Tribunal judiciaire de Paris, le 18 juin 2025, n°23/08306

Je vais lire cette décision pour en rédiger un commentaire d’arrêt conforme à la méthodologie requise.

Par ordonnance du 18 juin 2025, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris a prononcé un sursis à statuer et ordonné le retrait du rôle d’une affaire en garantie, dans l’attente de l’issue d’une procédure d’appel engagée dans l’instance principale. Cette décision, rendue en matière de gestion des procédures connexes, illustre l’articulation entre le sursis à statuer et le retrait du rôle comme instruments de bonne administration de la justice.

Une société avait assigné une association en garantie devant le tribunal judiciaire de Paris par acte du 21 juin 2023. Cette action s’inscrivait dans le prolongement d’un litige principal opposant un particulier et une société de gestion collective à la société demanderesse en garantie. Par jugement du 5 mars 2025, le tribunal avait débouté les demandeurs principaux de l’ensemble de leurs prétentions dirigées contre cette société. Un appel avait été interjeté contre cette décision.

En première instance, l’action en garantie avait été engagée simultanément à la procédure principale. Le juge de la mise en état, chargé de l’instruction de l’affaire depuis l’audience du 22 juin 2023, a sollicité l’avis des parties sur l’opportunité d’un sursis à statuer et d’un retrait du rôle. La société demanderesse a conclu en ce sens par conclusions du 29 avril 2025. L’association défenderesse a indiqué par message RPVA du 3 juin 2025 ne pas s’opposer à ces mesures.

La société demanderesse soutenait qu’un sursis à statuer s’imposait dans l’attente de l’arrêt d’appel, l’action en garantie étant dépourvue d’objet tant que la responsabilité du garanti n’était pas définitivement établie. L’association défenderesse ne s’opposait pas à cette demande.

Le juge de la mise en état était donc saisi de la question suivante : le juge peut-il, d’office ou à la demande des parties, ordonner cumulativement un sursis à statuer et un retrait du rôle lorsque l’issue d’une instance en garantie dépend d’une décision à intervenir dans l’instance principale frappée d’appel ?

Le juge de la mise en état répond par l’affirmative. Il ordonne un sursis à statuer « jusqu’à l’arrêt de la cour d’appel de Paris statuant dans l’instance » principale et prononce le retrait de l’affaire du rôle. Il fonde sa décision sur les articles 378 et 382 du code de procédure civile, retenant que cette mesure relève d’une « bonne administration de la justice » compte tenu de la durée prévisible de la procédure d’appel.

Cette ordonnance consacre l’utilisation combinée du sursis à statuer et du retrait du rôle comme technique de régulation des procédures connexes (I), tout en soulevant la question des conditions et des limites de cette articulation (II).

I. La consécration d’une technique combinée de régulation procédurale

A. Le sursis à statuer fondé sur la bonne administration de la justice

Le juge de la mise en état vise l’article 378 du code de procédure civile, aux termes duquel « la décision de sursis suspend le cours de l’instance pour le temps ou jusqu’à la survenance de l’événement qu’elle détermine ». Il retient que « les parties s’accordent à considérer le sursis à statuer comme d’une bonne administration de la justice compte tenu de l’appel interjeté dans l’instance principale mettant en cause la responsabilité » du garanti.

Cette motivation s’inscrit dans une jurisprudence constante reconnaissant au juge un pouvoir discrétionnaire d’ordonner le sursis à statuer pour des motifs de bonne administration de la justice, distinct du sursis obligatoire prévu par certains textes. Le critère déterminant réside dans le lien de dépendance entre les deux instances. L’action en garantie n’a d’utilité que si le garanti est effectivement condamné dans l’instance principale. L’appel interjeté contre le jugement de débouté crée une incertitude sur l’existence même du préjudice à garantir, justifiant la suspension de l’instance accessoire.

