Tribunal judiciaire de Paris, le 17 juin 2025, n°24/10433

Le contentieux du bail d’habitation demeure une source abondante de décisions juridictionnelles, notamment en matière d’impayés de loyers et de mise en œuvre de la clause résolutoire. L’ordonnance rendue le 17 juin 2025 par le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Paris en offre une illustration éclairante.

En l’espèce, un office public de l’habitat avait consenti par contrat sous seing privé du 17 juin 2021 un bail portant sur un appartement et une cave moyennant un loyer mensuel de 812,49 euros. Face à l’accumulation d’impayés, le bailleur a fait délivrer le 20 juin 2024 un commandement de payer visant la clause résolutoire pour une somme principale de 6 720,60 euros. Ce commandement étant demeuré infructueux, le bailleur a assigné les locataires en référé le 16 octobre 2024 aux fins de voir constater l’acquisition de la clause résolutoire, ordonner leur expulsion et obtenir leur condamnation au paiement de l’arriéré locatif.

À l’audience du 25 mars 2025, le bailleur a actualisé sa créance à 9 376,10 euros tout en donnant son accord à l’octroi de délais de paiement. L’un des locataires, comparant seul, a reconnu la dette et sollicité des délais à hauteur de 125 euros mensuels en sus du loyer courant, invoquant des difficultés financières liées à son activité professionnelle.

La question posée au juge était double. Il lui appartenait de déterminer si les conditions d’acquisition de la clause résolutoire étaient réunies et, dans l’affirmative, s’il convenait d’accorder aux locataires des délais de paiement suspendant les effets de cette clause.

Le juge des contentieux de la protection a constaté l’acquisition de la clause résolutoire à la date du 21 août 2024. Il a condamné solidairement les locataires au paiement d’une provision de 8 994,68 euros. Il leur a accordé des délais de paiement échelonnés sur trente-six mois, suspendant les effets de la clause résolutoire sous réserve du respect de l’échéancier.

Cette décision illustre le mécanisme de la clause résolutoire dans le bail d’habitation (I) tout en révélant l’étendue du pouvoir modérateur du juge par l’octroi de délais de paiement (II).

I. Le constat de l’acquisition de la clause résolutoire

Le juge procède au contrôle rigoureux des conditions de recevabilité de l’action (A) avant de vérifier la réunion des conditions de fond de la clause résolutoire (B).

A. Le contrôle préalable des formalités de recevabilité

L’ordonnance rappelle que l’action en résiliation et en expulsion est soumise à des conditions de recevabilité prévues par l’article 24 de la loi du 6 juillet 1989. Le juge relève que « une copie de l’assignation a été notifiée à la préfecture de [Localité 6] par la voie électronique le 17 octobre 2024, soit plus de six semaines avant l’audience ». Il constate également que le bailleur « justifie avoir saisi la commission de coordination des actions de prévention des expulsions locatives (CCAPEX) également par la voie électronique le 25 juin 2024, soit deux mois au moins avant la délivrance de l’assignation ».

Ces formalités, instituées dans un objectif de prévention des expulsions, constituent des conditions de recevabilité de l’action dont le non-respect entraîne l’irrecevabilité de la demande. La saisine préalable de la CCAPEX permet une intervention sociale en amont du contentieux. La notification à la préfecture assure l’information des services de l’État susceptibles d’intervenir dans le relogement des personnes expulsées.

Le juge vérifie scrupuleusement le respect de ces délais, ce qui témoigne de l’importance accordée par le législateur à la dimension préventive du contentieux locatif. Cette exigence procédurale traduit la volonté de concilier les droits du bailleur créancier avec la protection du locataire menacé d’expulsion.

B. La vérification des conditions d’acquisition de la clause résolutoire

Le juge rappelle le cadre juridique applicable en visant l’article 24 I de la loi du 6 juillet 1989 et en précisant que « toute clause prévoyant la résiliation de plein droit du contrat de location pour défaut de paiement du loyer ou des charges aux termes convenus ne produit effet qu’à l’expiration d’un certain délai après un commandement de payer demeuré infructueux ». L’ordonnance fait référence à un arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation du 13 juin 2024 pour déterminer le délai applicable aux contrats conclus avant l’entrée en vigueur de la loi du 27 juillet 2023.

