- Cliquez pour partager sur LinkedIn(ouvre dans une nouvelle fenêtre) LinkedIn
- Cliquez pour partager sur Facebook(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Facebook
- Cliquez pour partager sur WhatsApp(ouvre dans une nouvelle fenêtre) WhatsApp
- Cliquez pour partager sur Telegram(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Telegram
- Cliquez pour partager sur Threads(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Threads
- Cliquer pour partager sur X(ouvre dans une nouvelle fenêtre) X
- Cliquer pour imprimer(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Imprimer
L’expertise judiciaire in futurum, prévue par l’article 145 du code de procédure civile, constitue l’un des outils probatoires les plus fréquemment employés en matière immobilière. La présente ordonnance de référé, rendue le 17 juin 2025 par le Tribunal judiciaire de Paris, en offre une illustration éclairante lorsque plusieurs propriétaires, confrontés à des désordres persistants, sollicitent la désignation d’un expert.
En l’espèce, une société civile immobilière était propriétaire d’un studio situé au rez-de-chaussée d’un immeuble parisien, donné à bail d’habitation. Ce local subissait des infiltrations. La locataire occupait les lieux au titre de ce bail. Dans l’immeuble voisin, plusieurs copropriétaires indivisaires se plaignaient également de désordres qu’ils imputaient à la même origine, malgré les travaux déjà entrepris par la propriétaire demanderesse.
La société propriétaire et son syndic ont assigné en référé, les 18, 21 et 24 février 2025, plusieurs parties : un cabinet de gestion immobilière, une société de syndic, l’Agence régionale de santé d’Île-de-France et la locataire du studio. Les demandeurs sollicitaient la désignation d’un expert judiciaire aux fins de constater les désordres, d’en rechercher les causes et de proposer les remèdes appropriés. Les copropriétaires de l’immeuble voisin sont intervenus volontairement à l’instance pour demander l’extension de la mission expertale à leurs propres lots, affirmant subir des désordres connexes. La locataire a formulé des protestations et réserves. Le cabinet de gestion et l’Agence régionale de santé n’ont pas comparu.
Le juge des référés devait déterminer si les conditions de l’article 145 du code de procédure civile étaient réunies pour ordonner la mesure d’instruction sollicitée, et apprécier à l’encontre de quelles parties cette mesure pouvait être prononcée.
Le Tribunal judiciaire de Paris a déclaré recevable l’intervention volontaire des copropriétaires voisins, a rejeté la demande d’expertise formée à l’encontre de l’Agence régionale de santé au motif qu’aucun procès en germe n’était justifié contre elle, et a ordonné la mesure d’expertise sollicitée. Le magistrat a confié à l’expert une mission détaillée portant sur la description des désordres, la recherche de leurs causes, l’évaluation des travaux nécessaires et l’estimation des préjudices. La provision à consigner a été répartie entre les demandeurs principaux et les intervenants volontaires.
Cette décision invite à examiner successivement les conditions d’octroi de l’expertise in futurum (I) puis le périmètre subjectif de la mesure ordonnée (II).
I. Les conditions d’octroi de l’expertise préventive
L’ordonnance rappelle le cadre légal de l’article 145 avant d’en contrôler l’application aux circonstances de l’espèce (A), puis précise les exigences relatives à l’existence d’un litige potentiel (B).
A. L’exigence d’un motif légitime de conservation de la preuve
Le juge des référés fonde sa décision sur l’article 145 du code de procédure civile, dont il reproduit la substance : « s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées ». L’ordonnance précise que « l’application de ce texte n’implique aucun préjugé sur la recevabilité et le bien-fondé des demandes formées ultérieurement, sur la responsabilité des personnes appelées comme partie à la procédure, ni sur les chances du procès susceptible d’être engagé ».
Cette formulation correspond à une jurisprudence constante de la Cour de cassation qui veille à préserver le caractère non juridictionnel de cette mesure probatoire. Le juge n’a pas à se prononcer sur le fond du litige futur. Il doit seulement vérifier l’existence d’un intérêt légitime à établir une preuve.
En l’espèce, le Tribunal retient que ce motif légitime est établi « en l’état des arguments développés par les parties requérantes ainsi que par les parties intervenantes qui font état de la persistance de désordres au sein de leur lot ». La démonstration de désordres immobiliers, attestée par les pièces produites, suffit à caractériser cet intérêt. La circonstance que des travaux aient déjà été entrepris sans succès renforce même la légitimité de la demande, puisqu’elle révèle une difficulté technique nécessitant l’éclairage d’un sachant.
