Tribunal judiciaire de Paris, le 17 juin 2025, n°24/08446

Par un jugement du 17 juin 2025, le tribunal judiciaire de Paris, statuant en matière d’opposition à injonction de payer, a révoqué l’ordonnance de clôture et renvoyé l’affaire à une audience de mise en état ultérieure afin que soit régularisée une formalité procédurale omise.

Les faits à l’origine du litige sont simples. Une ordonnance portant injonction de payer avait été rendue le 13 janvier 2022, condamnant une débitrice à payer la somme de 11 508 euros en principal, outre intérêts au taux légal et une indemnité de 100 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Cette ordonnance fut signifiée à personne le 26 janvier 2022. La débitrice forma opposition par déclaration au greffe le 9 février 2022.

La procédure suivit alors son cours. Le greffe notifia au créancier la déclaration d’opposition conformément aux prescriptions légales. Ce dernier constitua avocat. La débitrice, en revanche, ne constitua pas avocat. L’ordonnance de clôture fut rendue le 21 novembre 2024 et l’affaire appelée à l’audience du 13 mai 2025.

Le tribunal releva d’office une irrégularité procédurale. Il constata que l’avocat du créancier n’avait pas informé la débitrice, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, de l’obligation de constituer avocat dans un délai de quinze jours, ainsi que l’exige l’article 1418 du code de procédure civile.

La question posée au tribunal était donc la suivante : le défaut d’accomplissement par l’avocat du créancier de la formalité d’information du débiteur prévue par l’article 1418 du code de procédure civile fait-il obstacle à la clôture de l’instruction et au jugement de l’affaire ?

Le tribunal répondit par l’affirmative. Il révoqua l’ordonnance de clôture et renvoya l’affaire afin que la formalité soit accomplie.

Cette décision illustre le caractère impératif des formalités procédurales en matière d’opposition à injonction de payer (I) et révèle le rôle actif du juge dans la préservation du contradictoire (II).

I. Le caractère impératif des formalités procédurales en matière d’opposition à injonction de payer

La décision commentée met en lumière l’exigence stricte de notification pesant sur l’avocat du créancier (A), dont le non-respect entraîne des conséquences procédurales significatives (B).

A. L’exigence stricte de notification par l’avocat du créancier

L’article 1418 du code de procédure civile organise minutieusement la procédure applicable devant le tribunal judiciaire en matière d’opposition à injonction de payer. Le tribunal en reproduit partiellement le contenu dans sa motivation : « Le créancier doit constituer avocat dans un délai de quinze jours à compter de la notification. Dès qu’il est constitué, l’avocat du créancier en informe le débiteur par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, lui indiquant qu’il est tenu de constituer avocat dans un délai de quinze jours. »

Cette formalité présente un caractère particulier. Elle ne pèse pas sur le greffe, mais directement sur l’avocat du créancier. Le texte emploie une formulation impérative qui ne laisse aucune marge d’appréciation. Le législateur a voulu que le débiteur opposant soit personnellement et directement informé de la nécessité de se faire représenter par avocat. Cette information doit lui parvenir par un mode de transmission fiable, la lettre recommandée avec demande d’avis de réception, garantissant la preuve de son envoi et de sa réception.

Le dispositif procédural ainsi conçu répond à une logique de protection. Le débiteur qui forme opposition à une injonction de payer n’est pas nécessairement familier des règles de procédure. Il peut ignorer que la procédure devant le tribunal judiciaire impose la représentation obligatoire par avocat. L’information qui lui est adressée vise à lui permettre d’organiser utilement sa défense.

B. Les conséquences du défaut de notification

Le tribunal constate en l’espèce que cette formalité n’a pas été accomplie. Il relève qu’« il ne ressort pas de la procédure que l’avocat du créancier ait informé le débiteur par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, en lui indiquant qu’il est tenu de constituer avocat dans un délai de quinze jours ».

Cette carence procédurale emporte des conséquences immédiates. Le tribunal refuse de statuer au fond et révoque l’ordonnance de clôture précédemment rendue. Il renvoie l’affaire à une audience ultérieure aux fins de régularisation.

La solution retenue témoigne de l’importance attachée à cette formalité. Le tribunal aurait pu considérer que la débitrice, défaillante, n’avait de toute façon pas manifesté l’intention de se défendre et qu’il convenait de statuer au fond. Il a choisi une autre voie. La défaillance du débiteur ne saurait dispenser le créancier d’accomplir les diligences qui lui incombent. Le respect de la procédure prime sur la célérité du jugement.

Cette approche formaliste n’est pas dénuée de fondement. L’absence de constitution d’avocat par le débiteur peut s’expliquer précisément par l’ignorance de cette obligation. Faute d’avoir reçu l’information prescrite par l’article 1418, le débiteur a pu légitimement croire que sa seule opposition suffisait à engager le débat contradictoire.

II. Le rôle actif du juge dans la préservation du contradictoire

La décision commentée révèle l’office du juge en matière de régularité procédurale (A) et s’inscrit dans une conception exigeante du procès équitable (B).

A. L’office du juge en matière de régularité procédurale

Le tribunal a relevé d’office le défaut d’accomplissement de la formalité prévue par l’article 1418 du code de procédure civile. Aucune des parties n’avait soulevé cette irrégularité. Le créancier, par la voix de son avocat, n’avait évidemment aucun intérêt à la signaler. La débitrice, défaillante, ne pouvait la faire valoir.

Cette démarche du juge s’inscrit dans la tradition procédurale française qui confère au magistrat un rôle actif dans la conduite de l’instance. Le juge n’est pas un arbitre passif qui se contenterait de trancher le litige tel qu’il lui est soumis. Il veille au respect des règles de procédure, fussent-elles méconnues par les parties.

La révocation de l’ordonnance de clôture constitue l’instrument procédural choisi par le tribunal pour permettre la régularisation. Ce mécanisme, prévu par l’article 803 du code de procédure civile, permet au juge de revenir sur la clôture de l’instruction lorsqu’une cause grave le justifie. En l’espèce, le tribunal considère implicitement que le défaut d’accomplissement d’une formalité substantielle constitue une telle cause.

B. Une conception exigeante du procès équitable

La solution adoptée par le tribunal judiciaire de Paris participe d’une conception exigeante des garanties procédurales. Le contradictoire ne se résume pas à la possibilité théorique pour chaque partie de faire valoir ses arguments. Il suppose que cette possibilité soit effective.

Or, un débiteur qui n’a pas été informé de l’obligation de constituer avocat ne peut exercer utilement ses droits de la défense. Il ignore les règles du jeu procédural. Sa défaillance ne résulte pas nécessairement d’un choix délibéré, mais peut-être d’une méconnaissance des exigences de la procédure.

Le tribunal fait ainsi prévaloir la substance du contradictoire sur son apparence. Il refuse de se satisfaire d’une procédure formellement régulière mais substantiellement viciée. Cette rigueur procédurale peut sembler ralentir le cours de la justice. Elle garantit cependant que le jugement à intervenir sera rendu dans des conditions respectueuses des droits de chacun.

Cette décision, bien que technique, rappelle que la procédure civile n’est pas un simple assemblage de formalités destinées à retarder le dénouement du litige. Elle constitue le cadre dans lequel s’exerce le droit fondamental à un procès équitable. Le juge en est le gardien vigilant.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture