Tribunal judiciaire de Paris, le 16 juin 2025, n°25/01500

Le vol de véhicule suivi d’une action civile en réparation pose la question classique des conditions de la responsabilité délictuelle. L’arrêt rendu par le Tribunal judiciaire de Paris le 16 juin 2025 offre une illustration particulière de cette problématique, dans laquelle la recevabilité de l’action prime sur l’examen du fond.

Le 3 octobre 2019, un particulier a été victime du vol de son scooter. Le véhicule a été retrouvé grâce à un dispositif de localisation et l’auteur présumé a été interpellé alors qu’il s’apprêtait à l’utiliser. Placé en garde à vue, ce dernier a reconnu les faits lors de son audition. La procédure pénale a fait l’objet d’un classement sans suite le 21 avril 2020. Le propriétaire apparent du véhicule a alors engagé une action civile aux fins d’indemnisation de ses préjudices matériel et moral.

En première instance, le demandeur a sollicité la condamnation du défendeur au paiement de 3 344,26 euros au titre du préjudice matériel et de 2 000 euros au titre du préjudice moral, outre les frais irrépétibles. Le défendeur, comparant en personne, a contesté être l’auteur des dégradations constatées sur le véhicule.

Le tribunal devait déterminer si le demandeur disposait de la qualité pour agir en réparation d’un préjudice affectant un bien dont la carte grise mentionnait une personne morale distincte.

Le Tribunal judiciaire de Paris a déclaré le demandeur irrecevable pour défaut de droit à agir, relevant d’office cette fin de non-recevoir. Le juge a constaté que la carte grise du scooter était établie au nom d’une société tierce, laquelle n’était pas partie à l’instance.

Cette décision met en lumière la rigueur du contrôle de la qualité à agir en matière délictuelle (I) et ses conséquences sur l’examen des conditions de la responsabilité civile (II).

I. Le contrôle rigoureux de la qualité à agir du demandeur en réparation

Le tribunal a procédé à une vérification minutieuse du droit d’agir du demandeur (A), avant de relever d’office l’irrecevabilité de l’action (B).

A. L’exigence d’un intérêt personnel et direct à agir

Le tribunal rappelle les dispositions des articles 31 et 32 du code de procédure civile selon lesquelles « l’action en justice est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès d’une prétention » et « est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d’agir ». Ces textes imposent au demandeur de justifier d’un intérêt personnel à l’action qu’il engage.

En l’espèce, le juge relève que « le nom [du demandeur], pourtant demandeur à l’action, ne figure pas sur la carte grise du scooter, mais celle d’une société […] dont il n’est pourtant nulle question en procédure ». Cette constatation factuelle révèle une dissociation entre la qualité de demandeur et celle de propriétaire du bien endommagé. Le demandeur ne s’est pas présenté comme agissant en qualité de représentant légal de la société propriétaire, ce qui aurait pu régulariser sa situation processuelle.

Le tribunal observe également que « le devis du réparateur […] est également le nom du donneur d’ordre auquel est établi » au profit de cette même société. Cette concordance entre le titulaire de la carte grise et le destinataire des documents de réparation confirme que le préjudice matériel affecte le patrimoine de la personne morale et non celui du demandeur personne physique.

B. Le relevé d’office de la fin de non-recevoir

L’article 125 du code de procédure civile autorise le juge à relever d’office certaines fins de non-recevoir. Le tribunal fait application de cette prérogative en relevant que « le défaut de qualité à agir est une fin de non recevoir que le juge peut soulever d’office ». Cette faculté traduit le caractère d’ordre public attaché aux conditions de recevabilité de l’action.

Le juge précise que le demandeur « ne démontre ni son droit ni son intérêt à agir en réparation en lieu et place de la société ». Cette formulation souligne l’absence de toute justification permettant d’établir un lien entre le demandeur et le préjudice allégué. Le défaut de qualité ne peut être régularisé en cours d’instance lorsque le véritable titulaire du droit n’est pas partie à la procédure.

Le tribunal étend son analyse au préjudice moral, observant que celui-ci ne peut « être revendiqué par une personne morale au titre des doléances exprimées, étant rappelé une fois encore que la société n’est pas demanderesse au procès ». Cette précision distingue utilement les différentes natures de préjudice et leurs titulaires respectifs.

II. L’incidence de l’irrecevabilité sur l’examen des conditions de la responsabilité

L’irrecevabilité de l’action a empêché tout examen au fond de la responsabilité délictuelle (A), tout en laissant entrevoir les difficultés probatoires auxquelles le demandeur se serait heurté (B).

A. L’obstacle dirimant à l’examen du fond

L’article 122 du code de procédure civile définit la fin de non-recevoir comme « tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond ». Le tribunal tire les conséquences de cette règle en déclarant le demandeur irrecevable avant toute appréciation de la faute, du dommage et du lien de causalité.

Cette solution procédurale présente un caractère absolu. Le défaut de qualité à agir constitue un obstacle qui prive le juge du pouvoir d’examiner le bien-fondé des prétentions. Peu importe que les conditions de la responsabilité civile soient réunies si celui qui s’en prévaut n’est pas le titulaire du droit à réparation.

Le tribunal condamne logiquement le demandeur aux dépens en application de l’article 696 du code de procédure civile, comme « partie succombante ». Le rejet de la demande au titre de l’article 700 procède de la même logique indemnitaire inversée.

B. Les indices d’une action vouée à l’échec sur le fond

Le tribunal, avant de prononcer l’irrecevabilité, avait relevé plusieurs éléments qui auraient fragilisé la demande au fond. Le juge observe que « le scooter a été mis en circulation le 8 décembre 2017 et utilisé couramment à [Paris], ce qui induit bien des possibilités de dommages et de vandalisme sur la voie publique ». Cette considération met en évidence la difficulté d’établir un lien de causalité certain entre l’intervention du défendeur et les dégradations constatées.

Le tribunal relève également que le demandeur « ne démontre pas l’état du scooter avant le vol et ne peut prouver que [le défendeur] est personnellement l’auteur des dégradations ». Cette observation rappelle l’exigence de l’article 1353 du code civil selon lequel celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. En matière délictuelle, la victime supporte la charge de la preuve de l’ensemble des conditions de la responsabilité.

Le juge note enfin que le défendeur « s’en est emparé en usant des clés restées sur le contact, par conséquent sans effraction ni manœuvre délicate ». Cette circonstance aurait pu servir à contester l’imputabilité des dommages au défendeur, dès lors que la prise de possession du véhicule n’a pas nécessité de manipulation susceptible de l’endommager. Ces différents indices suggèrent que l’action, même recevable, se serait heurtée à des obstacles probatoires substantiels.

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Hassan KOHEN
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