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Le prêt de somme d’argent entre particuliers, pratique courante, suscite régulièrement des difficultés lorsque l’emprunteur manque à son obligation de restitution. Le juge des référés, gardien de l’évidence, peut alors être saisi pour obtenir rapidement le remboursement des fonds avancés.
Le Tribunal judiciaire de Paris a rendu le 17 juin 2025 une ordonnance de référé relative au remboursement d’un prêt consenti entre deux particuliers.
En l’espèce, un particulier a consenti à un autre deux virements successifs, l’un de 10 000 euros le 14 juin 2024, l’autre de 20 000 euros le 20 septembre 2024, soit 30 000 euros au total. Par courriel du 28 novembre 2024, le bénéficiaire des fonds s’est engagé à rembourser cette somme le lundi suivant. Cet engagement n’a pas été honoré. Le prêteur a alors adressé une mise en demeure le 6 décembre 2024, restée sans effet.
Le prêteur a assigné l’emprunteur en référé devant le Tribunal judiciaire de Paris par acte du 13 mars 2025. Il sollicitait le remboursement de 30 000 euros, outre 20 000 euros en réparation de ses préjudices moral et financier, ainsi que 3 000 euros au titre des frais irrépétibles. Le défendeur, régulièrement assigné, n’a pas constitué avocat. L’affaire a été plaidée le 13 mai 2025.
La question posée au juge des référés était de déterminer si l’existence d’un prêt de somme d’argent et l’obligation de remboursement présentaient un caractère suffisamment évident pour justifier l’allocation d’une provision. Il convenait également d’apprécier si le préjudice allégué par le prêteur pouvait faire l’objet d’une indemnisation en référé.
Le juge a condamné le défendeur au paiement provisionnel de 30 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 6 décembre 2024. Il a en revanche dit n’y avoir lieu à référé sur la demande indemnitaire, considérant que le préjudice lié au retard de paiement est réparé par les intérêts de retard et que le préjudice moral n’était pas établi.
Cette ordonnance présente un double intérêt. Elle illustre la caractérisation de l’évidence requise pour l’octroi d’une provision en matière de prêt entre particuliers (I). Elle rappelle également les limites des pouvoirs du juge des référés en matière d’indemnisation du préjudice (II).
I. La reconnaissance d’une obligation non sérieusement contestable de remboursement
Le juge des référés a retenu l’existence d’un prêt d’argent dont les éléments constitutifs étaient établis avec évidence (A), justifiant l’allocation d’une provision correspondant à l’intégralité des sommes prêtées (B).
A. La qualification du prêt à usage de somme d’argent
Le juge a visé l’article 1875 du code civil, selon lequel « le prêt à usage est un contrat par lequel l’une des parties livre une chose à l’autre pour s’en servir, à la charge par le preneur de la rendre après s’en être servi ». Cette référence textuelle appelle une observation. Le prêt de somme d’argent relève en principe du prêt de consommation défini aux articles 1892 et suivants du code civil, non du prêt à usage. L’emprunteur de deniers devient propriétaire des fonds et doit restituer l’équivalent, non la chose même. Cette inexactitude terminologique demeure sans incidence sur la solution, l’obligation de restitution existant dans les deux cas.
Le juge a constaté que les virements bancaires des 14 juin et 20 septembre 2024 établissaient la remise effective des fonds. Le courriel du 28 novembre 2024, par lequel le défendeur reconnaissait devoir 30 000 euros et s’engageait à les rembourser, confirmait « avec l’évidence requise devant le juge des référés, l’existence du prêt à usage ». Cette reconnaissance non équivoque de dette par l’emprunteur lui-même suffisait à caractériser l’absence de contestation sérieuse.
B. L’octroi d’une provision égale au montant du prêt
Le défendeur n’ayant pas comparu, le juge a statué par décision réputée contradictoire conformément à l’article 472 du code de procédure civile. Cette disposition prévoit que « si le défendeur ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond » et que « le juge ne fait droit à la demande que dans la mesure où il l’estime régulière, recevable et bien fondée ». L’absence du défendeur ne dispense donc pas le juge de vérifier le bien-fondé de la prétention.
Le juge a relevé que « le défaut de remboursement n’apparaissait nullement justifié ». La combinaison des preuves de la remise des fonds et de la reconnaissance de l’obligation de restitution établissait une créance non sérieusement contestable. La condamnation provisionnelle à hauteur de 30 000 euros s’imposait. Les intérêts au taux légal ont été fixés à compter du 6 décembre 2024, date de la mise en demeure, conformément à l’article 1231-6 du code civil.
II. Le rejet de la demande indemnitaire au stade du référé
Le juge a écarté la demande de 20 000 euros formée au titre des préjudices, appliquant le principe d’unicité de la réparation du retard de paiement (A) et relevant son incompétence pour statuer sur le préjudice moral (B).
A. L’exclusion d’une double indemnisation du retard de paiement
Le demandeur sollicitait 20 000 euros « en réparation de son préjudice moral et financier ». Le juge a refusé cette prétention en considérant que « le préjudice subi du fait du retard dans le versement d’une somme d’argent est indemnisé par les intérêts de retard qui courent sur ladite somme » et qu’« il n’y a pas lieu d’indemniser une seconde fois ce préjudice ».
Cette motivation s’inscrit dans une jurisprudence constante. Le préjudice financier résultant du défaut de paiement d’une somme d’argent est forfaitairement réparé par les intérêts moratoires. Le créancier ne peut prétendre à une indemnisation complémentaire au titre du même chef de préjudice, sauf à démontrer une mauvaise foi du débiteur ouvrant droit à des dommages-intérêts distincts sur le fondement de l’article 1231-6 alinéa 3 du code civil. En l’absence d’allégation et de preuve d’une telle mauvaise foi, le rejet de la demande indemnitaire pour préjudice financier était fondé.
B. L’incompétence du juge des référés pour apprécier le préjudice moral
Concernant le préjudice moral, le juge a constaté que « le demandeur ne produit aucun élément sur un éventuel préjudice moral ». Il a ajouté que « l’appréciation ne relève pas en tout état de cause des pouvoirs des juges des référés ».
Cette affirmation mérite nuance. Le juge des référés peut allouer une provision dès lors que l’existence d’une obligation n’est pas sérieusement contestable. Cette règle vaut également pour les obligations indemnitaires. Un préjudice moral peut donc donner lieu à provision s’il est établi avec suffisamment d’évidence. L’ordonnance semble poser une règle générale d’incompétence qui ne correspond pas exactement à l’état du droit. La solution se justifie néanmoins en l’espèce par l’absence totale de preuve du préjudice moral allégué. Le demandeur n’avait produit aucun élément susceptible d’établir, même prima facie, l’existence et l’étendue d’un tel préjudice.
Cette ordonnance rappelle l’efficacité du référé-provision pour obtenir rapidement le remboursement d’un prêt entre particuliers lorsque le débiteur a reconnu sa dette. Elle illustre également les limites de cette voie procédurale pour les demandes indemnitaires insuffisamment étayées.