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La protection du locataire défaillant constitue un enjeu majeur du droit du bail d’habitation. Le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Paris, par ordonnance de référé du 18 juin 2025, illustre cette tension entre les prérogatives du bailleur et la sauvegarde du droit au logement.
Une société civile immobilière avait consenti un bail d’habitation par acte à effet au 30 avril 2019, portant sur un appartement situé dans le vingtième arrondissement parisien. Le loyer mensuel s’élevait à 849 euros, outre 45 euros de provision sur charges. La locataire ayant accumulé des impayés, un commandement de payer visant la clause résolutoire lui fut délivré le 7 octobre 2024 pour un arriéré de 3 308,97 euros. La bailleresse avait préalablement saisi la commission de coordination des actions de prévention des expulsions le 14 octobre 2024.
Par acte du 19 décembre 2024, la société bailleresse assigna la locataire devant le juge des contentieux de la protection statuant en référé. Elle sollicitait le constat de l’acquisition de la clause résolutoire, l’expulsion de l’occupante, sa condamnation au paiement d’une provision de 5 317,33 euros et d’une indemnité d’occupation. L’assignation fut dénoncée au préfet de Paris le 31 décembre 2024. La locataire comparut et sollicita des délais de paiement avec suspension des effets de la clause résolutoire, exposant disposer de revenus mensuels de 2 600 euros et proposant des mensualités de 138 euros.
Le juge était confronté à la question de savoir si, après avoir constaté l’acquisition de la clause résolutoire, il pouvait suspendre ses effets et accorder des délais de paiement à une locataire défaillante justifiant d’une capacité de remboursement.
Le juge déclara la bailleresse recevable en son action, constata la résiliation du bail à compter du 8 décembre 2024, mais suspendit les effets de la clause résolutoire. Il condamna la locataire au paiement provisionnel de 4 748,67 euros et l’autorisa à s’acquitter de sa dette par 34 mensualités de 138 euros, outre le loyer courant.
Cette décision met en lumière le formalisme préalable imposé au bailleur professionnel (I) avant d’examiner le mécanisme de suspension des effets de la clause résolutoire (II).
I. Le contrôle rigoureux des conditions de recevabilité de l’action
Le juge vérifie avec attention la qualité de bailleur professionnel emportant des obligations renforcées (A) puis examine le respect du délai légal d’acquisition de la clause résolutoire (B).
A. L’exigence de saisine préalable de la commission de prévention des expulsions
L’article 24 II de la loi du 6 juillet 1989 impose aux bailleurs personnes morales, à l’exclusion des sociétés civiles familiales, une obligation procédurale spécifique. Le juge relève que « les bailleurs personnes morales autres qu’une société civile constituée exclusivement entre parents et alliés jusqu’au 4ème degré inclus, ne peuvent faire délivrer, sous peine d’irrecevabilité de la demande, une assignation aux fins de constat de la résiliation du bail avant expiration d’un délai de deux mois suivant la saisine de la CCAPEX ».
Cette exigence procédurale traduit la volonté du législateur de favoriser le traitement préventif des impayés locatifs. La saisine de la commission permet d’identifier les situations de fragilité sociale et d’orienter les locataires vers les dispositifs d’aide adaptés. Le bailleur professionnel se trouve ainsi soumis à un formalisme plus contraignant que le bailleur particulier.
En l’espèce, la société bailleresse justifiait avoir saisi la commission le 14 octobre 2024 pour signaler les impayés. L’assignation n’ayant été délivrée que le 19 décembre 2024, le délai de deux mois était respecté. Le juge vérifie également que l’assignation a été « dénoncée au préfet de Paris six semaines avant l’audience en application de l’article 24 III de la loi ». Ce double contrôle garantit l’information des autorités administratives compétentes pour accompagner le locataire en difficulté.
B. L’application du délai de deux mois aux baux antérieurs à la réforme de 2023
La détermination du délai d’acquisition de la clause résolutoire soulève une difficulté d’application de la loi dans le temps. La loi du 27 juillet 2023 a porté ce délai de deux mois à six semaines. Le juge se réfère expressément à « l’avis rendu le 13/06/2024 par la Cour de cassation » pour trancher cette question.
La haute juridiction a considéré que « la loi 2023-668 du 27/07/2023 ne déroge pas aux dispositions de l’article 2 du code civil, selon lequel une loi ne dispose que pour l’avenir et n’a pas d’effet rétroactif ». Le délai de six semaines ne s’applique donc pas aux baux en cours à la date d’entrée en vigueur de la réforme. Le juge en déduit que « si le bail a été renouvelé ou tacitement reconduit à partir du 29/07/2023, la clause résolutoire prévoit alors un délai de 6 semaines ».
Le bail litigieux ayant pris effet le 30 avril 2019 pour une durée de six ans, il n’avait pas encore été renouvelé lors de la délivrance du commandement le 7 octobre 2024. Le délai applicable demeurait donc celui de deux mois. Le juge constate que « Mme [Y] [B] n’ayant pas réglé la dette dans les six semaines du commandement, le bail s’est trouvé résilié de plein droit au 07/12/2024 ». Cette formulation laisse apparaître une légère approximation puisque le délai applicable était bien de deux mois, mais la résiliation était effectivement acquise à cette date.
II. L’aménagement judiciaire des effets de la clause résolutoire
Le juge dispose d’un pouvoir de suspension des effets de la clause résolutoire subordonné à la capacité de remboursement du locataire (A), tout en préservant les droits du bailleur par un dispositif conditionnel (B).
A. La suspension conditionnée à la capacité d’apurement de la dette
Le juge exerce le pouvoir que lui confère l’article 24 de la loi du 6 juillet 1989 de suspendre les effets de la clause résolutoire acquise. Cette faculté n’est pas discrétionnaire : elle suppose que le locataire démontre une capacité réelle d’apurement de sa dette. Le juge relève que « Mme [Y] [B] dispose de revenus de 2600 euros et apporte une aide à sa famille de 500 euros par mois ». Il note également qu’elle « a effectué un paiement en plus du loyer courant d’avril 2025 ».
L’examen de la situation du locataire s’effectue au regard du diagnostic social reçu au greffe le jour de l’audience, « dont les termes ont été communiqués à l’audience au bailleur ». Ce document permet au juge d’apprécier objectivement les ressources et charges du ménage. La locataire proposait des mensualités de 138 euros, montant qui fut retenu par le juge.
Le calcul des délais de paiement obéit à une logique arithmétique : la dette de 4 748,67 euros divisée en 34 mensualités de 138 euros permet un apurement sur près de trois ans. Le juge précise que « la 35ème étant majorée du solde de la dette en principal, intérêts ». Cette durée demeure conforme au plafond légal de trois années prévu par l’article 24 V de la loi du 6 juillet 1989.
B. Le maintien des prérogatives du bailleur en cas de défaillance
Le dispositif judiciaire préserve un équilibre entre les intérêts des parties. Le juge « rappelle qu’à défaut d’un seul versement à son échéance de la mensualité ou du loyer courant, la totalité de la dette deviendra immédiatement exigible et la résiliation reprendra tous ses effets ». Cette clause de déchéance du terme constitue la contrepartie nécessaire de la faveur accordée au locataire.
Le juge fixe également le montant de l’indemnité d’occupation due en cas d’échec du plan : elle sera « égale au montant des loyers indexés et des charges révisées, qui auraient été payés si le bail s’était poursuivi ». Cette indemnité compensatoire permet au bailleur de ne pas subir de préjudice financier du fait du maintien dans les lieux d’un occupant sans titre.
L’expulsion pourra être ordonnée « avec le concours de la force publique le cas échéant, sous réserve des dispositions de l’article L412-1 du Code des Procédures Civiles d’Exécution ». Cette réserve vise la trêve hivernale protégeant les occupants du 1er novembre au 31 mars. Le juge refuse en revanche de prononcer une astreinte, estimant qu’« aucune circonstance ne justifie pour l’avenir en ce cas de prononcer une astreinte ». Il rejette également la demande d’indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile, jugeant équitable de ne pas faire supporter au locataire des frais supplémentaires.
Cette ordonnance illustre la recherche d’un point d’équilibre entre l’effectivité du droit de propriété du bailleur et la protection du locataire de bonne foi. Elle confirme que le juge des contentieux de la protection dispose d’outils efficaces pour prévenir les expulsions tout en garantissant au créancier le recouvrement de sa créance.