En l’espèce, le juge constate que « le bail conclu le 17 juin 2021 contient une clause résolutoire (article 16.2) et un commandement de payer visant cette clause a été signifié le 20 juin 2024 ». Il relève que ce commandement « correspond par ailleurs bien à une dette justifiée à hauteur du montant des loyers échus et impayés » et qu’il « est enfin demeuré infructueux pendant plus de deux mois ». Le juge en déduit que « les conditions d’acquisition de la clause résolutoire contenue dans le bail sont réunies à la date du 21 août 2024 ».

Le contrôle exercé par le juge porte sur l’existence de la clause dans le contrat, la régularité du commandement de payer, la réalité de la dette visée et l’écoulement du délai légal. Ce contrôle, bien qu’il aboutisse au constat d’une résiliation de plein droit, n’en demeure pas moins juridictionnel. Le juge ne se contente pas d’entériner mécaniquement la mise en œuvre de la clause mais vérifie la réunion de l’ensemble des conditions légales.

II. L’exercice du pouvoir modérateur par l’octroi de délais de paiement

Le juge dispose d’un pouvoir de suspension des effets de la clause résolutoire (A) dont l’exercice est subordonné à des conditions strictes et assorti de garanties pour le bailleur (B).

A. Les conditions d’octroi des délais suspensifs

L’ordonnance cite les articles 24 V et VII de la loi du 6 juillet 1989 qui permettent au juge d’accorder des délais de paiement « dans la limite de trois années au locataire en situation de régler sa dette locative ». Le texte précise que cette faculté est subordonnée à la condition que « le locataire soit en situation de régler sa dette locative et qu’il ait repris le versement intégral du loyer courant avant la date de l’audience ».

Le juge constate que les locataires « ont repris le règlement du loyer courant » et que le bailleur « a donné son accord pour l’octroi de délais de paiement suspendant les effets de la clause résolutoire ». Cette double condition permet au juge d’autoriser les locataires « à se libérer du montant de leur dette selon les modalités qui seront précisées au dispositif ».

L’accord du bailleur, s’il n’est pas une condition légale de l’octroi des délais, facilite la décision du juge. Celui-ci doit en effet apprécier la capacité de remboursement des locataires au regard de leurs ressources. Le locataire comparant déclarait « des revenus de l’ordre de 1 500 euros par mois » tandis que son épouse percevait « un salaire équivalent au SMIC ainsi que les allocations familiales ». L’échéancier de 125 euros mensuels sur trente-six mois apparaît ainsi adapté à la situation financière du ménage.

B. L’encadrement des délais par un mécanisme de déchéance

Le juge assortit l’octroi des délais d’un dispositif protecteur des intérêts du bailleur. L’ordonnance prévoit que « si les délais accordés sont entièrement respectés, la clause résolutoire sera réputée n’avoir jamais été acquise ». En revanche, « toute mensualité, qu’elle soit due au titre du loyer et des charges courants ou de l’arriéré, restée impayée 15 jours après l’envoi d’une mise en demeure par lettre recommandée avec avis de réception » entraînera plusieurs conséquences.

Le juge précise que dans cette hypothèse « la clause résolutoire retrouve son plein effet », « le solde de la dette devienne immédiatement exigible » et que le bailleur pourra « faire procéder à leur expulsion ». Ce mécanisme de déchéance constitue une garantie essentielle pour le bailleur. Il évite que l’octroi de délais ne se transforme en moyen dilatoire permettant au locataire de mauvaise foi de se maintenir indéfiniment dans les lieux.

La portée de cette décision s’inscrit dans une jurisprudence constante qui concilie le droit du bailleur à obtenir l’exécution de ses créances avec la protection du locataire de bonne foi confronté à des difficultés temporaires. Le juge des contentieux de la protection dispose ainsi d’un pouvoir d’appréciation lui permettant d’adapter la sanction à la situation concrète des parties. Cette faculté de modération tempère l’automaticité apparente de la clause résolutoire et confère au juge un rôle de régulateur du contentieux locatif.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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