Tribunal judiciaire de Paris, le 19 juin 2025, n°25/52066

L’arrêt rendu par le Tribunal judiciaire de Paris le 19 juin 2025 illustre les conditions dans lesquelles une mesure d’expertise préalablement ordonnée peut être étendue à un tiers non partie à la procédure initiale. Deux sociétés de droit français, une SARL et une SCI, avaient obtenu par ordonnance du 14 février 2025 la désignation d’un expert sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile. Elles ont ensuite assigné en référé une société d’architecture de droit belge aux fins de rendre les opérations d’expertise communes à celle-ci. La défenderesse, bien que régulièrement assignée le 19 mars 2025, n’a pas constitué avocat.

Le juge des référés devait déterminer si les conditions de l’extension d’une mesure d’expertise à un tiers étaient réunies. Plus précisément, il convenait d’apprécier l’existence d’un motif légitime justifiant l’appel de ce tiers aux opérations d’expertise au regard de sa place probable dans le litige éventuel.

Le tribunal fait droit à la demande en retenant que « les pièces versées aux débats caractérisent l’existence d’un motif légitime de rendre les opérations d’expertise communes à la partie défenderesse ». Il proroge concomitamment le délai de dépôt du rapport d’expertise au 15 mars 2027 et laisse les dépens à la charge des demanderesses. Cette décision invite à examiner les conditions de l’extension de l’expertise à un tiers (I) avant d’analyser les aménagements procéduraux qui en découlent (II).

I. Les conditions de l’extension de l’expertise à un tiers

L’extension de l’expertise ordonnée sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile suppose la caractérisation d’un motif légitime tenant à la place du tiers dans le litige potentiel (A). Cette appréciation relève du pouvoir souverain du juge des référés qui dispose d’une marge d’appréciation significative (B).

A. L’exigence d’un motif légitime tiré de la place du tiers dans le litige éventuel

Le tribunal rappelle le principe selon lequel « une ordonnance ayant désigné un expert peut être rendue commune à des tiers s’il existe un motif légitime qu’ils soient appelés aux opérations d’expertise, en considération de leur place probable dans le litige dont l’éventualité a justifié le prononcé de la mesure d’instruction ». Cette formulation reprend la jurisprudence établie de la Cour de cassation qui subordonne l’extension à la démonstration du lien entre le tiers et le litige sous-jacent.

Le motif légitime s’apprécie de manière autonome par rapport à celui qui a fondé la mesure initiale. Il ne suffit pas que l’expertise ait été valablement ordonnée ; encore faut-il établir que le tiers visé par l’extension est susceptible d’être partie au procès envisagé. En l’espèce, la qualité d’architecte de la société belge laisse présumer son implication dans un litige de nature constructive ou contractuelle. L’extension permet ainsi d’assurer le respect du contradictoire tout au long des opérations d’expertise.

B. Le pouvoir souverain d’appréciation du juge des référés

Le tribunal retient laconiquement que « les pièces versées aux débats caractérisent l’existence d’un motif légitime ». Cette motivation succincte témoigne du large pouvoir d’appréciation reconnu au juge des référés dans le cadre de l’article 145. Il n’a pas à établir la certitude de la mise en cause du tiers mais seulement la vraisemblance de sa participation au litige futur.

Cette marge d’appréciation trouve sa justification dans la finalité probatoire de l’article 145. La mesure vise à préserver des preuves avant tout procès et non à trancher le fond du litige. Le juge peut donc se satisfaire d’éléments rendant plausible l’implication du tiers sans exiger une démonstration approfondie. L’absence de constitution de la société défenderesse n’a pas fait obstacle au prononcé de la mesure, le juge statuant par ordonnance réputée contradictoire.

II. Les aménagements procéduraux consécutifs à l’extension

L’extension de l’expertise à un nouveau défendeur nécessite une adaptation du calendrier expertale (A) et emporte des conséquences sur la répartition des charges du procès qui peuvent surprendre (B).

A. La prorogation nécessaire du délai de dépôt du rapport

Le tribunal proroge le délai de dépôt du rapport au 15 mars 2027. Cette prorogation de près de deux ans témoigne de la prise en compte des contraintes pratiques engendrées par l’extension de la mesure. L’expert doit désormais intégrer un nouveau contradicteur dans ses opérations, ce qui suppose de lui laisser le temps de prendre connaissance du dossier et de formuler ses observations.

La décision précise que « dans l’hypothèse où la présente décision serait portée à la connaissance de l’expert après le dépôt de son rapport, ses dispositions seront caduques ». Cette réserve prudente anticipe le cas où l’expert aurait achevé sa mission avant d’être informé de l’extension. Elle préserve la sécurité juridique en évitant qu’un rapport déjà déposé soit remis en cause par une extension tardive. Le rejet de la demande de sommation d’assister aux rendez-vous d’expertise s’explique par la date de l’audience au regard du calendrier expertale.

B. La mise à la charge des dépens aux demanderesses

Le tribunal condamne les demanderesses aux dépens alors même qu’elles obtiennent satisfaction sur leur demande principale d’extension. Cette solution peut sembler paradoxale au regard du principe habituel selon lequel les dépens suivent la succombance. Le tribunal justifie cette imputation par le fait que la décision est rendue dans l’intérêt des demanderesses.

Cette répartition s’explique par la nature particulière de la procédure d’extension. Les demanderesses agissent dans leur propre intérêt pour sécuriser leur situation probatoire face à un éventuel procès. La société défenderesse subit l’extension sans y avoir donné lieu par un comportement fautif. Il est donc équitable que les demanderesses supportent le coût de cette initiative procédurale. Cette solution s’inscrit dans la logique de l’article 145 qui autorise des mesures avant tout procès mais en laisse la charge à celui qui les sollicite.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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