Tribunal judiciaire de Paris, le 20 juin 2025, n°24/02835

Tribunal judiciaire de [Localité 5], 20 juin 2025 (RG 24/02835, Portalis 352J-W-B7I-C45BO). Le litige naît de désordres d’étanchéité affectant une douche à l’italienne après des travaux de rénovation. Une recherche de fuite puis une expertise amiable ont imputé les infiltrations aux ouvrages de la salle d’eau, avec répercussions dans les parties communes du local sous-jacent.

Les maîtres de l’ouvrage ont assigné l’entrepreneur, le maître d’œuvre et leurs assureurs, sollicitant réparation du coût des travaux de reprise, des intérêts légaux à compter d’une mise en demeure, des dommages pour résistance abusive et une indemnité de procédure. Le maître d’œuvre opposait l’inopposabilité d’une expertise non contradictoire et demandait, subsidiairement, la garantie de l’assureur de l’entreprise. L’assureur de l’architecte invoquait notamment la franchise contractuelle. L’assureur de l’entreprise ne comparaissait pas.

La juridiction devait trancher deux questions. D’abord, l’engagement de la responsabilité de l’entrepreneur et du maître d’œuvre, au regard d’un défaut d’étanchéité caractérisé et de la valeur probatoire d’un rapport amiable. Ensuite, l’étendue des garanties d’assurance et les modalités de l’indemnisation, y compris l’action directe et l’évaluation d’une résistance abusive. Le tribunal retient la responsabilité in solidum de l’entrepreneur et du maître d’œuvre, ordonne la garantie de leurs assureurs, et alloue les sommes demandées pour les travaux et une part des demandes accessoires.

I. L’affirmation des responsabilités contractuelles dans le traitement des désordres d’étanchéité

A. L’obligation de résultat de l’entrepreneur et la caractérisation du défaut d’étanchéité
La juridiction ancre son raisonnement dans l’article 1231-1 du code civil, rappelant que « le débiteur est condamné si il y a lieu au payement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation soit à raison du retard dans l’exécution s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure. » Cette base conduit à réaffirmer que « l’entrepreneur est donc tenu de réaliser un ouvrage exempt de vice qui est le corollaire de son obligation de résultat ». L’affirmation est claire et cohérente avec la nature du contrat d’entreprise en matière d’ouvrages simples, telle qu’enseignée par la jurisprudence.

Sur le terrain factuel, le tribunal retient que le test au produit traçant a objectivé une absence d’étanchéité de la douche, en conformité avec les constats de recherche de fuite. La référence au règlement sanitaire départemental renforce l’exigence d’un ouvrage étanche en zones humides. L’absence d’item d’étanchéité sur la facture produite vient, en outre, conforter l’analyse causale, révélant une conception et une exécution non conformes aux règles de l’art.

La liaison causalité-dommage est tenue pour acquise, au regard des travaux de reprise effectués et de la cessation des infiltrations. La motivation, brève mais précise, retient un manquement contractuel imputable à l’entreprise, suffisant pour fonder la condamnation in solidum avec le maître d’œuvre. La solution s’inscrit dans une ligne jurisprudentielle constante en matière d’ouvrages de salle d’eau, où l’étanchéité relève d’une exigence essentielle et aisément contrôlable.

B. Les obligations du maître d’œuvre entre vérification, coordination et preuve
La juridiction étend la responsabilité au maître d’œuvre, en retenant une faute de contrôle et de vérification. Elle souligne que « le seul fait qu’il y ait eu un problème d’étanchéité non prévu dans la facture versée aux débats constitue une faute de l’architecte puisque sur ce type de travaux il aurait du vérifier que l’étanchéité avait été étudiée et réalisée dans les règles de l’art ». L’énoncé, ferme, traduit une exigence de vigilance accrue pour des postes sensibles, indépendamment d’une stipulation documentaire exhaustive.