Le juge ne se contente pas de constater l’accord des parties. Il procède à une appréciation objective de l’opportunité du sursis en relevant le lien de causalité entre l’issue de l’appel et l’utilité de l’action en garantie. Cette approche témoigne de la fonction régulatrice du sursis à statuer, qui vise à éviter des décisions contradictoires et à préserver les droits des parties en évitant une instruction inutile.

B. Le retrait du rôle comme complément logique du sursis

Le juge ordonne également le retrait de l’affaire du rôle sur le fondement de l’article 382 du code de procédure civile. Il relève que les parties « s’accordent également sur l’opportunité d’un retrait du rôle dans l’attente d’une décision définitive à intervenir dans cette instance principale, compte tenu de la durée prévisible de la procédure d’appel ».

Le retrait du rôle constitue une mesure d’administration judiciaire distincte du sursis. Tandis que le sursis suspend le cours de l’instance, le retrait la fait disparaître du rôle de la juridiction sans l’éteindre. L’affaire peut être réinscrite à la demande de l’une des parties. La combinaison des deux mesures présente un intérêt pratique évident : elle évite l’encombrement du rôle par une affaire dont l’instruction est suspendue pour une durée indéterminée.

Le juge justifie cette mesure par « la durée prévisible de la procédure d’appel ». Cette motivation révèle une prise en compte pragmatique des contraintes du fonctionnement juridictionnel. Une affaire sursise mais maintenue au rôle mobilise des ressources de suivi et de gestion sans qu’aucun acte de procédure ne puisse être accompli. Le retrait du rôle libère la juridiction de cette charge tout en préservant les droits des parties de reprendre l’instance à l’issue de l’appel.

II. Les conditions et limites de l’articulation entre sursis et retrait

A. L’exigence d’un accord des parties pour le retrait du rôle

Le juge applique strictement l’article 382 du code de procédure civile, qui subordonne le retrait du rôle à une demande écrite et motivée de toutes les parties. Il constate que la société demanderesse a conclu en ce sens et que l’association défenderesse a indiqué « ne pas s’opposer » à cette mesure par message RPVA.

Cette condition constitue une garantie essentielle pour les parties. Le retrait du rôle, à la différence du sursis, fait peser sur elles la charge de la réinscription de l’affaire. Une partie qui n’aurait pas consenti au retrait pourrait se trouver dans une situation défavorable si son adversaire tardait à solliciter la réinscription ou si des délais de péremption risquaient de s’appliquer. L’exigence d’un accord unanime préserve ainsi l’égalité des armes.

La formulation retenue par l’association défenderesse mérite attention. Elle indique ne pas s’opposer à la demande plutôt que d’y consentir expressément. Le juge assimile cette absence d’opposition à un accord, ce qui paraît conforme à l’esprit du texte. L’article 382 exige une demande écrite et motivée, non un consentement formel de chaque partie. Dès lors que toutes les parties manifestent leur volonté de voir l’affaire retirée du rôle, la condition est remplie.

B. La portée limitée de la décision et la réserve des dépens

Le juge précise que « les dépens seront réservés, la décision ne mettant pas fin à l’instance ». Cette réserve traduit le caractère provisoire et non décisoire de l’ordonnance rendue. Le sursis à statuer et le retrait du rôle constituent des mesures d’attente qui ne préjugent pas de l’issue du litige.

Cette précision revêt une importance pratique considérable. La partie qui obtiendrait gain de cause au terme de l’instance pourrait solliciter la condamnation de son adversaire aux dépens de l’ensemble de la procédure, y compris ceux exposés avant le sursis. La réserve des dépens préserve ainsi les droits de la partie qui triomphera in fine.

L’ordonnance est qualifiée de « susceptible d’appel dans les conditions de l’article 380 du code de procédure civile ». Cette voie de recours permet aux parties de contester l’opportunité du sursis devant la cour d’appel. Toutefois, en l’espèce, l’accord des parties sur les mesures prononcées rend un tel recours improbable. La décision du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris du 18 juin 2025 illustre ainsi une utilisation consensuelle et raisonnée des mécanismes de régulation procédurale, au service d’une justice efficace et respectueuse des droits des parties.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture