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Le contentieux de la nationalité française occupe une place singulière au confluent du droit des personnes et du droit public. La preuve de la nationalité repose sur la démonstration d’une filiation établie par des actes d’état civil dont la force probante constitue le socle de toute revendication. Le tribunal judiciaire de Paris, dans un jugement rendu le 20 juin 2025, illustre la rigueur avec laquelle les juridictions françaises apprécient la régularité des actes étrangers produits à l’appui d’une demande de reconnaissance de nationalité française.
Un individu, se disant né le 22 décembre 2002 à Madagascar, a revendiqué la nationalité française par filiation maternelle. Sa mère, née en 1971, serait elle-même française par filiation paternelle, descendant d’un aïeul né en France en 1872. Cette chaîne de filiation remonterait à un originaire du territoire de la République française tel que constitué au 28 juillet 1960, date de l’indépendance malgache.
Le demandeur avait sollicité un certificat de nationalité française auprès du tribunal judiciaire de Paris. Le 16 décembre 2020, le directeur des services de greffe judiciaires lui opposa un refus, relevant le caractère apocryphe de l’acte de naissance produit. Un recours hiérarchique fut adressé au ministère de la justice le 7 février 2022. L’intéressé assigna ensuite le procureur de la République le 26 janvier 2023. Le ministère public forma une demande reconventionnelle tendant à voir juger que le demandeur n’était pas de nationalité française.
Des vérifications consulaires effectuées in situ le 7 octobre 2019 avaient révélé que l’acte de naissance figurait dans un registre initialement destiné aux mariages, le mot « mariage » ayant été barré et remplacé par « naissances ». Le registre n’avait pas été clos le 31 décembre 2002, contrairement aux prescriptions de l’article 12 de la loi malgache du 9 octobre 1961.
Le demandeur sollicita également, peu avant l’audience de plaidoirie, la révocation de l’ordonnance de clôture afin de produire des pièces nouvelles, dont une ordonnance du tribunal malgache autorisant la signature des registres et une copie originale de son acte de naissance.
La question centrale soumise au tribunal était celle de savoir si un acte de naissance étranger entaché d’irrégularités dans la tenue du registre d’état civil pouvait fonder une revendication de nationalité française.
Le tribunal rejeta la demande de révocation de l’ordonnance de clôture, déclara irrecevables les pièces produites tardivement et jugea que le demandeur n’était pas de nationalité française. Les irrégularités constatées privaient l’acte de naissance de toute force probante, de sorte que l’intéressé ne justifiait pas d’un état civil fiable et certain.
La solution retenue met en lumière l’exigence d’un état civil probant comme condition préalable à toute revendication de nationalité (I), tout en révélant les limites des possibilités de régularisation procédurale tardive (II).
I. L’exigence d’un état civil probant comme condition préalable à la revendication de nationalité
Le tribunal subordonne la reconnaissance de la nationalité française à la production d’actes d’état civil conformes aux prescriptions légales du pays d’origine (A), appliquant avec rigueur le principe selon lequel nul ne peut revendiquer la nationalité sans un état civil fiable et certain (B).
A. La conformité de l’acte étranger aux prescriptions de la loi locale
L’article 47 du code civil pose le principe selon lequel les actes d’état civil étrangers font foi s’ils sont « rédigés dans les formes usitées dans ce pays ». Cette présomption de régularité n’est toutefois pas irréfragable. Elle cède devant la preuve que l’acte est « irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ».
Le tribunal a constaté que l’acte de naissance du demandeur figurait dans un registre originellement destiné aux mariages. Le mot « mariage » avait été barré et remplacé manuellement par « naissances ». L’année 2002 avait été ajoutée sur la première page avec une encre différente et plus claire. Le registre n’avait pas été clos le 31 décembre 2002, en méconnaissance de l’article 12 de la loi malgache n° 61-2 du 9 octobre 1961 relative aux actes de l’état civil, qui impose la clôture des registres au 31 décembre de chaque année.
Le jugement précise que « tous les registres d’état civil sont clos le 31 décembre de chaque année » et que « le registre sur lequel il a été inscrit l’acte de naissance n° 625 du demandeur ne respecte pas cette obligation légale ». L’acte était donc « irrégulier au sens de la loi malgache relative aux actes de l’état civil ».
Cette analyse témoigne du contrôle approfondi exercé par les juridictions françaises sur la régularité formelle des actes étrangers. Le tribunal ne se contente pas d’une vérification superficielle ; il examine la tenue matérielle des registres, la cohérence des inscriptions et le respect des obligations légales de clôture. La convention franco-malgache du 4 juin 1973 dispense certes les actes de légalisation, mais cette facilité procédurale ne saurait faire obstacle au contrôle de fond de leur régularité intrinsèque.
