Tribunal judiciaire de Paris, le 16 juin 2025, n°24/05209

Le contrat de dépôt, figure classique du droit des contrats spéciaux, impose au dépositaire une obligation de garde et de restitution dont le manquement engage sa responsabilité de plein droit. Le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris le 16 juin 2025 en offre une illustration contentieuse dans le contexte d’une prestation de réparation d’appareils électroniques.

Un particulier avait confié deux amplificateurs à une société spécialisée aux fins de réparation, le premier en mai 2020, le second en février 2021. Malgré de nombreuses demandes de restitution demeurées sans réponse, le matériel ne lui fut jamais rendu. Le déposant saisit alors le tribunal judiciaire de Paris d’une requête enregistrée le 25 septembre 2024, sollicitant la condamnation de la société dépositaire au paiement de 1 500 euros au titre du remboursement du matériel non restitué, outre 300 euros de dommages-intérêts.

La société défenderesse, bien que régulièrement citée par acte remis à l’étude d’huissier, ne comparut pas. L’affaire fut plaidée à l’audience du 31 mars 2025, au cours de laquelle le demandeur maintint l’intégralité de ses prétentions, faisant valoir les nombreux courriels adressés à la société restés sans réponse et le manquement caractérisé aux obligations contractuelles de garde et de restitution.

La question posée au tribunal était celle de savoir si le dépositaire qui ne restitue pas le bien confié engage sa responsabilité de plein droit et doit indemniser le déposant de la valeur du bien perdu.

Le tribunal fit droit à la demande principale en condamnant la société au paiement de 1 500 euros, tout en rejetant la demande de dommages-intérêts faute de préjudice distinct établi. La juridiction rappela que « le dépositaire doit apporter, dans la garde de la chose déposée, les mêmes soins qu’il apporte dans la garde des choses qui lui appartiennent » et que « la responsabilité du dépositaire est de plein droit ».

Cette décision mérite examen tant au regard de la responsabilité de plein droit du dépositaire défaillant (I) que de l’appréciation restrictive du préjudice réparable (II).

I. La responsabilité de plein droit du dépositaire défaillant

Le tribunal consacre avec rigueur le principe de la responsabilité objective du dépositaire (A), tout en précisant les conditions limitées d’exonération qui lui sont ouvertes (B).

A. L’affirmation d’une responsabilité objective fondée sur l’obligation de restitution

Le tribunal fonde sa décision sur les articles 1927 à 1946 du Code civil, rappelant les obligations essentielles du dépositaire. La motivation retient que « le dépositaire doit apporter, dans la garde de la chose déposée, les mêmes soins qu’il apporte dans la garde des choses qui lui appartiennent, et doit donc être dit responsable de la perte de la chose confiée ». Cette formulation reprend la lettre de l’article 1927, qui impose au dépositaire un standard de diligence calqué sur celui qu’il applique à ses propres biens.

L’originalité de la solution réside dans l’affirmation nette que « la responsabilité du dépositaire est de plein droit ». Le tribunal se dispense ainsi de toute recherche d’une faute caractérisée. Il suffit au déposant d’établir la remise du bien et l’absence de restitution pour que la responsabilité soit engagée. En l’espèce, le demandeur « établit avoir remis deux amplis à la société sans que cette dernière n’ait procédé à la restitution de ce matériel ». Cette preuve minimale suffit à fonder la condamnation.

Cette approche correspond à la nature même du contrat de dépôt, qui crée à la charge du dépositaire une obligation de résultat quant à la restitution. Le déposant n’a pas à prouver une négligence dans la conservation ; l’impossibilité de restituer constitue en elle-même le manquement contractuel. La jurisprudence traditionnelle de la Cour de cassation confirme cette analyse en considérant que le dépositaire répond de la perte ou de la détérioration du bien sauf à prouver une cause étrangère.

B. Les conditions strictes d’exonération du dépositaire

Le tribunal précise que le dépositaire « ne peut y échapper qu’en prouvant le cas de force majeure, ou le fait de la victime ». Cette formulation délimite restrictivement les causes d’exonération admises. Le dépositaire supporte la charge de la preuve de ces circonstances exceptionnelles.

