Tribunal judiciaire de Paris, le 16 juin 2025, n°24/10801

Le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Paris a rendu, le 16 juin 2025, une décision éclairante sur les conditions de mise en œuvre de la déchéance du terme dans les contrats de crédit à la consommation.

Une société de financement a consenti à un particulier, par offre acceptée le 12 septembre 2022, un crédit personnel de 12 000 euros remboursable en 50 mensualités au taux nominal de 4,82 %. Des échéances étant demeurées impayées à compter de février 2023, l’établissement prêteur a adressé une mise en demeure le 17 mai 2023 puis prononcé la déchéance du terme le 6 juin 2023. Le prêteur a ensuite assigné l’emprunteur défaillant devant le juge des contentieux de la protection aux fins de condamnation au paiement de la somme de 12 544,06 euros avec intérêts contractuels.

L’emprunteur, régulièrement assigné par procès-verbal de recherches infructueuses, n’a pas comparu. Le juge a relevé d’office plusieurs moyens tirés du droit de la consommation, notamment la question de la régularité de la déchéance du terme au regard du caractère potentiellement abusif de la clause d’exigibilité anticipée.

La question posée au tribunal était celle de savoir si une clause d’exigibilité immédiate assortie d’un délai de régularisation de dix jours pour apurer plus de quatre mensualités impayées constitue une clause abusive au sens de l’article L.212-1 du code de la consommation.

Le juge a estimé que ce délai ne constituait pas un préavis d’une durée raisonnable et a réputé la clause non écrite. Il a néanmoins prononcé la résolution judiciaire du contrat aux torts de l’emprunteur, condamnant ce dernier au remboursement du seul capital restant dû, déduction faite des versements effectués.

L’examen de cette décision conduit à analyser successivement le contrôle du caractère abusif de la clause d’exigibilité anticipée (I), puis les conséquences tirées par le juge de ce constat sur le régime de la créance du prêteur (II).

I. Le contrôle renforcé du caractère abusif de la clause d’exigibilité anticipée

Le juge opère un contrôle substantiel de la clause litigieuse en s’appuyant sur les exigences jurisprudentielles relatives au préavis raisonnable (A), avant de caractériser le déséquilibre significatif au détriment du consommateur (B).

A. L’exigence d’un préavis raisonnable préalable à la déchéance du terme

Le jugement s’inscrit dans le prolongement de la jurisprudence de la Cour de cassation issue de l’arrêt du 22 mars 2023. La première chambre civile avait alors jugé, en application de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne des 26 janvier 2017 et 8 décembre 2022, qu’était abusive la clause prévoyant « la résiliation de plein droit du contrat après une mise en demeure de régler une ou plusieurs échéances impayées sans préavis d’une durée raisonnable ».

En l’espèce, le tribunal relève que la clause contractuelle ne mentionnait aucun délai laissé à l’emprunteur pour régulariser sa situation. Le juge ne s’arrête pas à ce constat et examine les conditions concrètes de mise en œuvre de la déchéance du terme. Cette démarche pragmatique permet d’apprécier si, indépendamment de la rédaction de la clause, l’emprunteur a effectivement bénéficié d’un délai suffisant.

La mise en demeure adressée le 17 mai 2023 accordait un délai de dix jours pour régulariser une somme de 1 180,51 euros, correspondant à plus de quatre mensualités impayées. La déchéance du terme a été prononcée le 6 juin 2023. Le tribunal devait donc déterminer si ce délai de dix jours satisfaisait à l’exigence de préavis raisonnable.

B. La caractérisation du déséquilibre significatif

Le juge procède à une appréciation concrète du caractère raisonnable du délai accordé. Il prend en considération plusieurs éléments : l’enjeu de la clause pour l’emprunteur, les conséquences considérables de la déchéance du terme et « l’aggravation soudaine des conditions de remboursement » qu’elle entraîne.

Le tribunal retient que le délai de dix jours pour régulariser l’équivalent de plus de quatre mensualités impayées ne constitue pas un préavis d’une durée raisonnable. Cette appréciation tient compte de la disproportion entre le montant à régulariser et le délai imparti. Un consommateur ordinaire placé dans cette situation ne saurait raisonnablement réunir une telle somme en dix jours.

Cette analyse s’inscrit dans la logique protectrice du droit de la consommation européen. La directive 93/13/CEE impose aux juridictions nationales d’examiner d’office le caractère potentiellement abusif des clauses contractuelles. Le tribunal rappelle d’ailleurs cette obligation dans sa motivation. La sanction du caractère abusif est la clause réputée non écrite, conformément à l’article L.241-1 du code de la consommation.

II. Les conséquences du caractère abusif sur le régime de la créance

La reconnaissance du caractère abusif de la clause conduit le juge à prononcer la résolution judiciaire du contrat (A), dont les effets diffèrent sensiblement de ceux attachés à la déchéance conventionnelle du terme (B).

A. Le prononcé de la résolution judiciaire aux torts de l’emprunteur

La clause d’exigibilité anticipée étant réputée non écrite, la déchéance du terme prononcée par le prêteur est privée de tout effet. Le tribunal constate que « les conditions de prononcé régulier de la déchéance du terme ne sont pas réunies ». Cette irrégularité ne fait toutefois pas obstacle à l’examen de la demande subsidiaire en résolution judiciaire.

Le juge fonde cette résolution sur les articles 1224 et 1228 du code civil. L’inexécution par l’emprunteur de son obligation essentielle de remboursement depuis février 2023 constitue un manquement contractuel suffisamment grave pour justifier la résolution du contrat. Le tribunal souligne que le paiement des mensualités figure comme « obligation essentielle de l’emprunteur ».

Le jugement opère une distinction utile entre résolution et résiliation. Le prêt étant qualifié de contrat instantané dont les échéances ne sont que le fractionnement d’une obligation unique de remboursement, la sanction appropriée est bien la résolution et non la résiliation. Cette qualification emporte des conséquences importantes quant aux effets de l’anéantissement du contrat.

B. Les effets patrimoniaux de la résolution

La résolution produit un effet rétroactif qui commande la remise des parties en l’état antérieur à la conclusion du contrat. L’emprunteur est tenu de restituer le capital prêté, sous déduction des sommes déjà versées. Cette solution diffère substantiellement de celle qui aurait résulté de la déchéance conventionnelle du terme.

Le prêteur sollicitait la somme de 12 544,06 euros avec intérêts au taux contractuel de 4,82 %. Le tribunal ne lui accorde que 10 868,67 euros, correspondant au capital de 12 000 euros diminué des règlements effectués à hauteur de 1 131,33 euros. Les intérêts de retard ne courent qu’au taux légal à compter de l’assignation, et non au taux contractuel.

Cette différence de traitement constitue une sanction indirecte mais effective de l’utilisation d’une clause abusive. Le prêteur perd le bénéfice des intérêts contractuels qu’il aurait pu obtenir si la déchéance du terme avait été régulièrement prononcée. Le tribunal rejette également la demande de capitalisation des intérêts, rappelant la prohibition de l’anatocisme en matière de crédit à la consommation posée par l’article L.312-38 du code de la consommation.

Cette décision illustre le renforcement du contrôle judiciaire des clauses d’exigibilité anticipée dans les contrats de crédit. Elle invite les établissements prêteurs à accorder des délais de régularisation proportionnés à l’ampleur des impayés, sous peine de voir leur clause privée d’effet et leur créance réduite au seul capital restant dû.

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Hassan KOHEN
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Hassan Kohen

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