Tribunal judiciaire de Paris, le 18 juin 2025, n°25/80184

Je vais d’abord lire intégralement la décision que vous m’avez soumise, puis rédiger le commentaire d’arrêt demandé.

Par un jugement rendu le 18 juin 2025, le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Paris s’est prononcé sur la contestation de saisies administratives à tiers détenteur pratiquées en recouvrement de forfaits de post-stationnement majorés. Cette décision illustre les limites des pouvoirs du juge de l’exécution face aux titres exécutoires émis par l’administration fiscale.

Une automobiliste, titulaire d’une carte mobilité inclusion mention stationnement lui conférant en principe la gratuité du stationnement, a fait l’objet de trois saisies administratives à tiers détenteur pratiquées entre juillet et septembre 2024. Ces saisies, notifiées à ses établissements bancaires, visaient au recouvrement de forfaits de post-stationnement majorés pour un montant total de plusieurs milliers d’euros. Elle a contesté ces mesures d’exécution forcée en invoquant notamment l’incompétence du signataire des actes, le défaut de motivation et surtout l’absence de bien-fondé des créances au regard de sa situation de bénéficiaire de la gratuité du stationnement.

En première instance, le comptable public avait rejeté les réclamations préalables de la requérante. Celle-ci a alors saisi le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Paris par assignations des 13 et 16 janvier 2025, sollicitant l’annulation des saisies, sa décharge de l’obligation de payer et subsidiairement une remise totale de dette.

La question posée au juge de l’exécution était de déterminer si celui-ci pouvait examiner le bien-fondé d’une créance résultant de forfaits de post-stationnement majorés à l’occasion de la contestation d’une saisie administrative à tiers détenteur.

Le juge de l’exécution déclare les contestations recevables mais rejette l’ensemble des demandes. Il retient que « la contestation portant sur le bien-fondé des condamnations à paiement mises à la charge de [la requérante], motif pris de ce qu’elle bénéficie d’une carte lui octroyant la gratuité du stationnement, tend à remettre en cause le bien fondé des titres exécutoires délivrés par l’autorité administrative et n’entre pas dans les pouvoirs du juge de l’exécution ».

Cette décision mérite analyse tant au regard de la délimitation des compétences du juge de l’exécution en matière de créances publiques (I) que des conséquences pratiques pour les justiciables confrontés à des erreurs administratives (II).

I. La stricte délimitation des compétences du juge de l’exécution en matière de créances publiques

Le jugement commenté rappelle avec fermeté le cantonnement du contrôle juridictionnel aux aspects formels de la procédure de recouvrement (A), excluant toute appréciation du bien-fondé de la créance (B).

A. Un contrôle limité à la régularité formelle des actes de poursuite

Le juge de l’exécution fonde sa compétence sur l’article L. 281 du livre des procédures fiscales. Ce texte opère une distinction nette entre les contestations relatives à « la régularité en la forme de l’acte » et celles portant sur « l’obligation au paiement ». Seules les premières relèvent du juge de l’exécution pour les amendes et condamnations pécuniaires.

En l’espèce, la juridiction examine minutieusement les griefs de forme soulevés par la requérante. Elle constate que les saisies « comportent la signature de [la comptable publique] par délégation » et que cette délégation est régulièrement justifiée. Elle relève également que les actes « mentionnent, pour chaque titre, le numéro du titre exécutoire, la nature et la date de la décision, ce qui permet à la débitrice de connaître l’origine de la créance ».

Ce contrôle formel apparaît exhaustif. Le juge vérifie la compétence du signataire, la motivation de l’acte et l’information du débiteur. La production d’un bordereau de situation détaillant « la date de l’infraction, la date et les références du titre, l’immatriculation du véhicule, le montant de la condamnation » atteste du respect des exigences procédurales.

B. L’exclusion de principe du contrôle du bien-fondé de la créance

Le juge énonce clairement que « les contestations relatives au recouvrement ne peuvent pas remettre en cause le bien-fondé de la créance ». Cette règle, inscrite à l’article L. 281 du livre des procédures fiscales, constitue le pivot de la décision.