La force majeure suppose la réunion des caractères d’extériorité, d’imprévisibilité et d’irrésistibilité. En matière de dépôt, elle correspond à des hypothèses limitées telles que le vol avec violence, l’incendie d’origine criminelle ou la destruction par catastrophe naturelle. Le simple vol, même commis par effraction, ne constitue pas nécessairement un cas de force majeure si le dépositaire n’a pas pris les précautions élémentaires de surveillance. La mention du fait de la victime vise l’hypothèse où le déposant aurait lui-même contribué à la perte, par exemple en dissimulant la fragilité particulière du bien ou en tardant excessivement à le récupérer malgré les sollicitations du dépositaire.

En l’espèce, la société défenderesse n’a pas comparu et n’a donc invoqué aucune cause d’exonération. Son absence de défense la privait de toute possibilité de renverser la présomption de responsabilité pesant sur elle. Le tribunal statue par défaut en application de l’article 472 du Code de procédure civile, vérifiant que la demande est « régulière, recevable et bien fondée ». L’absence de contestation ne dispense pas le juge de ce contrôle, mais la production par le demandeur des courriels restés sans réponse suffisait à établir le manquement.

II. L’appréciation restrictive du préjudice réparable

Si le tribunal accueille la demande d’indemnisation du préjudice matériel (A), il rejette en revanche la prétention au titre des dommages-intérêts complémentaires (B).

A. L’indemnisation intégrale de la valeur du bien perdu

Le tribunal condamne la société au paiement de 1 500 euros « au titre du remboursement de ce matériel ». Cette somme correspond à la valeur des deux amplificateurs non restitués, dont le demandeur a établi le prix par les pièces versées au débat. Le jugement retient que « l’indemnité demandée au titre du remboursement des amplis confiés pour réparation est donc fondée alors que le prix de ces amplis est établi par les pièces versées au débat ».

L’évaluation du préjudice matériel en matière de dépôt obéit au principe de la réparation intégrale. Le déposant doit être replacé dans la situation qui aurait été la sienne si le contrat avait été correctement exécuté. La valeur de remplacement du bien constitue la mesure normale de cette réparation. Le tribunal ne précise pas s’il s’agit de la valeur d’achat historique ou de la valeur actuelle sur le marché de l’occasion, mais les amplificateurs vintage tels que ceux en cause présentent souvent une cote supérieure à leur prix d’origine.

La preuve de cette valeur incombe au déposant. En l’espèce, les pièces produites ont convaincu le tribunal du bien-fondé du quantum réclamé. L’absence de contestation par la défenderesse facilitait cette appréciation, le juge n’ayant pas à arbitrer entre des évaluations contradictoires.

B. Le rejet de la demande de dommages-intérêts complémentaires

Le tribunal rejette la demande de 300 euros formée à titre de dommages-intérêts. La motivation est lapidaire mais éclairante : le demandeur « n’établit pas de préjudice distinct à celui indemnisé ci-dessus ». Cette exigence d’un préjudice autonome traduit le refus d’une double indemnisation du même dommage.

La distinction entre la valeur du bien perdu et un éventuel préjudice complémentaire pose une difficulté récurrente en droit de la responsabilité contractuelle. Le préjudice matériel correspondant à la perte du bien constitue le dommage principal. Un préjudice moral, un trouble de jouissance ou des frais annexes pourraient justifier une indemnisation distincte, mais leur existence et leur quantum doivent être démontrés. En l’espèce, le demandeur n’a manifestement pas caractérisé en quoi la non-restitution lui aurait causé un tort excédant la simple privation des amplificateurs.

Cette exigence probatoire s’inscrit dans une jurisprudence constante refusant les demandes de dommages-intérêts formulées de manière abstraite. Le préjudice moral lié à la frustration ou à l’énervement causé par l’inexécution contractuelle n’est pas présumé. Le déposant aurait pu invoquer, par exemple, l’impossibilité d’utiliser son matériel pendant plusieurs années ou les démarches infructueuses engagées pour obtenir restitution. Faute d’une telle démonstration, le rejet s’imposait.

Cette décision illustre ainsi la rigueur du droit du dépôt quant à l’engagement de la responsabilité du dépositaire, tempérée par une appréciation stricte des chefs de préjudice réparables. Elle rappelle aux professionnels recevant des biens en dépôt l’étendue de leurs obligations et les conséquences patrimoniales de leur défaillance.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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