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Le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris le 19 juin 2025 illustre la difficile position du client bancaire victime d’une escroquerie qui cherche à engager la responsabilité de son établissement teneur de compte ainsi que celle de la banque réceptrice des fonds. En l’espèce, un particulier avait effectué sept virements pour un montant total de 61 380 euros vers des comptes situés en Espagne et au Portugal, convaincu d’acquérir des actions de la Française des Jeux par l’intermédiaire d’une société qui s’est révélée frauduleuse. Ayant déposé plainte pour escroquerie, il a assigné sa banque émettrice et l’établissement portugais bénéficiaire des fonds, leur reprochant un manquement au dispositif de lutte contre le blanchiment et au devoir général de vigilance. Le demandeur soutenait que les deux banques auraient dû déceler le caractère suspect des opérations et refuser de les exécuter. La banque émettrice opposait l’absence de toute anomalie apparente et son obligation d’exécuter les ordres réguliers de son client. La banque portugaise invoquait l’application du droit de son pays et l’absence de faute démontrée. Le tribunal devait déterminer si les établissements bancaires engageaient leur responsabilité pour avoir exécuté des virements dont le donneur d’ordre prétendait qu’ils résultaient d’une escroquerie. Le jugement rejette l’ensemble des demandes au motif que les dispositions relatives à la lutte contre le blanchiment ne peuvent fonder une action en responsabilité civile et que les virements ne présentaient aucune anomalie apparente justifiant une alerte.
La décision mérite examen tant au regard du conflit de lois applicable à la banque étrangère (I) que des limites opposées à l’invocabilité des obligations de vigilance bancaire (II).
I. La détermination de la loi applicable à la responsabilité de la banque réceptrice étrangère
La question du droit applicable constitue un préalable essentiel lorsque l’action est dirigée contre un établissement bancaire situé dans un autre État membre de l’Union européenne.
A. L’application du règlement Rome II et la localisation du dommage
Le tribunal rappelle les termes de l’article 4 du règlement Rome II du 11 juillet 2007 selon lequel « la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d’un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient ». La juridiction relève que « le lieu du fait dommageable est situé au Portugal et détermine donc la loi portugaise comme étant la loi applicable dans le rapport opposant [le demandeur] à la société BANCO BPI SA ». Cette solution s’explique par le fait que les fonds ont été crédités sur un compte ouvert au Portugal auprès de cet établissement.
Le raisonnement retenu mérite attention. Le tribunal précise que « le lieu de matérialisation du dommage ne saurait être, concernant l’action dirigée contre la Banque réceptrice des fonds, le lieu de l’établissement bancaire dans lequel est ouvert le compte bancaire de la victime ». Cette position conduit à fragmenter l’appréciation du litige selon la qualité des défendeurs. La victime française se trouve contrainte de prouver une faute au regard du droit portugais alors même qu’elle agit devant une juridiction française. Le jugement applique les articles 483 et 487 du code civil portugais qui imposent au demandeur de démontrer « l’illégalité de l’acte commis, une faute, un dommage et un lien de causalité ».
B. Les conséquences probatoires de l’application du droit étranger
L’application du droit portugais emporte des conséquences pratiques considérables pour le demandeur. Le tribunal constate que « Monsieur [le demandeur] ne démontre aucune faute de la société BANCO BPI SA au regard du droit portugais ». La juridiction relève que les pièces versées aux débats par la banque portugaise « suffisent à justifier au regard du droit portugais, d’une part, la vérification par ses soins de l’identité de sa cliente […] au moment de l’ouverture du compte bancaire de cette dernière, et, d’autre part, de la résidence fiscale de sa cliente ».
Cette situation révèle la difficulté structurelle de l’action dirigée contre la banque réceptrice dans un contexte transfrontalier. Le demandeur français doit rapporter la preuve d’un manquement à des obligations définies par un droit étranger dont il n’a qu’une connaissance imparfaite. La demande de communication de pièces formulée est également écartée au motif que « seule la loi portugaise étant applicable en la matière ». La victime se heurte ainsi à un double obstacle : l’application d’un droit qu’elle maîtrise mal et l’impossibilité d’obtenir les éléments de preuve nécessaires à la démonstration de la faute alléguée.
II. L’exclusion des fondements de responsabilité invoqués contre la banque émettrice
Le demandeur invoquait successivement le dispositif de lutte contre le blanchiment et le devoir général de vigilance pour engager la responsabilité de sa propre banque.
A. L’inopposabilité du dispositif de lutte contre le blanchiment aux victimes d’escroquerie
Le tribunal adopte une position catégorique sur l’invocabilité des dispositions relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. La décision énonce que « les dispositions des articles L.561-1 et suivants du code monétaire et financier […] ont pour seul objet la protection de l’intérêt général et ne peuvent donc fonder, à les supposer violées, une dette de dommages-intérêts ». Le jugement qualifie ces textes de « règles professionnelles » ayant « pour seule finalité la détection de transactions visant à blanchir de l’argent issu d’activités criminelles ».
Cette analyse correspond à la jurisprudence établie de la Cour de cassation qui refuse de reconnaître aux victimes d’infractions le droit d’invoquer ces dispositions. Le tribunal souligne que ces règles « ont pour objet de mettre à la charge de la banque une obligation de surveillance à l’égard de son client et non un devoir de protection à son profit ». La distinction est fondamentale : l’obligation de vigilance anti-blanchiment protège l’intérêt général et non les intérêts particuliers des clients. Le demandeur ne peut donc se prévaloir d’un éventuel manquement à ces obligations pour obtenir réparation de son préjudice.
B. L’absence d’anomalie apparente excluant le devoir de vigilance du banquier
Le tribunal examine ensuite le devoir de vigilance de droit commun du banquier. Il rappelle que « le principe de la non-ingérence du banquier dans les affaires de son client cède devant son obligation de vigilance portant sur la régularité apparente du fonctionnement d’un compte ». Ce devoir trouve sa limite dans la détection « des anomalies apparentes intellectuelles ou matérielles ».
La décision procède à un examen concret des circonstances de l’espèce. Le tribunal relève que « les virements objet du litige étant parfaitement authentiques, aucune anomalie ne pouvait être liée à la domiciliation des comptes des bénéficiaires ». Il précise que « le caractère international d’un virement ne constitue nullement une quelconque anomalie en lui-même, qui plus est lorsque l’opération est réalisée au sein de l’Union Européenne ». Les montants unitaires des virements, « compris entre 1.980 euros et 14.400 euros », sont jugés « insusceptibles de présenter une quelconque anomalie apparente ». Le compte présentait une provision suffisante et le demandeur était « parfaitement libre » de disposer de ses fonds.
Le jugement conclut que la banque « simple mandataire de son client n’avait pas à contrôler l’usage de fonds dont il avait la libre disposition ». Cette formule résume la conception restrictive du devoir de vigilance : le banquier doit exécuter les ordres réguliers sans s’immiscer dans leur opportunité économique. L’obligation d’information est également écartée au motif qu’elle « porte exclusivement sur les produits et services qu’il commercialise ». Les investissements litigieux étant « totalement étrangers » à la banque qui n’agissait qu’en qualité de teneur de compte, aucun devoir d’information ne pesait sur elle. La victime d’une escroquerie supporte ainsi seule les conséquences de sa crédulité lorsque les opérations bancaires ne révèlent aucune irrégularité apparente.