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L’exécution forcée mobilière n’échappe pas au juge qui la maîtrise depuis l’origine. Par une ordonnance du 13 juin 2025, le tribunal judiciaire de Paris, pôle de proximité, a statué sur sa propre compétence en matière de contestation d’une saisie-attribution.
Une créancière, société commerciale, a pratiqué le 4 octobre 2024 une saisie-attribution à l’encontre d’une débitrice. Cette mesure a été dénoncée le 11 octobre 2024 selon les modalités de l’article 659 du code de procédure civile. La débitrice a saisi le tribunal judiciaire, pôle de proximité, statuant en référé, par acte du 26 décembre 2024. Elle demandait la caducité et la nullité de l’acte de saisie-attribution, la mainlevée de cette mesure, des dommages et intérêts, subsidiairement un allègement de la dette et des délais de paiement. La société défenderesse a soulevé in limine litis l’incompétence du tribunal au profit du juge de l’exécution.
Le débat portait sur les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel n° 2023-1068 du 17 novembre 2023. Cette décision avait déclaré inconstitutionnelle une partie de l’alinéa premier de l’article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire, avec abrogation différée au 1er décembre 2024. La question se posait de savoir si, postérieurement à cette date, le juge de l’exécution demeurait compétent pour connaître des contestations relatives aux saisies-attributions.
Le tribunal s’est déclaré incompétent au profit du juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Paris. Il a considéré que la compétence pour statuer sur une demande de mainlevée d’une saisie-attribution constituait une « compétence particulière dévolue par le code de procédure civile au juge de l’exécution », non affectée par la déclaration d’inconstitutionnalité.
Cette décision soulève la question de la délimitation des compétences respectives du tribunal judiciaire de droit commun et du juge de l’exécution après l’abrogation partielle de l’article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire. Le maintien de la compétence du juge de l’exécution en matière de saisie-attribution repose sur un fondement textuel spécifique (I), qui s’inscrit dans une logique institutionnelle cohérente (II).
I. Le fondement textuel de la compétence maintenue du juge de l’exécution
Le tribunal a procédé à une analyse rigoureuse des textes applicables (A) pour en déduire leur autonomie par rapport à la disposition abrogée (B).
A. L’articulation des textes régissant la compétence
Le tribunal a fondé son raisonnement sur « l’application combinée des articles L. 213-6 alinéa 6 du code de l’organisation judiciaire, et L. 121-2 et R. 211-10 du code des procédures civiles d’exécution ». L’article L. 213-6 alinéa 6 dispose que « le juge de l’exécution exerce également les compétences particulières qui lui sont dévolues par le code des procédures civiles d’exécution ». L’article L. 121-2 du même code confère au juge de l’exécution « le pouvoir d’ordonner la mainlevée de toute mesure d’exécution inutile ou abusive ». L’article R. 211-10 précise que « les contestations de saisie-attribution sont portées devant le juge de l’exécution du lieu où demeure le débiteur ».
Cette construction textuelle mérite attention. Le tribunal n’a pas fondé la compétence du juge de l’exécution sur l’alinéa premier de l’article L. 213-6, partiellement abrogé. Il s’est appuyé sur l’alinéa sixième, qui opère un renvoi aux compétences particulières prévues par le code des procédures civiles d’exécution. Ce renvoi confère une base légale autonome à la compétence du juge de l’exécution en matière de saisie-attribution.
Le choix de ce fondement traduit une lecture prudente des conséquences de la décision constitutionnelle. Le tribunal a écarté toute interprétation extensive de l’abrogation. Il a préféré identifier un socle textuel distinct, insusceptible d’être affecté par la censure prononcée.
