Tribunal judiciaire de Paris, le 13 juin 2025, n°22/02794

Tribunal judiciaire de [Localité 15], 13 juin 2025. À la suite d’un contrôle portant sur une période d’un an, un pharmacien s’est vu notifier un indu consécutif à des irrégularités de facturation, visant notamment des médicaments assimilés stupéfiants et des prescriptions falsifiées. Le litige, limité au recouvrement d’une fraction de l’indu, portait sur la prescription triennale, la charge de la preuve et l’opposabilité d’irrégularités de délivrance.

Les faits utiles tiennent aux délivrances de Buprénorphine haut dosage et de Paracétamol, à la présence d’ordonnances falsifiées ou non sécurisées, et à l’existence d’ordonnances périmées. Le décompte annexé à la notification précisait, pour chaque dossier, les éléments d’identification, les références de prescription, la date de mandatement et le montant de l’indu.

Sur la procédure, la contestation amiable a été suivie d’un rejet, puis d’une saisine du pôle social. En défense, la caisse a sollicité le paiement reconventionnel du solde dû. Le demandeur a opposé la prescription partielle, l’insuffisance probatoire alléguée de la caisse et l’atteinte aux droits de la défense, tout en invoquant l’absence de préjudice financier.

La question juridique centrale concernait, d’une part, le point de départ du délai prévu par l’article L 133-4 du Code de la sécurité sociale et, d’autre part, l’étendue de la preuve exigée en matière d’indu. Le tribunal a d’abord reconstitué le régime de prescription en rappelant que « L’action en recouvrement, qui se prescrit par trois ans, sauf en cas de fraude, à compter de la date de paiement de la somme indue, s’ouvre par l’envoi au professionnel (…) d’une notification de payer ». Il a ensuite fait application d’un standard probatoire rigoureux, soulignant que « lorsque la caisse (…) verse aux débats les tableaux d’indus (…) il appartient au professionnel (…) d’apporter les éléments » de contestation. L’exception de prescription a été rejetée, la demande d’annulation de l’indu également, et la condamnation au remboursement prononcée.

I) Prescription triennale et charge probatoire en matière d’indu

A) Le point de départ fixé au mandatement
Le tribunal tranche nettement le grief in limine litis en rattachant le délai de l’article L 133-4 à la date de paiement, et non à la délivrance. La motivation retient que « la partie requérante confond la date de délivrance du produit par le pharmacien avec la date du règlement par la [10], qui correspond (…) à la date de mandatement ». Cette lecture cohérente du texte sécurise la computation du délai en se référant à l’événement générateur de l’appauvrissement de l’organisme.

Sur le fond, la solution s’inscrit dans une interprétation littérale et prévisible du texte. Elle prévient des stratégies de fractionnement par référence à la date de délivrance, dont la variabilité brouillerait la limite triennale. Elle oblige, en pratique, les professionnels à maîtriser la traçabilité des mandats, souvent disponibles dans les récapitulatifs de paiement. L’argumentation du demandeur, fondée sur la date de dispensation, ne pouvait emporter la conviction face à une notification détaillée.

B) La suffisance du tableau d’indu et le renversement de l’initiative probatoire
La juridiction articule le principe de l’initiative probatoire avec le contentieux de l’indu. Elle rappelle que « il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention », puis précise que « lorsque la caisse (…) verse aux débats les tableaux d’indus (…) comportant les éléments suffisants (…) il appartient au professionnel (…) d’apporter les éléments » de réfutation. Le cœur du raisonnement tient donc à la complétude du tableau.

Le juge constate que « le tableau des indus annexé (…) recense avec précision (…) le numéro de dossier (…) la date de prescription (…) la date de délivrance (…) la date de mandatement (…) les griefs et les anomalies constatés, et le montant de l’indu ». Cette précision emporte deux effets. D’abord, elle satisfait au standard probatoire initial de l’organisme. Ensuite, elle déplace vers le professionnel la charge d’une contestation circonstanciée, ordonnancée par pièce. Cette solution, exigeante mais lisible, favorise une contradiction utile, fondée sur les ordonnances conservées et les justificatifs de délivrance.

II) Portée contentieuse et exigences de délivrance en matière de stupéfiants

A) L’inopérance des moyens tirés de la procédure de pénalité
Le juge isole strictement le périmètre du litige. Il énonce que « Les droits visés par la partie requérante concernent exclusivement la procédure de pénalité financière, qui ne fait pas l’objet du présent litige ». L’argument de défense est écarté comme inadapté à une répétition de l’indu, dont la logique est purement restitutoire et objective, déliée des garanties propres à la sanction.

Cette dissociation présente un intérêt méthodologique. Elle stabilise le contentieux de l’indu autour d’un triptyque clair: prescription, preuve, matérialité des irrégularités. Elle évite d’importer, par analogie, des exigences contradictoires relevant d’un régime répressif. L’économie générale de la décision s’en trouve clarifiée, sans préjuger des débats éventuels sur la pénalité, qui relèvent d’un autre cadre.

B) La centralité des règles de sécurisation et l’irrélévance du préjudice
Sur le fond, le tribunal insiste sur l’intensité des anomalies liées aux stupéfiants. Il relève des délivrances sur ordonnances fausses ou non sécurisées et rappelle l’interdiction de substitution en présence de la mention « non substituable ». La motivation juge que « Les moyens (…) apparaissent (…) inopérants, compte tenu de la réglementation spécifique applicable en matière de prescription et de délivrance de produits classés comme stupéfiants ou soumis à la réglementation des stupéfiants ». L’argument d’absence de préjudice financier est écarté, la réglementation imposant des formes impératives.

La portée pratique est nette. L’indu n’est pas conditionné par la démonstration d’un dommage pour l’organisme, mais par l’inobservation de règles de facturation et de délivrance. L’intention ou la difficulté logistique alléguée ne neutralisent pas l’irrégularité objective. La conclusion s’accorde avec cette logique: « La Caisse apparaît recevable et bien fondée en sa demande reconventionnelle en paiement, la créance réclamée étant parfaitement conforme à la réglementation applicable, tant dans son principe que dans son montant ». Le contentieux est ainsi reconduit sur son terrain normatif propre, ordonné par la traçabilité du mandatement et l’exigence de sécurisation.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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