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Par un jugement du Tribunal judiciaire de Paris du 17 juin 2025, 7e chambre, 1re section, un maître d’ouvrage sollicitait la résiliation, aux torts de l’entreprise titulaire des lots couverture-étanchéité et ravalement, d’un marché de construction de six bâtiments. Le chantier avait connu un arrêt initial lié à un risque amiante puis une suspension durant le confinement, avant une reprise et la fixation d’un planning recalé à l’automne 2020. L’entreprise a suspendu ses interventions le 30 novembre 2020, invoquant des accès impraticables, des retards d’autres corps d’état et l’absence de détails d’exécution validés, puis a annoncé cesser son intervention le 12 janvier 2021.
Sur le plan procédural, un premier référé avait ordonné au maître d’ouvrage de délivrer la garantie de paiement. Au fond, le maître d’ouvrage a assigné pour voir constater la résiliation aux torts de l’entreprise, obtenir le décompte de résiliation avec travaux de reprise, et faire prononcer des pénalités pour retards d’exécution et de transmission des plans. L’entreprise a sollicité la résiliation aux torts du maître d’ouvrage, l’indemnisation de dépenses improductives et d’une perte de marge, l’exonération tirée d’une cause étrangère, et la réduction des pénalités. La question de droit tenait à la caractérisation, au regard des stipulations du CCAG, d’une résiliation pour faute (abandon et manquements techniques), et à la mesure des pénalités au regard de l’article 1231-5 du code civil. Le Tribunal a examiné, d’une part, la réunion des conditions contractuelles de la résiliation, d’autre part, l’évaluation des conséquences pécuniaires, en particulier la modération des pénalités manifestement excessives.
I. La justification de la résiliation pour manquements contractuels
A. Le cadre contractuel applicable et sa mise en œuvre
Le Tribunal rappelle le mécanisme de résiliation de plein droit fondé sur l’article 5.1.1.2 du CCAG, organisant la sanction du non-respect des ordres, des retards significatifs, des inexécutions fixées par comptes rendus, et de l’abandon de chantier. Il introduit son contrôle par une formule charnière, révélatrice de la méthode suivie: « Il convient donc de vérifier si les conditions d’application de ces stipulations contractuelles sont réunies ». Cette vérification croise ordres de service, comptes rendus, constats d’huissier et échanges techniques, en situant la livraison contractuelle et les jalons du planning recalé.
Le juge constate des retards caractérisés et une absence d’achèvement, notamment la persistance d’infiltrations et de non-façons sur les bâtiments initiaux, corroborées par constat. Il retient également la non-transmission des détails d’exécution malgré relances, en soulignant que les pièces communiquées en septembre 2020 étaient des fiches techniques, non les plans détaillés attendus. S’agissant des interactions avec le charpentier, il relève que les demandes réitérées adressées à l’entreprise de couverture ont pu elles-mêmes influer sur le calendrier d’achèvement des charpentes, ce qui réduit la pertinence de l’argument tiré d’un seul retard amont. La démonstration probatoire débouche sur l’affirmation suivante: « Par suite, la preuve est rapportée que la résiliation du marché par le maître de l’ouvrage aux torts du constructeur était justifiée ».
B. L’écartement des causes exonératoires et la qualification des manquements
Le Tribunal examine les griefs relatifs à l’impraticabilité des accès, à la désorganisation imputée à la maîtrise d’œuvre et aux retards des autres intervenants. Il relève que des mesures d’amélioration des circulations ont été prises, qu’un suivi régulier par réunions et comptes rendus a existé, et que les constats d’huissier décrivant la boue ne suffisent pas, en eux-mêmes, à établir une impossibilité d’exécuter. Il prend soin de relever l’absence de signalement circonstancié d’un risque sécurité spécifique, malgré la présence du coordonnateur SPS, et l’absence d’alerte probante en ce sens.
Le moyen de cause étrangère, appréciée à l’aune de l’article 1218 du code civil, est écarté faute d’imprévisibilité, d’irrésistibilité et d’extériorité cumulatives démontrées. La carence de transmission des détails d’exécution est en revanche caractérisée, et le Tribunal la rattache au délai contractuel précis, qu’il rappelle en ces termes: « Il y a cependant lieu de s’en tenir à un strict respect des stipulations contractuelles prévoyant que les documents de détails d’exécution sont à transmettre par l’entreprise au maître d’œuvre au moins 20 jours avant la mise en œuvre de l’ouvrage ». La conséquence directe, quant aux travaux de reprise, se concentre sur les seuls bâtiments pour lesquels les désordres et non-façons sont corroborés par pièces et constats, ce que traduit la motivation: « Sont ainsi corroborés les malfaçons et non-façons concernant les bâtiments A et F ».
II. Les conséquences pécuniaires: décompte de résiliation et pénalités
A. Les reprises indemnisables et la méthode de chiffrage
S’appuyant sur l’article 5.1.2 du CCAG, le Tribunal arrête le compte en isolant les postes justifiés par des pièces probantes: constats, devis détaillés et factures. Les reprises se limitent aux ouvrages dont les non-façons et désordres sont établis par des éléments objectifs et contradictoires. Les demandes afférentes à d’autres bâtiments sont retranchées, notamment lorsque le contrôle technique atteste la conformité au DTU, comme pour le voligeage discuté. Cette approche évite l’indemnisation de postes non étayés et respecte le principe d’une réparation strictement rattachée aux manquements retenus.
Le juge valide parallèlement la logique du compte interentreprises et de la convention prorata, dès lors que les justificatifs existent et ne sont pas utilement contredits. Ce calibrage, factuel et strictement documenté, illustre une pratique contentieuse attentive au contradictoire préalable, exigé par le CCAG lors de la constatation d’avancement et des réserves.
B. La modération des pénalités de retard et ses critères
Le marché comportait une clause de pénalités quotidiennes, rappelée dans ces termes: « Aux termes de l’article 12 du CCAP intitulé “Pénalités de retard” : “Les pénalités de retard qui seront décomptées conformément aux dispositions du CCAG sont arrêtées à la somme de 1.000 € (mille) / jour calendaire de retard” ». Le juge distingue d’abord les retards d’exécution par bâtiment, en adoptant le jalonnement du planning recalé, puis apprécie séparément les pénalités de retard dans la remise des documents d’exécution au regard de l’article 3.3.7.5 du CCAG.
Saisi de la demande de modulation au titre de l’article 1231-5 du code civil, il exerce pleinement son pouvoir de modération in concreto. La motivation en fixe la clé: « Cependant, ces montants de pénalités apparaissent disproportionnés au regard du préjudice finalement subi ». Il « modère » ainsi les pénalités d’exécution à des montants sensiblement inférieurs, et ramène la pénalité documentaire à une somme forfaitaire, après avoir rappelé le calcul théorique fondé sur le nombre de jours de retard et le nombre d’éléments. La solution concilie l’effectivité de la clause pénale et l’exigence de proportionnalité, en lien avec l’atteinte réellement subie et l’état d’avancement constaté.
L’économie générale du jugement se révèle déterminée par le respect des stipulations contractuelles et par un contrôle serré de la preuve. La résiliation pour faute est fondée sur des inexécutions caractérisées et la défaillance documentaire, tandis que les conséquences financières sont strictement circonscrites aux reprises justifiées et à des pénalités modulées. Par ce double mouvement, le Tribunal rappelle la centralité du CCAG et du CCAP dans le contentieux des marchés privés, tout en rappelant que l’arme des pénalités demeure encadrée par le contrôle de proportion manifestement excessive.