B. L’autonomie des textes par rapport à la disposition abrogée
Le tribunal a affirmé que les textes invoqués « n’étant pas identiques dans leur rédaction ou leur substance à la partie de l’article L. 213-6, alinéa 1er, du code de l’organisation judiciaire à laquelle le Conseil constitutionnel a limité son abrogation, ne sont pas affectés par la déclaration d’inconstitutionnalité du 17 novembre 2023 ». Cette formulation établit un critère de distinction clair. Seules les dispositions identiques, en rédaction ou en substance, à la partie abrogée seraient concernées par l’inconstitutionnalité.
L’application de ce critère aux articles L. 121-2 et R. 211-10 du code des procédures civiles d’exécution ne soulève pas de difficulté. Ces textes ne reproduisent pas la formule générale de l’ancien alinéa premier. Ils instituent des compétences spécifiques, respectivement le pouvoir d’ordonner la mainlevée et l’attribution de compétence territoriale pour les contestations de saisie-attribution.
Le tribunal a également écarté l’interprétation suggérée par la circulaire ministérielle du 28 novembre 2024. Cette circulaire indiquait que « les contestations élevées à l’occasion de l’exécution forcée d’un titre exécutoire » relevaient désormais de la compétence de droit commun du tribunal judiciaire. Le tribunal a rappelé que ce texte administratif « n’a pas de valeur normative ». Cette précision souligne l’attachement du juge à la hiérarchie des normes.
II. La cohérence institutionnelle de la solution retenue
Le maintien de la compétence du juge de l’exécution répond à la finalité de la décision constitutionnelle (A) et se trouve conforté par la position de la Cour de cassation (B).
A. La conformité à la finalité de la décision constitutionnelle
Le tribunal a relevé que « la décision du Conseil Constitutionnel n’entendait pas réduire le champ de compétence du juge de l’exécution, mais au contraire l’étendre ». Il a cité les motifs de la décision selon lesquels « les dispositions contestées sont entachées d’incompétence négative » en ce qu’aucune disposition ne permettait au débiteur de contester le montant de la mise à prix de droits incorporels saisis.
Cette analyse restitue le contexte de la question prioritaire de constitutionnalité. Le Conseil constitutionnel avait été saisi d’un litige relatif à la saisie de droits d’associés. La critique portait sur l’absence de voie de recours effective pour contester la mise à prix fixée unilatéralement par le créancier. L’inconstitutionnalité résultait d’une lacune, non d’un excès de compétence du juge de l’exécution.
Dès lors, interpréter l’abrogation comme un transfert de compétence vers le juge de droit commun contredirait l’objectif poursuivi par le Conseil constitutionnel. Le débiteur ne gagnerait rien à ce changement de juge. Il perdrait au contraire le bénéfice d’un magistrat spécialisé dans les questions d’exécution forcée. Le tribunal a implicitement retenu cette lecture téléologique de la décision constitutionnelle.
B. La confirmation par l’avis de la Cour de cassation
Le tribunal a invoqué un avis de la Cour de cassation du 13 mars 2025, rendu sur pourvoi n° 25-70.003. Cet avis précise que « dans le prolongement de la décision du Conseil constitutionnel en date du 17 novembre 2023, et dans l’attente d’un nouveau texte de loi, le juge de l’exécution reste compétent pour connaître de la contestation d’une mesure d’exécution forcée mobilière, y compris portant sur des biens financiers, ainsi que de la saisie des rémunérations ».
Cet avis revêt une importance particulière. Il émane de la juridiction suprême de l’ordre judiciaire et tranche une question de compétence que l’abrogation partielle de l’article L. 213-6 avait rendue incertaine. La formule « dans l’attente d’un nouveau texte de loi » souligne le caractère transitoire de la situation. Elle invite le législateur à intervenir pour clarifier la répartition des compétences.
Le tribunal s’est inscrit dans le sillage de cet avis. Il a appliqué la solution préconisée par la Cour de cassation à l’espèce dont il était saisi. Cette démarche assure la cohérence de la jurisprudence et la prévisibilité du droit applicable. Elle préserve également la spécialisation du juge de l’exécution, dont l’expertise en matière de mesures d’exécution forcée demeure précieuse pour les justiciables.