Sur le plan probatoire, la contestation de l’expertise amiable comme non contradictoire est écartée. La juridiction énonce que « si l’expertise n’est pas au moment de sa réalisation effectivement contradictoire à l’égard de l’ensemble des parties elle est un élément de preuve suffisant puisque les parties peuvent en débattre contradictoirement ». Cette approche conforme la pratique à la règle, l’expertise non judiciaire valant simple élément de preuve, susceptible d’être discuté et corroboré par des indices objectifs, ici le test traceur et le résultat des travaux de reprise.

L’articulation des fautes est ainsi lisible. L’entreprise manque à son obligation de résultat sur l’étanchéité, tandis que le maître d’œuvre manque à son obligation de contrôle des points critiques. La réunion de ces fautes justifie l’obligation in solidum envers les maîtres de l’ouvrage. La solution est équilibrée, car elle répartit la charge de la prévention des sinistres entre conception, choix techniques et surveillance d’exécution, sans exiger une expertise judiciaire préalable.

II. Les garanties d’assurance et le régime de l’indemnisation du maître de l’ouvrage

A. L’action directe et la garantie in solidum des assureurs
La juridiction rappelle le cadre légal de l’assurance de responsabilité, incluant la définition du sinistre et le mécanisme de réclamation. Surtout, elle cite l’article L. 124-3 du code des assurances, selon lequel « Le tiers lésé dispose d’un droit d’action directe à l’encontre de l’assureur garantissant la responsabilité civile de la personne responsable ». L’action directe fonde ici la condamnation des assureurs à garantir intégralement les condamnations prononcées contre l’entreprise et le maître d’œuvre.

La conséquence est double. D’une part, la garantie est ordonnée pour l’intégralité des dommages, conformément à l’obligation in solidum envers la victime, les répartitions internes demeurant inopposables. D’autre part, la contestation tenant à la franchise contractuelle ne reçoit pas d’effet utile à l’égard du tiers lésé, conformément à la logique de l’action directe. Le dispositif assure ainsi l’effectivité de la réparation, tout en laissant ouverts les recours entre coobligés et contre-assurés pour l’ajustement final.

Cette solution est conforme au droit positif. L’alignement sur la logique de protection du tiers lésé évite les atteintes à l’intangibilité de la dette d’indemnisation. La référence au fait dommageable et à la réclamation assoit la mobilisation de garantie, sans détour inutile par des débats de déclenchement qui ne conditionnaient pas la solution dans l’espèce.

B. L’évaluation des postes de préjudice et la sanction de la résistance abusive
Le préjudice matériel est évalué au coût des travaux de suppression de la cause et de mise en conformité, suivant une facture d’un artisan, pour 2 612,50 euros TTC. Cette méthode, classique, retient la réalité et la nécessité des travaux de reprise. Les intérêts au taux légal courent à compter de la mise en demeure, règle fidèle au principe de réparation intégrale. L’indemnité de procédure allouée, d’un montant de 1 500 euros, reste proportionnée à la nature du dossier et au quantum principal.

La juridiction fait application de l’article 1231-6, alinéa 3, rappelant que « Le créancier auquel son débiteur en retard a causé par sa mauvaise foi un préjudice indépendant de ce retard peut obtenir de dommages et intérêts distincts de l’intérêt moratoire. » Elle accorde 1 500 euros pour résistance abusive. La motivation est concise, mais l’octroi est soutenu par la durée du différend et la carence d’exécution spontanée malgré des indices probants de responsabilité.

La combinaison de ces postes d’indemnisation préserve la cohérence d’ensemble. L’obligation in solidum garantit la liquidité du recours du maître de l’ouvrage. L’inopposabilité des répartitions internes et l’exécution provisoire de droit consolident l’effectivité de la réparation. La décision, prudente sur les montants, affirme néanmoins une exigence de loyauté procédurale en sanctionnant une résistance jugée injustifiée au regard du dossier technique.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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