B. L’impossibilité de revendiquer la nationalité sans état civil fiable et certain
Le tribunal rappelle un principe cardinal du droit de la nationalité : « nul ne peut revendiquer à quelque titre que ce soit, la nationalité française, s’il ne dispose d’un état civil fiable et certain ». Cette exigence, de construction jurisprudentielle, subordonne la démonstration de la filiation à la production d’actes dont la force probante n’est pas contestable.
En l’espèce, les irrégularités constatées privaient l’acte de naissance « de toute force probante ». Le tribunal en déduit qu’il n’est « pas justifié d’un état civil fiable et certain », de sorte que le demandeur « ne peut revendiquer la nationalité française à aucun titre ».
Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante de la Cour de cassation. La première chambre civile exige que l’acte d’état civil étranger satisfasse aux conditions de l’article 47 du code civil pour pouvoir établir une filiation susceptible d’emporter des effets sur la nationalité. Le défaut de conformité aux formes locales constitue un obstacle dirimant, indépendamment de la réalité biologique du lien de filiation.
Le demandeur faisait valoir que les négligences de l’officier d’état civil malgache ne pouvaient lui être imputées. Le tribunal écarte implicitement cet argument. La responsabilité personnelle du demandeur dans les irrégularités est indifférente ; seule compte l’impossibilité objective de tenir pour probant un acte affecté de vices formels aussi graves. Cette rigueur peut sembler sévère pour des requérants de bonne foi, victimes des défaillances administratives de leur pays d’origine. Elle se justifie par la nécessité de garantir la fiabilité des preuves dans un contentieux où la fraude documentaire demeure fréquente.
II. Les limites des possibilités de régularisation procédurale tardive
Le tribunal refuse de révoquer l’ordonnance de clôture pour permettre la production de pièces nouvelles (A), révélant ainsi l’articulation délicate entre les exigences procédurales et la recherche de la vérité (B).
A. Le rejet de la demande de révocation de l’ordonnance de clôture
Le demandeur avait sollicité la révocation de l’ordonnance de clôture rendue le 22 novembre 2024 afin de produire deux pièces : une ordonnance du tribunal malgache du 3 octobre 2024 autorisant la signature des registres et une copie originale de son acte de naissance délivrée le 28 octobre 2024.
L’article 803 du code de procédure civile subordonne la révocation de l’ordonnance de clôture à la révélation d’« une cause grave depuis qu’elle a été rendue ». Le tribunal relève que les pièces en question avaient été obtenues avant l’ordonnance de clôture. L’ordonnance malgache datait du 3 octobre 2024, la copie de l’acte de naissance du 28 octobre 2024, alors que la clôture n’était intervenue que le 22 novembre 2024.
Le jugement constate qu’il n’est « pas justifié en l’espèce d’une cause grave ayant empêché le demandeur de produire ces pièces en question avant l’ordonnance de clôture, ni d’une cause grave qui se serait révélée postérieurement ». La demande de révocation est donc rejetée et les pièces déclarées irrecevables.
Cette solution applique strictement les conditions posées par le code de procédure civile. La résidence du demandeur à Madagascar, invoquée pour justifier le retard de transmission, ne constitue pas une cause grave au sens de l’article 803. La jurisprudence interprète restrictivement cette notion, réservant la révocation aux hypothèses où un événement imprévisible survient postérieurement à la clôture.
B. L’articulation entre exigences procédurales et recherche de la vérité
Le demandeur espérait que la production d’une ordonnance malgache autorisant la signature des registres et d’une copie originale de son acte de naissance permettrait de « s’assurer de l’originalité et de l’authenticité de cet acte ». Il soutenait que la signature par le maire de la commune conférerait une « valeur probante » à l’acte précédemment qualifié d’apocryphe.
Le tribunal ne se prononce pas sur le mérite de cette argumentation, les pièces étant irrecevables. Il est permis de s’interroger sur la portée qu’aurait eue une telle régularisation a posteriori. Les irrégularités constatées concernaient la tenue même du registre : utilisation d’un registre de mariages pour des naissances, absence de clôture annuelle, rajout de l’année avec une encre différente. Une ordonnance autorisant tardivement la signature des registres pouvait-elle purger des vices affectant leur constitution originelle ?
La réponse semble devoir être négative. Les irrégularités relevées par le tribunal ne tenaient pas à l’absence de signature mais à la structure même du registre et au non-respect des prescriptions légales de tenue et de clôture. Une validation tardive par l’autorité judiciaire malgache ne saurait rétroactivement conférer à un registre irrégulier la qualité qui lui faisait défaut ab initio.
Cette affaire illustre la tension inhérente au contentieux de la nationalité entre l’exigence de sécurité juridique, qui commande de s’en tenir à des preuves fiables, et la recherche de la vérité biologique, qui pourrait justifier une plus grande souplesse procédurale. Le tribunal de Paris fait prévaloir la première sur la seconde, dans une approche fidèle à la jurisprudence de la Cour de cassation en la matière. Cette rigueur préserve l’intégrité du système de preuve de la nationalité, au risque de priver de reconnaissance des filiations peut-être réelles mais documentées de manière défaillante.