B. La nécessité d’un litige potentiel identifiable
Le rejet de la demande formée contre l’Agence régionale de santé illustre la seconde condition de l’article 145 : l’existence d’un procès en germe. L’ordonnance énonce qu’« il n’est justifié d’aucun procès en germe à l’encontre de l’Agence régionale de santé d’Ile de France ».
Cette exigence découle du texte lui-même, qui vise la preuve de faits « dont pourrait dépendre la solution d’un litige ». Le demandeur doit établir la vraisemblance d’une action future contre la personne qu’il entend attraire aux opérations d’expertise. L’autorité administrative n’étant pas propriétaire, ni gestionnaire, ni intervenue sur l’immeuble, aucun fondement juridique ne permettait d’envisager sa mise en cause dans un contentieux ultérieur.
Cette solution protège les tiers contre des mesures d’instruction injustifiées. L’expertise in futurum ne saurait servir d’instrument exploratoire permettant de rechercher d’éventuels responsables. Le demandeur doit identifier préalablement les personnes contre lesquelles un litige est concevable.
II. Le périmètre subjectif de la mesure d’expertise
L’ordonnance statue sur la recevabilité de l’intervention volontaire (A) et organise la répartition de la charge financière entre les différentes parties (B).
A. L’admission de l’intervention volontaire des copropriétaires voisins
Le dispositif « déclare recevable l’intervention volontaire » des copropriétaires de l’immeuble voisin. Cette solution mérite approbation. L’article 325 du code de procédure civile autorise l’intervention d’un tiers qui a intérêt à la solution du litige. Les intervenants, propriétaires indivis de lots situés dans un immeuble contigu, alléguaient des désordres ayant « d’évidence la même cause » que ceux affectant le studio de la demanderesse principale.
L’intérêt de cette intervention réside dans l’économie procédurale qu’elle permet. Une expertise unique portant sur l’ensemble des désordres connexes évitera la multiplication des instances et des mesures d’instruction. L’expert pourra appréhender globalement la pathologie des immeubles et proposer des solutions cohérentes. La mission lui confie d’ailleurs le soin d’examiner « le cas échéant, sans nécessité d’extension de mission, tous désordres connexes ayant d’évidence la même cause ».
L’ordonnance prend acte par ailleurs des « protestations et réserves formulées en défense » par la locataire. Cette formule traditionnelle préserve les droits de l’intéressée sans préjuger de sa responsabilité éventuelle. Elle pourra faire valoir ses arguments au fond si une action est ultérieurement engagée.
B. La répartition équilibrée de la charge de la consignation
Le magistrat fixe la provision à 6000 euros, répartie entre les demandeurs principaux pour 4000 euros et les intervenants volontaires pour 2000 euros. L’ordonnance justifie cette répartition par le fait que « la partie demanderesse, qui bénéficie de la mesure d’expertise dont l’objet est d’améliorer la situation probatoire, supportera le coût de la consignation, tout comme la partie intervenante qui sollicite un complément de mission ».
Cette solution s’inscrit dans la logique de l’article 269 du code de procédure civile, qui confère au juge un pouvoir discrétionnaire dans la répartition de la consignation. Celui qui sollicite la mesure probatoire en assume le coût initial, sous réserve d’un remboursement ultérieur si les responsabilités sont établies.
Le refus d’appliquer l’article 700 du code de procédure civile procède de la même logique : « les responsabilités n’étant pas encore définies », il serait prématuré de statuer sur les frais irrépétibles. Cette réserve est conforme à la nature provisoire de l’ordonnance de référé, qui ne tranche pas le fond du litige.
L’ordonnance organise enfin avec précision le déroulement des opérations expertales, fixant un délai de consignation au 18 août 2025 et une date de dépôt du rapport au 17 avril 2026. Le rappel de la sanction de caducité en cas de défaut de consignation garantit l’effectivité de la mesure. Cette rigueur procédurale traduit le souci d’une justice efficace, soucieuse de ne pas laisser s’enliser des expertises dont le coût et la durée constituent souvent un obstacle à l’accès au juge.