La requérante invoquait pourtant un argument substantiel. Elle soutenait détenir une carte mobilité inclusion lui octroyant la gratuité du stationnement. Si cette affirmation s’avérait exacte, les forfaits auraient été émis à tort. Le juge reconnaît d’ailleurs implicitement la pertinence potentielle de cet argument en relevant qu’elle « ne conteste pas l’existence des titres exécutoires et des avis envoyés par lettre simple, mais soutient qu’étant titulaire d’une carte mobilité inclusion, elle bénéficie de la gratuité du stationnement ».

Cette fin de non-recevoir découle de la nature même du contentieux de l’exécution. Le juge de l’exécution n’est pas le juge du titre. Il contrôle les conditions de mise en œuvre de l’exécution forcée, non la validité de la créance qui la fonde.

La décision illustre ainsi la séparation fonctionnelle entre le contentieux du recouvrement et celui du titre exécutoire. Cette distinction, cohérente sur le plan théorique, produit des effets discutables au regard de l’effectivité du droit au recours.

II. Les implications pratiques d’une compétence fragmentée pour le justiciable

La décision révèle les difficultés nées de l’éclatement du contentieux des forfaits de post-stationnement (A) et soulève des interrogations quant à l’effectivité de la protection juridictionnelle (B).

A. Le renvoi vers le tribunal du stationnement payant

Le juge indique que « ce débat ne relève toutefois pas du juge de l’exécution » et que la requérante aurait dû saisir le tribunal du stationnement payant. Cette juridiction spécialisée, créée par la loi du 27 janvier 2014, est seule compétente pour connaître des recours contre les titres exécutoires émis en matière de forfaits de post-stationnement.

Le comptable public avait d’ailleurs proposé de « suspendre à titre exceptionnel les poursuites pendant neuf mois pour permettre au tribunal de trancher ». Cette proposition, mentionnée dans l’exposé du litige, témoigne d’une certaine conscience des difficultés pratiques engendrées par le morcellement des compétences.

La requérante « ne prétend pas avoir formé un recours devant le tribunal du stationnement payant à l’encontre des titres exécutoires servant de fondement aux SATD contestées ». Cette carence procédurale lui est fatale. Elle se trouve désormais confrontée à des saisies dont elle ne peut obtenir la mainlevée devant le juge de l’exécution, tout en devant engager une procédure distincte devant une autre juridiction.

Cette architecture contentieuse impose au justiciable une connaissance approfondie des voies de recours. Le bénéficiaire d’une carte mobilité inclusion, confronté à des forfaits qu’il estime indus, doit identifier la juridiction compétente et respecter les délais propres à chaque recours.

B. La question de l’effectivité du droit au recours

Le juge conclut que « le juge de l’exécution, qui n’a pas le pouvoir de remettre en cause le bien-fondé du titre exécutoire servant de fondement aux poursuites, ne peut pas plus en annuler les effets ». Cette formule traduit l’impuissance de la juridiction saisie face à une situation potentiellement injuste.

La requérante se trouve dans une position paradoxale. Elle dispose d’un titre administratif attestant de son droit à la gratuité du stationnement. Elle subit des saisies sur ses comptes bancaires pour des forfaits correspondant à ce même stationnement. Elle ne peut obtenir réparation devant le juge saisi car celui-ci n’a pas compétence pour apprécier le bien-fondé de la créance.

Le jugement ajoute que les demandes de décharge et de remise de dettes « se heurteraient au surplus au principe de séparation des pouvoirs ». Cette référence souligne l’impossibilité pour le juge judiciaire d’empiéter sur les prérogatives de l’administration. Le comptable public demeure seul compétent pour accorder d’éventuelles remises gracieuses.

La décision respecte scrupuleusement les règles de compétence. Elle révèle néanmoins les limites d’un système où le justiciable doit multiplier les recours devant des juridictions distinctes pour faire valoir ses droits. L’effectivité de la protection juridictionnelle suppose que le citoyen puisse accéder à un juge capable de trancher l’ensemble du litige. La fragmentation du contentieux des forfaits de post-stationnement ne satisfait qu’imparfaitement cette exigence.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture