacien ne peut limiter les conséquences financières de ses manquements en excipant d’une exécution partielle de la prescription. Le tribunal rappelle d’ailleurs que « le moyen tiré de l’absence de préjudice financier pour la Caisse, compte tenu du fait que le médicament générique serait moins coûteux que le princeps, apparaît inopérant ». La délivrance sur ordonnance falsifiée constitue une irrégularité autonome, indépendante du préjudice économique effectif subi par la caisse.