Tribunal judiciaire de Paris, le 18 juin 2025, n°19/02419

La mise en extinction volontaire d’un litige par l’une des parties constitue une manifestation éminente du principe dispositif gouvernant le procès civil. Le désistement d’instance, consacré aux articles 394 et suivants du code de procédure civile, permet au demandeur de renoncer à sa prétention juridictionnelle sans pour autant abandonner le droit substantiel qui la fonde. Cette figure procédurale, distincte du désistement d’action, préserve la faculté de réintroduire ultérieurement une demande identique.

Le tribunal judiciaire de Paris, par jugement du 18 juin 2025, s’est prononcé sur un désistement d’instance intervenu dans un contentieux relevant du pôle social. Une demanderesse, bénéficiaire de l’aide juridictionnelle partielle, avait introduit une action le 9 mai 2018 à l’encontre d’un organisme dont le siège est situé à Paris. À l’audience, la demanderesse a déclaré oralement se désister de sa demande. La partie défenderesse a accepté ce désistement. Le tribunal a alors constaté le désistement, ordonné le retrait de l’affaire du rang des affaires en cours et mis les dépens à la charge de la demanderesse.

La procédure révèle une instance d’une durée remarquable de sept années entre l’acte introductif et l’audience de désistement. La demanderesse était assistée d’un avocat et bénéficiait d’une aide juridictionnelle partielle accordée dès 2018. La défenderesse, représentée par avocat, n’a formulé aucune opposition au désistement proposé.

La question posée au tribunal était de déterminer les conditions et effets du désistement d’instance déclaré oralement à l’audience, spécialement lorsque la partie adverse l’accepte.

Le tribunal a constaté le désistement d’instance, prononcé le retrait de l’affaire du rang des instances en cours et condamné la demanderesse aux dépens incluant les frais d’huissier. Cette décision illustre l’application classique du régime du désistement accepté.

L’examen de cette décision conduit à analyser successivement les conditions de validité du désistement d’instance (I) puis ses effets procéduraux et patrimoniaux (II).

I. Les conditions de validité du désistement d’instance

Le désistement d’instance obéit à un régime juridique précis qui articule des exigences de forme (A) et des conditions tenant au consentement des parties (B).

A. Les modalités formelles du désistement

L’article 394 du code de procédure civile dispose que le demandeur peut se désister de sa demande en vue de mettre fin à l’instance. Le désistement peut être exprès ou implicite, écrit ou oral. En l’espèce, le tribunal a relevé que « la demanderesse a déclaré, oralement à l’audience de ce jour, se désister de sa demande en vue de mettre fin à l’instance ». Cette formulation démontre le caractère exprès et oral du désistement, intervenu directement devant la juridiction.

Le désistement oral à l’audience présente l’avantage de la simplicité et de l’immédiateté. Il suppose néanmoins la présence ou la représentation du demandeur. La demanderesse était représentée par son conseil, habilité à accomplir les actes de la procédure. Le désistement constitue un acte grave emportant renonciation à l’instance, mais non au droit d’agir. L’avocat disposait manifestement d’un pouvoir spécial pour y procéder.

La décision ne précise pas les motifs ayant conduit la demanderesse à renoncer à son action après sept années de procédure. Ce silence est conforme à la nature même du désistement qui n’exige aucune motivation particulière. Le demandeur demeure maître de sa prétention et peut y renoncer discrétionnairement.

B. L’exigence de l’acceptation par le défendeur

L’article 395 du code de procédure civile subordonne la perfection du désistement à l’acceptation du défendeur lorsque celui-ci a présenté une défense au fond ou une fin de non-recevoir. Le tribunal a expressément constaté que « la partie défenderesse accepte le désistement ». Cette acceptation était juridiquement nécessaire compte tenu de l’ancienneté de l’instance.

L’exigence d’acceptation protège le défendeur qui a pu engager des frais et souhaite obtenir une décision au fond le mettant définitivement à l’abri de toute nouvelle action. Elle évite également les manœuvres dilatoires consistant à introduire une instance puis à s’en désister pour la réintroduire ultérieurement. En l’occurrence, la défenderesse n’a pas souhaité s’opposer au désistement ni solliciter un jugement sur le fond.

L’acceptation peut être expresse ou tacite. Elle résulte ici d’une manifestation expresse à l’audience. Le tribunal n’avait donc qu’à constater l’accord des volontés mettant fin au lien d’instance. Cette constatation relève de son office et ne constitue pas un acte juridictionnel tranchant une contestation.

II. Les effets du désistement sur l’instance et les dépens

Le désistement régulièrement formé et accepté produit des effets sur le sort de l’instance (A) et sur la charge des frais du procès (B).

A. L’extinction de l’instance sans jugement au fond

Le tribunal a dit que « l’instance sera retirée du rang des affaires en cours ». Cette formule traduit l’effet extinctif du désistement sur le rapport d’instance. Le lien processuel unissant les parties devant la juridiction est anéanti sans que le juge ait statué sur le bien-fondé de la prétention.

Le désistement d’instance se distingue du désistement d’action en ce qu’il préserve le droit substantiel du demandeur. La demanderesse conserve théoriquement la faculté de réintroduire une action identique, sous réserve des règles de prescription. Cette distinction fondamentale explique que le législateur ait encadré le désistement d’instance de conditions moins strictes que celles applicables à la renonciation au droit d’agir.

L’extinction de l’instance emporte des conséquences sur les actes de procédure accomplis. Conformément à l’article 398 du code de procédure civile, le désistement emporte extinction de l’instance mais n’efface pas les actes accomplis antérieurement. Les preuves rassemblées, les expertises ordonnées et les auditions réalisées demeurent acquises aux parties et pourront être réutilisées dans une instance ultérieure.

B. La charge des dépens incombant au demandeur désistant

Le tribunal a statué sur les dépens en disposant qu’ils « seront supportés par le demandeur ». Cette solution correspond à l’application de l’article 399 du code de procédure civile qui met les frais de l’instance à la charge de la partie qui se désiste, sauf convention contraire des parties.

La mention expresse des « frais d’huissier » dans le dispositif mérite attention. Elle vise vraisemblablement les frais de signification de l’acte introductif d’instance ou d’autres actes de procédure ayant nécessité l’intervention d’un commissaire de justice. Ces frais font partie des dépens énumérés à l’article 695 du code de procédure civile.

La condamnation aux dépens présente une portée limitée par l’aide juridictionnelle partielle dont bénéficie la demanderesse. L’aide juridictionnelle emporte dispense totale ou partielle du paiement des dépens selon les modalités fixées par la décision d’admission. Le tribunal n’a pas précisé l’articulation entre la condamnation aux dépens et le bénéfice de l’aide juridictionnelle, question qui relèvera de l’exécution de la décision.

La décision commentée constitue une application classique du régime du désistement d’instance accepté. Elle illustre la souplesse procédurale offerte aux parties pour mettre fin à un litige sans obtenir de décision au fond. La durée exceptionnelle de sept années entre l’introduction de l’instance et le désistement interroge sur les raisons ayant conduit à cette issue, sans que la décision n’apporte d’éclairage sur ce point. Cette durée rappelle les difficultés que peuvent rencontrer les justiciables dans le traitement de leur contentieux devant les juridictions sociales.

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Hassan KOHEN
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