Tribunal judiciaire de Paris, le 18 juin 2025, n°24/09486

Le contentieux du crédit à la consommation donne régulièrement lieu à un contrôle d’office des moyens par le juge, au bénéfice du consommateur défaillant. Le jugement rendu par le juge des contentieux de la protection du Tribunal judiciaire de Paris le 18 juin 2025 illustre cette mission protectrice dans le cadre d’une demande en paiement d’un solde débiteur de compte courant.

Par acte sous seing privé du 25 juin 2020, un particulier a ouvert un compte chèques dans les livres d’un établissement bancaire, aux droits duquel vient désormais une autre société. Le compte ayant présenté un solde débiteur, l’établissement cessionnaire a fait assigner le titulaire du compte par acte de commissaire de justice du 27 septembre 2024, remis à étude, aux fins d’obtenir sa condamnation au paiement de la somme de 53 027,53 euros, outre intérêts et frais. À l’audience du 9 avril 2025, le défendeur, régulièrement avisé, n’a pas comparu. Le juge a relevé d’office plusieurs moyens, parmi lesquels la forclusion.

La banque, demanderesse à l’instance, sollicitait la condamnation du titulaire du compte au paiement du solde débiteur, arguant de la défaillance de ce dernier. Le défendeur n’ayant pas comparu, aucune prétention adverse n’a été formulée.

La question posée au juge était de déterminer si l’action en paiement du solde débiteur d’un compte courant, engagée plus de deux ans après l’ouverture de ce compte, pouvait être déclarée recevable en l’absence de production des relevés permettant de vérifier le point de départ du délai de forclusion.

Le juge des contentieux de la protection a rejeté l’ensemble des demandes de la banque. Il a retenu que l’établissement ne produisait les relevés de compte qu’à compter du 1er mars 2023, alors que le compte avait été ouvert le 25 juin 2020, soit plus de deux ans auparavant. Il en a déduit qu’il était « impossible de vérifier l’éventuelle forclusion survenue antérieurement » et que « la forclusion doit pouvoir faire l’objet d’une vérification sur cette période ».

Cette décision met en lumière l’articulation entre le pouvoir du juge de relever d’office les moyens tirés du droit de la consommation et la charge de la preuve pesant sur le prêteur (I). Elle invite à s’interroger sur les conséquences pratiques de cette exigence probatoire pour les établissements de crédit (II).

I. Le relevé d’office de la forclusion, expression du pouvoir protecteur du juge

Le juge des contentieux de la protection dispose d’une prérogative remarquable lui permettant de soulever d’office les moyens tirés du code de la consommation. L’exercice de ce pouvoir, subordonné au respect du contradictoire, s’impose même en l’absence du défendeur (A). En l’espèce, c’est la forclusion biennale qui a été relevée d’office, dont le régime mérite d’être précisé (B).

A. L’office du juge face au non-comparant

L’article R632-1 du code de la consommation autorise le juge à relever d’office « tous les moyens tirés de l’application des dispositions du code de la consommation ». Cette faculté, devenue un devoir selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation, traduit la volonté du législateur de compenser le déséquilibre structurel entre professionnel et consommateur. Le jugement commenté précise que « la forclusion, la nullité du contrat, le caractère abusif de la clause de déchéance du terme, la déchéance du droit aux intérêts contractuels et légaux » ont été mis dans le débat d’office.

L’article 472 du code de procédure civile rappelle que, lorsque le défendeur ne comparaît pas, le juge « ne fait droit à la demande que s’il l’estime régulière, recevable et bien fondée ». Cette disposition conjuguée au pouvoir de relevé d’office crée une protection effective du consommateur absent. Le juge ne saurait se borner à entériner les prétentions du demandeur ; il doit vérifier la conformité de la demande aux règles d’ordre public de protection.

B. Le régime de la forclusion biennale

L’article R312-35 du code de la consommation soumet les actions en paiement nées de la défaillance de l’emprunteur à un délai de forclusion de deux ans. S’agissant d’un découvert en compte, le point de départ de ce délai est fixé au « dépassement du solde du compte ou de l’autorisation de découvert consentie, non-régularisé à l’issue du délai de 3 mois ». La forclusion se distingue de la prescription en ce qu’elle éteint le droit d’agir lui-même, non seulement la possibilité de contraindre au paiement.

Le juge parisien applique ce texte avec rigueur. Il relève que le compte a été ouvert le 25 juin 2020, soit plus de deux ans avant la date du premier relevé produit. Cette chronologie fait naître un doute raisonnable sur l’existence d’un dépassement antérieur non régularisé, susceptible d’avoir fait courir le délai de forclusion avant même la période documentée. Le juge en déduit que « la forclusion doit pouvoir faire l’objet d’une vérification sur cette période ».

II. La charge de la preuve de l’absence de forclusion, obstacle dirimant à l’action du prêteur

L’insuffisance des pièces produites par l’établissement de crédit a conduit au rejet de l’intégralité de ses demandes (A). Cette solution, rigoureuse, appelle une réflexion sur ses implications pratiques et sur la portée de la décision (B).

A. L’insuffisance probatoire sanctionnée

Le juge constate que la banque ne produit « les relevés de compte chèques qu’à compter du 01/03/2023 ». Or, le compte ayant été ouvert près de trois ans auparavant, cette lacune empêche toute vérification du respect du délai de forclusion. Le juge en tire une conséquence radicale : « la demande au titre du remboursement du solde débiteur sera rejetée ».

Cette motivation repose sur une application classique des règles de la charge de la preuve. Il appartient au demandeur d’établir que son action est recevable, ce qui implique de démontrer l’absence de forclusion. Dès lors que les relevés antérieurs font défaut, le juge se trouve dans l’impossibilité de vérifier si un dépassement non régularisé n’est pas survenu avant le 1er mars 2021, date limite pour que l’action introduite le 27 septembre 2024 soit recevable. Le doute profite au consommateur.

B. La portée pratique et juridique de la décision

La solution retenue adresse un avertissement clair aux établissements de crédit. Ceux-ci doivent conserver et produire l’intégralité des relevés de compte depuis l’ouverture, faute de quoi leur action en recouvrement risque d’être rejetée. Cette exigence s’inscrit dans la logique protectrice du droit de la consommation, mais elle impose une charge documentaire significative.

Sur le plan de la portée juridique, ce jugement de première instance ne constitue pas un arrêt de principe. Il s’agit d’une décision d’espèce, dont la solution est étroitement liée aux circonstances de fait, notamment à l’absence de production des relevés antérieurs. La Cour de cassation a toutefois déjà eu l’occasion de rappeler que le prêteur supporte la charge de prouver le point de départ du délai de forclusion. Cette jurisprudence trouve ici une application logique. L’avenir dira si les juridictions du fond suivront cette approche exigeante, qui pourrait inciter les établissements de crédit à une plus grande diligence dans la constitution de leurs dossiers contentieux.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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