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Le calcul des droits à pension de retraite constitue une opération complexe, tributaire des informations détenues par les organismes gestionnaires. La question de la responsabilité de ces organismes en cas d’erreur ou de retard dans la liquidation des droits soulève des difficultés particulières, à la frontière du droit de la sécurité sociale et de la responsabilité civile.
Un assuré s’est vu notifier, le 16 mars 2022, l’attribution de sa retraite personnelle au titre de l’inaptitude au travail pour un montant de 233,73 euros mensuels, calculé sur la base de 65 trimestres validés. Contestant ce calcul, il a fait valoir que des trimestres correspondant à des périodes d’invalidité entre 1998 et 2021 n’avaient pas été pris en compte. Le 5 juillet 2022, la caisse a procédé à une première rectification portant le montant à 568,16 euros avec 158 trimestres comptabilisés. L’assuré a maintenu sa contestation, estimant devoir bénéficier de 167 trimestres. Après saisine de la commission de recours amiable et du médiateur de l’assurance retraite, la caisse a finalement régularisé la situation en janvier puis avril 2025, accordant le minimum contributif.
L’assuré avait saisi le Tribunal judiciaire de Paris par requête du 27 juin 2023 aux fins de contester la décision implicite de rejet de la commission de recours amiable. En première instance, il sollicitait la condamnation de la caisse au versement de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral, estimant que la résistance abusive de l’organisme lui avait causé un « désarroi total ». La caisse soutenait n’avoir commis aucune faute, le relevé de carrière faisant foi jusqu’à preuve du contraire et les retards s’expliquant par l’absence de transmission des justificatifs nécessaires.
La question posée au tribunal était de déterminer si une caisse de retraite engage sa responsabilité civile lorsque la régularisation du montant d’une pension intervient tardivement, après plusieurs réclamations de l’assuré.
Par jugement du 18 juin 2025, le Tribunal judiciaire de Paris a débouté l’assuré de l’ensemble de ses demandes. Il a considéré qu’aucune faute ne pouvait être retenue à l’encontre de la caisse, celle-ci justifiant avoir répondu aux sollicitations et procédé aux régularisations nécessaires « dès qu’elle a eu les éléments en sa possession lui permettant de le faire ».
Cette décision invite à examiner les conditions d’engagement de la responsabilité des organismes de sécurité sociale dans le traitement des dossiers de retraite (I), avant d’analyser la portée de la solution retenue quant à l’exonération fondée sur les difficultés de transmission d’informations (II).
I. L’exigence d’une faute caractérisée dans le traitement des dossiers de retraite
Le tribunal rappelle le fondement de droit commun applicable à la demande indemnitaire (A), puis procède à une appréciation circonstanciée du comportement de la caisse (B).
A. Le rappel du fondement de responsabilité de droit commun
Le tribunal fonde son analyse sur l’article 1240 du Code civil, aux termes duquel « tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un préjudice oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ». Cette référence au droit commun de la responsabilité délictuelle mérite attention. Les organismes de sécurité sociale, bien que soumis à un régime juridique spécifique, n’échappent pas aux principes généraux de la responsabilité civile lorsqu’un assuré invoque un préjudice distinct du simple refus de prestations.
Le tribunal énonce avec clarté les trois conditions cumulatives requises : « il appartient en conséquence à celui qui sollicite une indemnisation d’apporter la preuve d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité entre la faute et le préjudice ». Cette formulation traditionnelle place la charge de la preuve sur le demandeur, conformément à l’article 9 du Code de procédure civile. L’assuré devait donc démontrer non seulement l’existence d’un comportement fautif, mais également le caractère certain du préjudice allégué et le lien direct entre les deux.
La notion de « résistance abusive » invoquée par le demandeur suppose davantage qu’un simple retard ou qu’une erreur initiale. Elle implique une opposition délibérée et injustifiée aux demandes légitimes de l’assuré. Or, comme le relève implicitement le tribunal, la complexité inhérente au calcul des droits à retraite et la multiplicité des intervenants rendent cette qualification particulièrement difficile à établir.
B. L’appréciation concrète du comportement de la caisse
Le tribunal procède à un examen minutieux de la chronologie des échanges entre l’assuré et la caisse. Il relève que cette dernière « justifie avoir répondu à ses sollicitations et avoir procédé aux régularisations nécessaires dès qu’elle a eu les éléments en sa possession lui permettant de le faire ». Cette appréciation in concreto du comportement de l’organisme constitue le cœur de la motivation.
La décision souligne plusieurs éléments factuels déterminants. La caisse a informé l’assuré, dès le 11 mai 2022, qu’elle « ne pouvait reporter des trimestres d’invalidité sur sa carrière sans production d’un justificatif » des organismes compétents. Elle a ensuite procédé à des rectifications successives au fur et à mesure de l’obtention des informations nécessaires. Le tribunal retient que « l’instruction du dossier a été ralentie par le rétablissement des cotisations du régime spécial vers le régime général et notamment de l’absence de communication de la part du Service des Retraites de l’Etat ».
Cette analyse révèle une conception exigeante de la faute des organismes de sécurité sociale. Le simple fait que la régularisation ait nécessité près de trois ans ne suffit pas à caractériser un comportement fautif. Le tribunal distingue ainsi le retard, même prolongé, de la faute proprement dite.
II. L’exonération fondée sur les contraintes de traitement des informations
La décision met en lumière le rôle central des tiers dans la constitution des droits à retraite (A) et consacre une approche pragmatique des obligations des caisses (B).
A. La dépendance des caisses à l’égard des informations transmises par les tiers
Le tribunal relève que « la [caisse] justifie du fait que l’instruction du dossier de [l’assuré] a été ralentie par le rétablissement des cotisations du régime spécial vers le régime général ». Cette observation met en évidence une réalité structurelle du système de retraite français. Les caisses ne sont pas les productrices des informations relatives aux carrières des assurés. Elles dépendent des déclarations des employeurs, des autres régimes et des organismes gestionnaires des périodes assimilées.
La caisse avait d’ailleurs souligné en défense qu’elle n’était « pas responsable des déclarations des employeurs et des organismes tiers ». Le tribunal accueille implicitement cet argument en relevant les « erreurs de mises à jour sur le document info retraite » et « l’absence de transmission de justificatifs nécessaires ». Cette position s’inscrit dans une jurisprudence constante reconnaissant que les organismes de sécurité sociale ne peuvent être tenus responsables des carences des tiers déclarants.
La décision souligne également que l’assuré lui-même a contribué aux difficultés en attendant « le moment de sa retraite pour vérifier l’ensemble des éléments relatifs à sa carrière ». Cette observation, bien que formulée par la caisse, n’est pas reprise expressément par le tribunal dans sa motivation. Elle suggère néanmoins qu’une vigilance plus précoce de l’assuré aurait pu permettre une régularisation anticipée.
B. La consécration d’une obligation de moyens renforcée
La solution retenue par le Tribunal judiciaire de Paris dessine les contours d’une obligation de moyens à la charge des caisses de retraite. L’organisme n’est pas tenu de garantir l’exactitude immédiate du calcul des droits, mais doit procéder aux vérifications et régularisations nécessaires lorsqu’il dispose des éléments suffisants. Le tribunal note que la caisse a finalement « régularisé le montant de pension de retraite [de l’assuré] en prenant en considération tous ses trimestres validés et en lui accordant le versement du montant minimum contributif ».
Cette approche pragmatique tient compte de la complexité du système de retraite et de la multiplicité des régimes. Elle préserve toutefois les droits des assurés puisque ceux-ci obtiennent in fine la régularisation de leur situation. La formule employée par le tribunal mérite attention : « si le Tribunal entend les difficultés que cette situation a pu engendrer pour [l’assuré], il n’en demeure pas moins qu’aucune faute ne peut être retenue à l’encontre de la Caisse ». Cette reconnaissance des difficultés subies, sans pour autant caractériser une faute, illustre la distinction entre le préjudice ressenti et le préjudice juridiquement réparable.
La portée de cette décision apparaît significative pour le contentieux des retraites. Elle confirme que les assurés ne peuvent obtenir réparation du seul fait d’un retard de régularisation, dès lors que l’organisme a agi avec diligence au regard des informations dont il disposait. Cette solution préserve un équilibre entre la protection des assurés et les contraintes opérationnelles des caisses, tout en incitant les intéressés à vérifier régulièrement leur relevé de carrière plutôt qu’à attendre le moment de la liquidation.